Le redoutable
|de Michel Hazanavicius, 2017, **
C’est l’histoire d’une femme, qui admire son homme mais ne l’aime qu’un temps, et de son homme, qui l’aime mais la méprise.
Oh, rassurez-vous, ça n’a rien de spécifique : il méprise tout le monde. Nous sommes autour de mai 1968 ; pour les gens, Godard, c’est Le mépris, et dans la vraie vie, Gotârd, ch’est le mépris. Le réalisateur, adulé pour ses récents Pierrot le fou et Masculin féminin, se passionne pour le maoïsme en même temps qu’il a l’impression de tourner en rond et cherche comment réinventer à nouveau le cinéma. Et moins les gens suivent son intellectualisme, plus il se convainc qu’ils sont trop cons et qu’il est le seul à comprendre correctement les choses.
Quand on s’intéresse un peu au cinéma, il est compliqué de ne pas croiser Godard. Normalement, c’est une petite claque ; elle peut être positive, façon « ouahou, il est donc possible de faire un truc aussi fou, original, impliqué, audacieux et maîtrisé à la fois » ; elle peut être négative, style « ah, il est donc possible de faire un truc aussi prétentieux, creux, vide et chiant à la fois ».
Personnellement, ce fut un peu des deux : Pierrot le fou et À bout de souffle, les deux premiers Godard que j’ai vus, m’ont fait le même effet — un mélange d’excitation, d’admiration, d’ennui et de frustration. Admiration, quand j’imaginais comment l’explosion formelle et le foisonnement narratif avaient pu être perçus à l’époque où le cinéma français était mené par des maîtres du cadrage posé et de la narration millimétrée ; excitation, quand je réalisais que sans ces films, il n’y aurait jamais eu de Duel (donc jamais de Rencontres du troisième type) et que ni les Coen, ni Tarantino n’auraient pu apparaître. Ennui, quand j’arrivais au bout de séquences qui ne disaient rien mais s’écoutaient tout de même parler ; frustration, lorsque tombait le rideau sur des films dépourvus de la moindre histoire.
Et bien le truc vachement réussi dans Le Redoutable, c’est que c’est un parfait hommage au cinéma de Godard. Pas seulement parce que l’ombre du Mépris plane sur l’ensemble de cette relation de couple, mais aussi par ces mises en abîme audacieuses¹, ces mouvements de caméra brillants qui révèlent ou masquent opportunément le détail qu’il faut, cette mise en scène oscillant constamment entre le Vaudeville et le drame, ces gags plus ou moins discrets et parfaitement servis, cette écriture qui prend le temps du vrai dialogue, cette superbe direction d’acteurs, naturelle et évidente, ou encore cette capacité à couper une séquence sur un plan inattendu… C’est aussi un parfait hommage au cinéma de Godard, prétentieux, verbeux, avec ses séquences trop longues, sa caméra qui bouge sans raison et ses scènes vides qui admirent leur propre forme dans la glace sans se demander si elles ont un fond.
Cependant, Le redoutable raconte une histoire, celle d’un couple qui s’effondre, celle d’une révolution intérieure qui se rêve révolution tout court, celle d’un connard qui se coupe du monde, celle d’un odieux qui écrase le reste du monde de son intelligence sans se rendre compte qu’il est stupide. Sur ce point, c’est une réussite que Godard ne peut prétendre avoir atteinte.
Bon ou mauvais, me demandez-vous ? Les deux. Profondément bon, profondément nul, entre instants magiques et ennuyeuse bouillasse. Un excellent hommage à Godard, vous dis-je.
Quant au fait qu’on m’ait chaudement conseillé de le voir, che vais réfléjir à comment che dois le prêêntre.
¹ Mention spéciale au « Lej acteurs chont des cons. Tu leur écris un tekchte, et ils le dijent. Che chuis chûr que chi tu dis à un acteur de dire que lej acteurs chont tes cons, et bien il le dit. »