Le redoutable

de Michel Hazanavicius, 2017, **

C’est l’his­toire d’une femme, qui admire son homme mais ne l’aime qu’un temps, et de son homme, qui l’aime mais la méprise.

Oh, ras­su­rez-vous, ça n’a rien de spé­ci­fique : il méprise tout le monde. Nous sommes autour de mai 1968 ; pour les gens, Godard, c’est Le mépris, et dans la vraie vie, Gotârd, ch’est le mépris. Le réa­li­sa­teur, adu­lé pour ses récents Pierrot le fou et Masculin fémi­nin, se pas­sionne pour le maoïsme en même temps qu’il a l’im­pres­sion de tour­ner en rond et cherche com­ment réin­ven­ter à nou­veau le ciné­ma. Et moins les gens suivent son intel­lec­tua­lisme, plus il se convainc qu’ils sont trop cons et qu’il est le seul à com­prendre cor­rec­te­ment les choses.

Ma jérie, tu es chplen­dîîde. — pho­to Philippe Aubry pour Les Compagnons du cinéma

Quand on s’in­té­resse un peu au ciné­ma, il est com­pli­qué de ne pas croi­ser Godard. Normalement, c’est une petite claque ; elle peut être posi­tive, façon « oua­hou, il est donc pos­sible de faire un truc aus­si fou, ori­gi­nal, impli­qué, auda­cieux et maî­tri­sé à la fois » ; elle peut être néga­tive, style « ah, il est donc pos­sible de faire un truc aus­si pré­ten­tieux, creux, vide et chiant à la fois ».

Personnellement, ce fut un peu des deux : Pierrot le fou et À bout de souffle, les deux pre­miers Godard que j’ai vus, m’ont fait le même effet — un mélange d’ex­ci­ta­tion, d’ad­mi­ra­tion, d’en­nui et de frus­tra­tion. Admiration, quand j’i­ma­gi­nais com­ment l’ex­plo­sion for­melle et le foi­son­ne­ment nar­ra­tif avaient pu être per­çus à l’é­poque où le ciné­ma fran­çais était mené par des maîtres du cadrage posé et de la nar­ra­tion mil­li­mé­trée ; exci­ta­tion, quand je réa­li­sais que sans ces films, il n’y aurait jamais eu de Duel (donc jamais de Rencontres du troi­sième type) et que ni les Coen, ni Tarantino n’au­raient pu appa­raître. Ennui, quand j’ar­ri­vais au bout de séquences qui ne disaient rien mais s’é­cou­taient tout de même par­ler ; frus­tra­tion, lorsque tom­bait le rideau sur des films dépour­vus de la moindre histoire.

Çha n’a rien d’in­chul­tant, ch’est un fait : tu ej une actriche, et lej acteurs chont chtu­pides. — pho­to Philippe Aubry pour Les Compagnons du cinéma

Et bien le truc vache­ment réus­si dans Le Redoutable, c’est que c’est un par­fait hom­mage au ciné­ma de Godard. Pas seule­ment parce que l’ombre du Mépris plane sur l’en­semble de cette rela­tion de couple, mais aus­si par ces mises en abîme auda­cieu­ses¹, ces mou­ve­ments de camé­ra brillants qui révèlent ou masquent oppor­tu­né­ment le détail qu’il faut, cette mise en scène oscil­lant constam­ment entre le Vaudeville et le drame, ces gags plus ou moins dis­crets et par­fai­te­ment ser­vis, cette écri­ture qui prend le temps du vrai dia­logue, cette superbe direc­tion d’ac­teurs, natu­relle et évi­dente, ou encore cette capa­ci­té à cou­per une séquence sur un plan inat­ten­du… C’est aus­si un par­fait hom­mage au ciné­ma de Godard, pré­ten­tieux, ver­beux, avec ses séquences trop longues, sa camé­ra qui bouge sans rai­son et ses scènes vides qui admirent leur propre forme dans la glace sans se deman­der si elles ont un fond.

Comment çha, « le vieux monde bour­cheois doit être ren­ver­ché par l’ach­pi­ra­tion de la liber­té indi­vi­duelle popu­laire », ch’est pas un bon chlo­gan danj une manif ? — pho­to Philippe Aubry pour Les Compagnons du cinéma

Cependant, Le redou­table raconte une his­toire, celle d’un couple qui s’ef­fondre, celle d’une révo­lu­tion inté­rieure qui se rêve révo­lu­tion tout court, celle d’un connard qui se coupe du monde, celle d’un odieux qui écrase le reste du monde de son intel­li­gence sans se rendre compte qu’il est stu­pide. Sur ce point, c’est une réus­site que Godard ne peut pré­tendre avoir atteinte.

Bon ou mau­vais, me deman­dez-vous ? Les deux. Profondément bon, pro­fon­dé­ment nul, entre ins­tants magiques et ennuyeuse bouillasse. Un excellent hom­mage à Godard, vous dis-je.

Quant au fait qu’on m’ait chau­de­ment conseillé de le voir, che vais réflé­jir à com­ment che dois le prêêntre.

¹ Mention spé­ciale au « Lej acteurs chont des cons. Tu leur écris un tekchte, et ils le dijent. Che chuis chûr que chi tu dis à un acteur de dire que lej acteurs chont tes cons, et bien il le dit. »