Mercredi

d’Alfred Gough, Miles Millar et Tim Burton1, 2022, ****

Mercredi, c’est le jour des enfants. Tous ces char­mants mini-êtres humains qui ont pas­sé la semaine à s’in­sul­ter, se moquer, se frap­per, se tyran­ni­ser ou s’en­fer­mer les uns les autres ont une demi-jour­née pour vaquer à leurs occu­pa­tions péri­sco­laires. C’est le moment où les clubs d’é­checs jouent, où les clubs de des­sin peignent, où les clubs de water-polo nagent, où Mercredi lâche des piran­has dans la pis­cine, où les clubs de débat dis­cutent, où…

Hein ?

Quoi, quel détail bizarre ?

Ah oui, Mercredi est aus­si le nom d’une élève. Et elle a sa propre méthode pour pous­ser les poloïstes à nager vite. La direc­tion du lycée n’ap­prou­vant pas ladite méthode, elle est expul­sée et se retrouve en pen­sion à Nevermore, une école pri­vée dédiée aux élèves che­lous qu’il vaut mieux ne pas trop mêler à la popu­la­tion générale.

Enid et Mercredi dans leur chambre
Okay, ils m’ont mise dans la chambre d’un bon­bon rose. Je veux mou­rir. — pho­to Vlad Cioplea pour Netflix

C’est donc l’his­toire de com­ment Mercredi doit s’in­té­grer dans ce nou­veau lycée, coha­bi­ter avec les autres élèves sous l’œil un peu trop atten­tif de la direc­tion, et en pas­sant essayer de com­prendre pour­quoi elle a des visions de monstre chas­sant dans les bois envi­ron­nants — ceux-là même où les auto­ri­tés ont retrou­vé des ran­don­neurs tués par un ours. Ouais, un ours. En pleine période d’hi­ber­na­tion. Dans le Vermont.

Tous les réa­li­sa­teurs le savent : la séquence d’ou­ver­ture est une clef d’une œuvre. Trop terne, elle n’as­pi­re­ra pas le spec­ta­teur : il conti­nue­ra à se deman­der s’il a bien fait de lais­ser le gosse reprendre une deuxième part de des­sert, s’il pour­rait pas se ser­vir une petite bière pour se féli­ci­ter de ne pas avoir jeté son patron dans l’Amazone, s’il doit vrai­ment voter aux pro­chaines pré­si­den­tielles vu le choix qui s’an­nonce… Mais une ouver­ture trop gran­diose est aus­si un piège : si le reste de l’œuvre est ne serait-ce que très bon, le souf­flé va retom­ber et le spec­ta­teur tour­ner en rond en atten­dant la fin, gar­dant une impres­sion de vague décep­tion. Soit dit en pas­sant, ce fut le pro­blème de pas mal de séries Netflix pas­sées, qui com­men­çaient sur les cha­peaux de roues, som­braient dans une tor­peur délayée de quatre-cinq épi­sodes avant de se réveiller enfin (mais par­fois sans nous) pour le finale.

Tim Burton ne s’est guère posé de ques­tions : il a com­men­cé par un feu d’ar­ti­fice. Son ouver­ture est la fille natu­relle d’un bon épi­sode de Daria, des der­niers moments de I am not okay with this, et bien sûr de La famille Addams, le film de 91, que Burton devait ini­tia­le­ment réa­li­ser. Ce petit moment de vie sco­laire est pro­pre­ment jubi­la­toire, annon­çant soit une série gran­diose, soit un souf­flé raté.

Et curieu­se­ment, le résul­tat final est pile sur le fil.

Côté bons points, évi­dem­ment : l’in­ter­pré­ta­tion de Jenna Ortega. Sa Mercredi, à pre­mière vue aus­si figée, guin­dée et intro­ver­tie que celle de Christina Ricci, a juste ce qu’il faut de répar­tie cynique pour la rendre appré­ciable en atten­dant de faire preuve d’un micro­poil plus de sou­plesse et d’hu­ma­ni­té (c’est, après tout, une his­toire ini­tia­tique). La palette du per­son­nage est double, l’es­sen­tiel res­tant presque tou­jours sous-jacent, et c’est heu­reu­se­ment une excel­lente actrice qui nous sert ces deux niveaux de lecture.

Mercredi et la Chose
Tu sais, Chose, de nous deux, c’est quand même toi le plus expres­sif. — pho­to Netflix

La direc­tion artis­tique est éga­le­ment splen­dide, pio­chant selon les moments dans dif­fé­rents uni­vers bur­to­niens (Sleepy hol­low est une ins­pi­ra­tion incon­tour­nable, mais il y a aus­si du sucré colo­ré à la Edward aux mains d’argent ou Charlie et la cho­co­la­te­rie), et les scènes chez les « nor­mies » ren­voient déli­bé­ré­ment aux innom­brables séries avec un flic dans une petite ville — vous savez, les LongmireStranger things et com­pa­gnie. La Chose est éga­le­ment super­be­ment réus­sie, avec un rôle impor­tant, une ani­ma­tion très natu­relle, une véri­table expres­sion de sen­ti­ments : c’est cette fois un authen­tique per­son­nage et pas une simple bizar­re­rie rigolote.

Et puis, il y a ces dia­logues cise­lés, ces répliques bour­rées de réfé­rences, ces ping-pongs ver­baux de haute volée, qui vous feront tout à tour rire ou grin­cer d’une scène à une autre. Note en pas­sant : regar­dez-le en ver­sion ori­gi­nale. J’ai pas écou­té la VF, mais si elle est à moi­tié aus­si édul­co­rée que les sous-titres fran­çais, elle va détruire une bonne par­tie du charme de la série — à com­men­cer par la per­son­na­li­té de Mercredi, qui n’est pas seule­ment une cynique fri­gide mais aus­si une intel­lo d’une sub­ti­li­té remar­quable quand il s’a­git de trans­for­mer des mots en armes de jet.

Le rythme, l’am­biance et les per­son­nages tiennent tota­le­ment d’un bout à l’autre, entraî­nant le spec­ta­teur jus­qu’aux der­nières secondes avec un cer­tain enthou­siasme. Mais…

La famille Addams
Bon, moi, je sur­joue, mais ça colle au per­son­nage. Et toi, c’est quoi ton excuse ? — pho­to Vlad Cioplea pour Netflix

Mais il y a aus­si quelques points faibles. D’abord, la trame géné­rale, qui rap­pelle vague­ment un épi­sode du Club des Cinq ou (pour être un peu moins insul­tant) des Goonies. C’est avant tout un polar ado, pas si ori­gi­nal au fond qu’il vou­drait l’être.

Ensuite, qui, mais qui a diri­gé Catherine Zeta-Jones ? Bon, Guzmán sur­joue un poil aus­si, mais Cath est tout sim­ple­ment à côté de ses pompes d’un bout à l’autre. Sa Morticia est une cari­ca­ture de celle d’Anjelica Houston, per­dant toute la grâce du per­son­nage et ne fai­sant res­sor­tir que ses aspects hau­tain et snob. En fait, on se demande par­fois si on a affaire à Cath jouant Morticia ou à Arielle Dombasle jouant, et bien… Arielle Dombasle.

Un fond de polar pour ados qui gagne tout de même un peu de hau­teur lors­qu’il parle de colo­ni­sa­tion, une ambiance pre­nante et réus­sie, des dia­logues splen­dides, une direc­tion d’ac­teurs capable du meilleur comme du pire, une dua­li­té gothique/normie par­fai­te­ment construite… Dans l’en­semble, Mercredi est une excel­lente série, bien meilleure que ce qu’on aurait pu craindre en lisant le synop­sis. Mais cer­tains détails ter­nissent un peu le tableau — ou, vu la mono­chro­mie assu­mée de l’hé­roïne, doit-on dire qu’ils le colorent ?

  1. Réalisateur des quatre pre­miers épi­sodes, pro­duc­teur, son empreinte est pal­pable sur l’en­semble de la série donc je l’ac­cole aux créa­teurs, voilà.