The Fall Guy

de David Leitch, 2024, ****

Colt a deux drogues. La pre­mière, c’est l’a­dré­na­line, ce qui le pousse à se por­ter volon­taire pour tous les trucs idiots : faire des ton­neaux en voi­ture, déva­ler un esca­lier les quatre fers en l’air, se faire allu­mer lit­té­ra­le­ment, sau­ter du toit d’un immeuble, le tout devant les camé­ras. La deuxième, c’est Jody, cadreuse anglaise ins­tal­lée à Hollywood, un peu moins casse-cou mais qui appré­cie le grain de folie de ce type qui passe sa vie à attendre d’en­tendre « cou­pez » pour tendre le pouce et dire au réa­li­sa­teur qu’il est encore vivant.

Et puis, un jour, Colt passe à deux doigts d’ap­prendre par la pra­tique qu’il n’est pas si immor­tel. Un câble un poil trop long, et il arrive au sol sans avoir ralen­ti ; le sol gagne, son dos perd, l’hô­pi­tal gagne un excellent patient pour l’an­née qui suit. Lorsque Colt res­sort, un peu échau­dé par sa mésa­ven­ture, il a cou­pé les ponts avec le monde du ciné­ma et trou­vé un petit job de voiturier.

Jusqu’au jour où Gail, pro­duc­trice, l’ap­pelle. Elle tourne un film en Australie et a besoin d’un cas­ca­deur. Et pour appâ­ter Colt, elle l’in­forme que la réa­li­sa­trice n’est autre que Jody, qui a deman­dé à ce qu’on lui pro­pose le job. Mais lors­qu’il arrive, per­sonne ne l’at­tend : on tourne des scènes d’ac­tion en atten­dant de remettre la main sur l’ac­teur prin­ci­pal, dis­pa­ru depuis quelques jours…

Sierra AT4X conduit depuis la benne
Okay, on tourne les scènes d’ac­tion. Donc le conduc­teur reste hors champ et le cas­ca­deur fait sem­blant de conduire, puis il grimpe sur le capot et passe sur la voi­ture de devant, facile. — pho­to Universal Studios

Alors voi­là. Comme vous avez un tout petit peu de mémoire et que je vous en ai par­lé lit­té­ra­le­ment juste avant, là, dans ce billet publié la semaine der­nière, vous avez recon­nu les noms de deux per­son­nages et le titre anglais d’une série des années 1980.

C’est bien, vous connais­sez main­te­nant l’in­té­gra­li­té des points com­muns entre celle-ci et le pré­sent film.

Parce que Drew Pearce, qui s’est char­gé de ce scé­na­rio, a fini par com­prendre un truc : une bonne adap­ta­tion, c’est avant tout une œuvre ori­gi­nale. Certes, il a com­men­cé par suivre les traces de ses aînés sans vrai­ment se faire remar­quer dans un Mission : Impossible, un Godzilla et un Iron Man, mais c’est en cher­chant sa propre voie qu’il a pon­du Hobbs & Shaw, qui renou­ve­lait agréa­ble­ment la fran­chise Fast and Furious (à une époque où elle com­men­çait à sévè­re­ment tour­ner en rond). Poursuivant cette révé­la­tion, il n’a donc pas hési­té à faire de The Fall Guy quelque chose de com­plè­te­ment dif­fé­rent de la série épo­nyme pour par­ler de son propre truc : com­ment gérer le deuil, com­ment retrou­ver quel­qu’un qu’on a aimé, et bien sûr et sur­tout com­ment mon­trer son amour du ciné­ma, des arti­fi­ciers et des cascadeurs.

Tournage de Metalstorm
Metalstorm, le film de Jody, est un mélange de Mars attacks !, de Roméo et Juliette et de Mad Max : Fury Road. De quoi faire un bel hom­mage au ciné­ma de série B. — pho­to Universal Studios

À ce titre, on se croi­rait presque chez Tarantino. Western spa­ghet­ti, comé­die roman­tique, polar, espion­nage, drame roman­tique, docu­men­taire, film d’ac­tion, thril­ler, science-fic­tion, paro­die… Tout y passe. The Fall Guy vire même fran­che­ment au méta-ciné­ma, vous savez, ce ciné­ma qui parle du ciné­ma, en met­tant direc­te­ment en appli­ca­tion les prin­cipes dont dis­cutent les cinéastes du film, afin de mon­trer au spec­ta­teur en temps réel forces et fai­blesses de leurs idées.

On note­ra en pas­sant que David Leitch, réa­li­sa­teur, et Jonathan Sela, direc­teur de la pho­to­gra­phie, ont fait un bou­lot par­ti­cu­liè­re­ment réus­si, avec des jeux inces­sants de com­po­si­tions, de cou­leurs, de mise en scène et de reflets qui per­mettent tour à tour de mas­quer, de révé­ler ou de mettre en pers­pec­tive dif­fé­rents élé­ments du film. Ils prennent une option sérieuse sur le titre de meilleure réa­li­sa­tion, ver­sion tra­vaillée et consciente — le spec­ta­teur ne se contente pas de subir le tra­vail de l’é­quipe, il est invi­té à le décou­vrir et à y réfléchir.

C’est, j’en suis convain­cu, le vrai sujet de The Fall Guy : com­ment créer l’illu­sion du vrai alors qu’on ne fait que du faux, mais aus­si com­ment gui­der l’es­prit du public pour lui racon­ter au mieux une histoire.

En théo­rie, c’est le sujet du film : com­ment un cas­ca­deur et une réa­li­sa­trice se retrouvent sur un tour­nage. En théo­rie. — pho­to Universal Studios

L’histoire qui est racon­tée, elle, n’est ici qu’un pré­texte. L’amourette est cou­sue de fil blanc, l’en­quête est télé­pho­née, les rebon­dis­se­ments sont rela­ti­ve­ment évi­dents. C’est n’est clai­re­ment pas là-des­sus que les auteurs ont mis toute leur éner­gie. Je pense même qu’ils ont déli­bé­ré­ment sim­pli­fié cette intrigue (par exemple, le vrai rôle de Gail aurait très faci­le­ment pu res­ter ambi­gu beau­coup plus long­temps) afin, jus­te­ment, d’é­vi­ter que le spec­ta­teur ne s’y implique trop et de pou­voir libre­ment lui par­ler de cinéma.

Ça ne veut pas dire que la trame du pre­mier degré de lec­ture soit bâclée : cer­tains aspects de The Fall Guy sont très réus­sis. Par exemple, vous ne direz plus jamais « cette fille m’a cra­mé » de la même manière. La rela­tion entre Colt et Tom, entre celui qui tra­vaille dans l’ombre et celui qu’on voit à l’af­fiche, entre celui qui fait le film et celui qui le porte, passe aus­si par des phases assez sur­pre­nantes — et on va for­cé­ment se deman­der s’il y a un mes­sage, sachant que David Leitch est arri­vé au ciné­ma par la cas­cade et qu’il a un temps été la dou­blure atti­trée de Brad Pitt, à qui il a filé le pre­mier rôle de Bullet train.

Aaron Taylor-Johnson dans The Fall Guy
Mec, chuis un acteur. C’est mon bou­lot de pico­ler, faire la fête et embras­ser le pre­mier rôle fémi­nin pen­dant que tu refais tes ban­dages. — pho­to Universal Studios

Au fait, vous avez peut-être été sur­pris de ne pas voir de mes­sage du Comité Anti-Traductions Foireuses en ouver­ture de ce billet. Pourtant, gar­der un titre anglais pour l’a­dap­ta­tion d’une œuvre déjà tra­duite sous un titre fran­çais, ça fait nor­ma­le­ment par­tie des rai­sons qui le poussent immé­dia­te­ment à tirer à bou­lets rouges.

Oui, mais. Mais cette fois-ci, il y a une vraie rai­son. Le double sens de « fall guy », qui désigne un casse-cou ou un bouc émis­saire, a un vrai rôle dans l’in­trigue. Et il n’y a pas de double sens équi­valent en fran­çais. Par ailleurs, comme je l’ai déjà dit, The Fall Guy et L’Homme qui tombe à pic n’ont qu’un très, très loin­tain rap­port, il n’est donc pas déli­rant de repar­tir à zéro. Bref, le Comité Anti-Traductions Foireuses valide excep­tion­nel­le­ment la conser­va­tion du titre anglais, avec la men­tion « c’est évi­dem­ment pas idéal mais j’au­rais sans doute fini par faire pareil ».

Le résul­tat est donc un film qui, pris au pre­mier degré, est assez cré­tin et s’as­sume comme tel. C’est une vraie série B, une dis­trac­tion effi­cace, ryth­mée, bour­rée de gags paro­diques et d’ac­tion effré­née, por­tée par une mise scène soi­gnée et une pho­to élé­gante. Et c’est à peu près tout.

Gros plan sur Ryan Gosling dans The Fall Guy
Non, ce plan de Sergio Leone n’est pas éga­ré. Il est exac­te­ment là où il doit être. — pho­to Universal Pictures

Mais au second degré, c’est un méta-film qui explique un peu com­ment on fait un film, avec des bons exemples et de mau­vaises idées (la façon dont Jody écrit et tourne en même temps rap­pelle furieu­se­ment celle dont Scott a pon­du Alien Covenant), qui pré­sente consciem­ment toutes les petites astuces qu’il uti­lise avant de les mettre en pra­tique. Ça reste une dis­trac­tion effi­cace, ryth­mée, bour­rée de gags paro­diques et d’ac­tion effré­née, mais si telle est votre envie, vous y trou­ve­rez en plus une réflexion sur la mise en scène et la nar­ra­tion, ain­si qu’un hom­mage appuyé à tous ceux qui font du ciné­ma — et notam­ment du ciné­ma d’ac­tion, avec ses explo­sions, ses pro­jec­tions, ses courses-pour­suites et ses voi­tures broyées.