Lazy company
|d’Alexandre Philippe et Samuel Bodin, 2013–2015, ****
« Ach, ch’ai pien entendu : le tébarquement est prévu le 2 chuin en Normandie. Danke pour l’informazion ! »
Voilà, en substance, la réponse que reçoivent quatre parachutistes américains infiltrés derrière les lignes ennemies, après avoir transmis leurs informations sur un poste de radio dégotté dans le bordel des combats, sans penser à vérifier s’ils l’avaient trouvé côté allié ou allemand.
Évidemment, leur popularité en prend un coup : de retour au camp, après un petit brainstorming (et un décalage du débarquement au 6 juin), le commandement décide de baptiser les quatre charlots la « Lazy company », avant de les envoyer dans une nouvelle mission — qu’il espère bien être sans retour.
La mise en place est un éloge de la potacherie, dans la grande lignée des Bidasses en folie et autres Je sais rien mais je dirai tout. Le sergent Chester, bourrin bas de plafond qui se voit surhomme vainqueur, a un don magique pour trouver les mines — s’il y en a une à dix bornes alentours, il pose le pied dessus. Le caporal Niels, fêtard et obsédé, peut être suicidairement courageux avec les petites Françaises, mais c’est un pleutre total avec les grands Allemands. Le soldat Henry, élève appliqué et binoclard studieux, veut faire de son mieux mais peine à s’intégrer. Slice, civil volontaire évadé d’un asile psychiatrique, s’avère être une femme, et peut-être le moins mauvais soldat de la compagnie.
Et bien sûr, il y a la direction du camp, réunion d’abrutis et d’incapables ; un pilote japonais qui s’est perdu au-dessus du Pacifique (le Zero a vraiment une très bonne autonomie) ; des résistantes normandes menées par la Jeanne, une petite teigneuse à l’accent incompréhensible ; le Captain Patriot, résultat d’expériences visant à créer un super-soldat ; un savant fou nazi et les résultats de ses bricolages ; un chancelier psychopathe ; et Albert Einstein.
Alors oui, c’est un peu le bordel. Des Charlots à Captain America en passant par Voyage au bout de l’enfer, les grands classiques de Morricone, les scènes de baston de Kaamelott, Astérix ou La nuit des morts-vivants, on bouffe à tous les râteliers et on parodie tout azimut. C’est léger, absurde, drôle, ça détourne tout, c’est un vrai bonheur.
Et puis, ça évolue. La tonalité se fait peu à peu plus grave, on bascule délicatement de la parodie héroïque à la tragédie fantastique, du potache au baroque, du ridicule à l’émouvant. On ne se défait jamais totalement de la loufoquerie gratuite et on raille encore gentiment Mission : impossible dans les dernières heures, mais au fil de ses trente épisodes, Lazy company suit un peu la même évolution que Inglourious basterds, devenant un peu plus sérieuse, voire franchement touchante par moments. En fait, après avoir passé une saison à détourner soigneusement tous les clichés des films de guerre et d’espionnage, les auteurs se sont appliqués au cours des deux suivantes à prendre à revers leurs propres codes, et le résultat est d’une finesse et d’un équilibre subtils et inclassables.
Vous me direz, du coup, que ça rappelle un peu Hero corp. C’est sûrement pas un hasard : on retrouve des noms communs entre les deux séries. Mais sans vouloir vexer Simon Astier, c’est ici bien mieux réussi : il n’y a pas une rupture brutale, mais une évolution en douceur où la recette évolue progressivement sans jamais se trahir. Hero corp, c’était deux saisons de pot-au-feu à la bonne franquette, suivies de deux saisons de cuisine moléculaire et d’un finale de poutine auvergnate moléculaire. Lazy company, c’est une bonne potée normande qui bouillonne trois jours de suite et où, au fur et à mesure qu’on grignote le bœuf et les clous de girofle, on rajoute de l’agneau et des épices pour ne jamais avoir l’impression de manger la même chose.
Si l’Histoire de la pensée humaine ne sera pas bouleversée par cette œuvre, qui reste fondamentalement une parodie distrayante, l’ensemble est donc varié, équilibré, plus fin que ce qu’on penserait au départ, et franchement réussi.