Ice Airport Alaska
|glaçage sans gâteau de John Bonny, 2020–2022
Au début, il y eut Ice pilots NWT, la télé-réalité documentaire sur cette compagnie aérienne qui continue à utiliser des DC‑3, des DC‑4, des C‑46, et pour qui un Lockheed Electra est le summum de la modernité1. Comme les États-Uniens n’aiment pas se faire griller par des Canadiens, ils ont rapidement lancé deux séries sur des aviateurs glacés : Flying wild Alaska, sur la base Era Alaska d’Unalakleet, et Alaska wing men, sur divers pilotes de brousse de la région2. Et puis, la mode des avions en gelée est passée, les Anglais ont tenté la version cuite à la vapeur avec The worst place to be a pilot, et les séries aéronautiques sont tombées en désuétude.
Nous sommes désormais en 2020, et Smithsonian Channel s’avise qu’il n’a pas, contrairement à Discovery Channel et National Geographic Channel, de série d’aviateurs givrés à son catalogue. Il produit donc un nouveau docu-réalité, et comme à son habitude (il diffuse notamment Terror in the skies et Air disasters), faut que ça soit spectaculaire. Exit donc les petites compagnies sympathiques et les pilotes indépendants, intéressons-nous à la grosse industrie : l’aéroport Ted Stevens, à Anchorage — le quatrième plus gros « hub » au monde pour ce qui est du trafic cargo.
Okay, pourquoi pas, ça change un peu. Mais le souci, c’est d’essayer de faire une série spectaculaire et pleine de suspense avec un aéroport commercial, qui est un des endroits les plus contrôlés du pays et un de ceux où tout est censé se passer sans heurt en permanence.
Pour combler ce vide, les scénaristes ont trouvé une recette : battre en neige pour faire mousser.
Ça donne à peu près ça :
[grosse voix de bande-annonce de film-catastrophe] Nous sommes à l’aéroport international Ted Stevens, à Anchorage, Alaska. Ici, il fait nuit 18 heures par jour, et les températures descendent sous les ‑40°F3. Pourtant, l’aéroport n’a jamais fermé à cause de la météo. Voici Truc, responsable de chose à Ted Stevens. Sa tâche : faire en sorte que tout se passe bien. Un véritable défi aujourd’hui, avec des températures de ‑40°F. Pour l’aider dans son travail, il a une machine à whatmoult millions de dollars, un équipement ultra-moderne dont aucun aéroport des 48 d’en bas ne dispose. Mais dans ce froid, le matériel et les hommes souffrent. C’est l’heure de pointe et un avion se pose toutes les trois minutes à l’aéroport international Ted Stevens, le quatrième hub cargo au monde. Il fait ‑40°F et la machine de Truc est en panne. L’aéroport n’a jamais fermé à cause de la météo. Si Truc ne trouve pas immédiatement une solution, les avions devront être déroutés, coûtant des millions de dollars à leurs compagnies. Pire, la panne de la machine pourrait causer un crash avec des dizaines de morts. C’est la course pour Truc, qui doit réparer sa machine à whatmoult millions de dollars. Par ‑40°F, en pleine tempête de neige, Truc se bat pour réparer sa machine. Enfin elle redémarre, Truc se remet au travail. Bravo Truc, il a remis en service une machine à whatmoult millions de dollars et sauvé l’aéroport d’une situation qui aurait pu causer un crash avec des dizaines de morts.
Ça marche pour les opérateurs de déneigeuses, ceux qui gèrent l’éclairage des pistes, ceux qui aspergent les avions d’antigel, les flics qui chassent les poivrots de l’aérogare, l’agent qui fait le tour des grillages pour expulser les caribous, le personnel de maintenance aéronautique, le pilote de Kaman qui va livrer des matériaux, bref, tout le monde.
Et. c’est. chiant.
C’est toujours la même recette, avec la même voix off qui se voudrait angoissante mais qui devient risible à force de monter en épingle des trucs de trois fois rien (mention spéciale à ceux qui doivent soulever un 737, qui ont des crics spécialement conçus pour et un manuel d’instructions sur exactement où les mettre et comment les sécuriser, pendant que la voix off explique sans blaguer que si le cric ripe, ça pourrait entraîner des millions de dollars de dégâts, faire perdre des milliers de dollars en immobilisation, pis les mécanos seraient écrasés comme des mouches sous un avion de dix millions de dollars et trente tonnes, et pis hop interview du mécano qui répond à la question « que se passerait-il si le cric cassait ? » avec la conviction du mec qui se dit « mais pourquoi et comment il casserait, c’est quoi cette question à la con ? »).
C’est donc une série conçue pour faire le bruit de fond d’une télé allumée toute la journée, où chaque minute doit tenter d’attirer l’attention de quiconque vit sa vie à proximité. Elle n’est pas faite pour être vraiment regardée, ou alors par des poissons rouges (qui auront oublié qu’on a eu la même recette à l’épisode d’avant et la même phrase à la minute d’avant) ou des chats (qui adorent passer des heures immobiles à attendre en vain qu’un humain se blesse).
On a bien, une fois de temps en temps, une séquence qui sort un peu du schéma, mais il reste beaucoup, beaucoup trop systématique. Je commence à avoir vu un bon lot de séries et de films aéronautiques, mais c’est clairement ce que j’ai supporté de plus nul — sans même le côté rigolo, presque auto-parodique, d’un Airport 80 Concorde.