Mia madre

de Nanni Moretti, 2015, ****

À la cin­quan­taine, la vie de Margherita est un peu bor­dé­lique : le film qu’elle réa­lise n’a­vance pas, l’ac­teur prin­ci­pal est inca­pable de rete­nir ses répliques, son ado­les­cente de fille accu­mule les notes médiocres, son ingé­nieur de frère s’est fait « mettre en dis­po­ni­bi­li­té », son mec l’a jetée, et elle loge dans l’ap­par­te­ment de sa mère parce que le sien est inon­dé. Et sa mère, jus­te­ment, est à l’hô­pi­tal, et Margherita doit recou­rir à des tré­sors de déni pour refu­ser de voir qu’elle va mourir.

Ce résu­mé abrupt peut lais­ser pen­ser que Mia madre est un peu lourd. Et fran­che­ment, il aurait tout pour l’être, l’a­go­nie de la mère pla­nant sur le film autant que les revers suc­ces­sifs subis par son « héroïne ».

Vu que j'avais écrit, produit et réalisé le film, je me suis dit : "tiens, si je jouais le second rôle masculin, aussi ?" - photo Le Pacte
Vu que j’a­vais écrit, pro­duit et réa­li­sé le film, je me suis dit : « tiens, si je jouais le second rôle mas­cu­lin, aus­si ? » — pho­to Le Pacte

C’est donc une vraie réus­site : Moretti par­vient à illu­mi­ner son œuvre avec légè­re­té et huma­ni­té, sau­pou­drant d’un peu d’hu­mour les crises de nerfs et les éclats de voix pour en faire une tra­gi-comé­die évi­dem­ment triste, mais presque pri­me­sau­tière par moments. Le rythme est par­fai­te­ment maî­tri­sé, alter­nant quelques lan­gueurs bien­ve­nues avec des scènes ner­veuses dont les répliques claquent, et la pho­to est extrê­me­ment soi­gnée : si, dans le film que tourne Margherita, les boîtes à lumière sont des objets enva­his­sants et presque dan­ge­reux, le direc­teur de la pho­to­gra­phie Arnaldo Catinari a four­ni pour le vrai film un tra­vail remar­quable sur l’é­clai­rage, avec quelques clairs-obs­curs abso­lu­ment magnifiques.

T'avais une réplique à apprendre, une ! - photo Alberto Novelli
T’avais une réplique à apprendre, ducon, une ! — pho­to Alberto Novelli

Mais plus encore que par la tech­nique ou les dia­logues, Mia madre est por­té par ses acteurs. Le trio fami­lial, avec Margherita Buy en femme de poigne un peu per­due, Nanni Moretti en fils et frère dévoué, et Guilia Lazzarini en vieillarde sur le départ, fonc­tionne magni­fi­que­ment. Pour sa part, John Turturro apporte un contre­point étran­ger et déca­lé qui par­ti­cipe beau­coup à allé­ger l’am­biance — au pas­sage, féli­ci­tons le res­pon­sable du cas­ting, qui a eu les tripes de lui dire : « bon­jour, on aurait besoin de toi pour jouer un mau­vais acteur, cabo­tin et inca­pable de rete­nir une ligne de texte, ça te dit ? ». Les seconds rôles sont un peu plus inégaux, mais ne sont pas suf­fi­sam­ment pré­sents pour avoir un impact néga­tif — à part peut-être Beatrice Mancini, dont c’est le pre­mier rôle et qui joue son ado­les­cente bla­sée avec la finesse d’un épi­sode de Parents, mode d’emploi.

Malgré des thé­ma­tiques par­fois très dures et un uni­vers (le ciné­ma) qui flirte tou­jours avec l’ir­réel, le film évite donc de bas­cu­ler dans le mélo et trouve un bel équi­libre, avec ses larmes et ses éclats de rire, ses cou­rages et ses angoisses, pour don­ner une vraie tranche de vraie vie bour­rée de vrais sen­ti­ments. Sans être par­fait, il est donc hau­te­ment recommandable.