Course à mort

pro­pa­gande rea­ga­nienne de Martyn Burke, 1981

Suite à une épi­dé­mie, les États-Unis ont bas­cu­lé dans le tota­li­ta­risme et la sur­veillance de masse. La fin du pétrole a son­né et le gou­ver­ne­ment a inter­dit les trans­ports indi­vi­duels, notam­ment les voi­tures. Et comme il est très intel­li­gent, il a embau­ché Franklyn, ancienne star des cir­cuits, désor­mais porte-parole du Système de trans­port de masse – les trains et les métros, quoi. Mais après deux décen­nies à ser­vir la pro­pa­gande, Franklyn passe une par­tie de son temps à far­fouiller dans les casses pour remettre en route sa voi­ture, cachée sous la dalle de son garage. Son objec­tif : se bar­rer de Boston et rejoindre la Californie, libre de l’oppression…

Boston pleine de vélos
Le cau­che­mar abso­lu des auteurs : des grandes villes pleines de vélos qui roulent faci­le­ment, au lieu de ces glo­rieux empi­le­ments de voi­tures embou­teillées. — pho­to Crown International Pictures

Bon, évi­dem­ment, dans le contexte actuel, nul besoin d’être fin psy­cho­logue pour se dire que ça a dû mal vieillir. Voilà un film qui résume l’i­déal liber­taire amé­ri­cain à « cra­mer plein de pétrole en bagnole », et l’hor­rible tota­li­ta­risme com­mu­niste à « des métros qui marchent et des vélos qui roulent ». Aujourd’hui (et à l’é­poque aus­si d’ailleurs), on sait que cra­mer plein de pétrole est une très mau­vaise idée, et même les États-Unis se disent qu’il fau­drait limi­ter un peu les voi­tures, favo­ri­ser les trans­ports en com­mun et pour­quoi pas le vélo, sur­tout en ville.

Mais même hors contexte his­to­rique, le film est tout sim­ple­ment débile et inco­hé­rent. Le plus énorme est sans doute la police, uni­que­ment équi­pée de voi­tu­rettes de golf des années 70. Même si plus aucun par­ti­cu­lier n’a de voi­ture, il me semble qu’on a tou­jours besoin que la police puisse inter­ve­nir rapi­de­ment, sur­tout qu’on est dans un État poli­cier. Lors du tour­nage, ça fait 80 ans que la Jamais-Contente a pas­sé les 100 km/h. Les États-Unis, pion­niers de l’au­to­mo­bi­li­sa­tion de masse, ont déjà connu un énorme mar­ché de la voi­ture élec­trique – au tout début du siècle, avant que les amé­lio­ra­tions du moteur ther­mique mettent ce type de pro­pul­sion en som­meil. Sans même par­ler de se gar­der une réserve d’es­sence juste pour les forces de l’ordre (ce qui serait sans doute la pre­mière réac­tion d’un État poli­cier en cas de pénu­rie d’hy­dro­car­bures), com­ment peut-on ima­gi­ner qu’en vingt ans de tota­li­ta­risme, on ne les ait pas dotées de véhi­cules élec­triques un peu plus performants ?

Vous me direz : c’est indis­pen­sable pour per­mettre au deuxième héros du film d’en­trer en scène. C’est parce que l’au­to­ri­té n’a aucun moyen d’ar­rê­ter Franklyn qu’elle va appe­ler à la res­cousse un vété­ran de la guerre Corée et un Sabre. Mais vous savez ce que je dis dans ces cas-là : si votre scé­na­rio a besoin d’un truc qui tient pas debout pour fonc­tion­ner, c’est que le scé­na­rio lui-même ne tient pas debout – et vous feriez mieux de le retra­vailler plu­tôt que de tour­ner le truc débile.

Le Sabre du méchant qui devient gentil
Quand les flics ont des voi­tu­rettes de golf, le seul moyen de rat­tra­per une voi­ture devient un avion. — pho­to Crown International Pictures

Soit dit en pas­sant, c’est un autre point où le scé­na­rio se casse la gueule. On a un avion qui n’a pas volé depuis au moins vingt ans, on lui trouve du kéro­sène per­sonne ne sait où (le scé­na­riste ne s’est pas fati­gué à l’ex­pli­quer), un petit coup de polish et hop !, ça repart. J’exagère pas : sitôt trou­vé le pilote, l’a­vion est propre, armé et prêt à voler en quelques heures. Je soup­çonne qu’il fal­lait plus long­temps pour pré­pa­rer un Sabre pen­dant la guerre de Corée, alors qu’ils étaient encore opérationnels.

Mais ça per­met d’é­qui­li­brer les chances, vu que Franklyn doit faire le plein à la main dans les fonds de cuve des sta­tions-ser­vice aban­don­nées et qu’il a pris un des plus gros dévo­reurs de car­bu­rant qui ait jamais vu le jour : une Porsche 917 Can-Am. Le truc cra­chait dans les 1000 che­vaux en condi­tions de course, dépas­sait les 1500 en qua­lif, et reste cin­quante ans plus tard la voi­ture de course la plus puis­sante de l’his­toire, je vous laisse cal­cu­ler com­bien ça picolait.

La fausse Porsche 917
— Dis, Franklyn, c’est nor­mal que ma tête dépasse de l’ar­ceau de 20 cm ?
— Yep, c’est parce que c’est un châs­sis beau­coup plus petit qu’une 917 dégui­sé à la truelle.
- pho­to Crown International Pictures

Soit dit en pas­sant, les ama­teurs de détails tech­niques seront aux anges. Cette 917 a en effet la bonne idée d’a­voir une boîte auto­ma­tique, ou un embrayage cen­tri­fuge peut-être piqué sur une 2 CV, je sais pas, enfin bref pour démar­rer il faut juste accé­lé­rer dou­ce­ment, c’est Franklyn qui le dit au gamin qui squatte le siège pas­sa­ger (dans une émou­vante scène où la voi­ture est embour­bée per­sonne sait pour­quoi, et à la scène sui­vante elle ne l’est plus mais per­sonne sait com­ment). Mais elle a aus­si une boîte méca­nique, comme nous le prouvent les plans où Franklyn passe les vitesses à la main pour mon­trer comme il est un pilote de ouf.

Mieux : son levier de boîte est au centre, ce qui sur­pren­dra tous ceux qui ont vu Le Mans, où on voit très bien Delaney glis­ser la main droite le long des tubes pour sai­sir la boule. Ce levier du mau­vais côté a tout de même un inté­rêt : répondre sans détour à la ques­tion « Elle est che­loue, c’est une 917/10 ou une 917/30 ? » que les spé­cia­listes de Porsche se posent depuis le début. C’est en fait pas du tout une 917. C’est une coque façon 917 posée sur un châs­sis a prio­ri d’o­ri­gine Chevron (qui, en bon construc­teur anglais, ne voit aucun pro­blème à chan­ger de vitesse de la main gauche).

Affiche et jaquette du DVD
D’habitude, je mets pas d’af­fiches, mais là c’est tel­le­ment beau que non seule­ment je la mets, mais je relance d’une jaquette de DVD. Me remer­ciez pas. — images Crown International Pictures et Lionsgate

En fait, le film est tel­le­ment bâclé que même le type qui a des­si­né l’af­fiche n’a pas vou­lu le voir : dans un décor futu­riste qui ne res­semble en rien à ceux du film, une voi­ture qui res­semble à tout sauf à une Porsche 917 est atta­quée par un Phantom II au lieu d’un Sabre. Notez que la jaquette du DVD a un décor un peu moins déli­rant et une 917 à peu près cor­recte, mais elle est atta­quée par… un Mirage IV ?!!!, qui tire sans avoir ren­tré le train.

Bref, y’a pas de scé­na­rio à part « les méchants ils aiment pas les voi­tures », c’est tour­né avec les pieds, les pour­suites sont molles faute de moyens pour réa­li­ser de vraies cas­cades, et seule la pré­sence d’un Canadair Sabre (le meilleur acteur du film, il inter­prète avec brio un F‑86 amé­ri­cain) peut jus­ti­fier que les plus grands malades y consacrent 1 h 40 de leur vie.