The Pitt
|de R. Scott Gemill, depuis 2024, ****
Le 19 septembre 1994, John Carter (non, rien à voir) entrait à l’hôpital du comté de Cook, où commençait sa première journée en tant qu’externe aux urgences. Personne ne savait, ce jour-là, que ce premier épisode, réalisé avec les moyens du bord après avoir failli devenir un téléfilm sous la pression de la chaîne, marquait le début de quinze saisons d’une des séries les plus populaires de la fin des années 1990 et des années 2000, ni que celle-ci allait changer en profondeur les trajectoires d’un sacré paquet d’acteurs, de scénaristes et de producteurs.
Trente ans plus tard, à 7 h du matin, Michael « Robby » Robinavitch prenait sa garde aux urgences de l’hôpital de Pittsburgh, où commençait la première journée d’un nouveau lot d’externes et d’internes placés sous sa supervision. Ça n’avait absolument rien à voir avec la série précédente, mais tout le monde allait immédiatement faire le rapprochement. Pour une raison simple : John et Robby sont joués par la même personne, Noah Wyle. Et R. Scott Gemill, créateur et producteur exécutif de la nouvelle série, était scénariste et producteur de l’ancienne. Et John Wells, producteur exécutif de l’une, avait dirigé les six premières saisons de l’autre.
Et pour être sûr que personne n’oublie de faire le rapprochement, la veuve de Michael Crichton, auteur initial de la série des années 90, a porté plainte contre les trois précédents en affirmant que leur nouvelle œuvre était un plagiat d’une suite jamais réalisée.
Voilà, l’éléphant est bien placé au centre de la pièce, tout le monde l’a vu. Ça, c’est fait. On va donc pouvoir l’oublier et parler de The Pitt, et rien que de The Pitt. Parce que voilà : The Pitt n’a rien à voir avec Urgences. Ça, c’est dit.

Donc, Robby dirige les urgences de l’hôpital de Pittsburgh. Il est sept heures du matin, il découvre quatre nouveaux étudiants, des lits occupés et une salle d’attente déjà pleine à craquer. Et nous allons suivre, grosso modo en temps réel au fil des quinze épisodes, la garde qui va se prolonger jusqu’à près de dix heures du soir, après plusieurs événements imprévus.
En résumant, The Pitt est la fusion d’une série médicale « sérieuse » (pensez aux premières saisons d’Urgences ou à Transplant plutôt qu’à Grey’s anatomy, par exemple) et de 24 heures chrono. Des premières, elle reprend le côté procédural, la prise en charge des patients étant au premier rang de l’action, et le casting choral où nombre de personnages variés sont traités avec une importance égale. De la seconde, elle reprend le tempo haletant et la narration en temps réel.

Le petit souci, c’est que même en admettant que les scénaristes ont choisi ce jour-là justement parce qu’il est exceptionnel, on ne peut s’empêcher de jauger la probabilité que tous les événements exceptionnels du scénario se produisent le même jour. Et qu’à la fin du calcul, on se dit que le premier lot du loto, finalement, c’est pas si délirant. Autrement dit, l’enchaînement des situations semble souvent artificiel, qu’il s’agisse de rajouter une couche de tension (une tonsillectomie qui dégénère en hémorragie) ou d’alléger l’ambiance (les paris sur une ambulance volée).
C’est sans doute la raison pour laquelle les séries réalisées en quasi-temps réel reposent habituellement sur une unité d’action, tandis que celles associant plusieurs événements en différents arcs narratifs s’étalent sur plusieurs mois. On a tous connu des journées de merde où on avait l’impression que tout nous tombait dessus en même temps, mais avec un peu de recul, on a réalisé qu’il s’agissait de trois ou quatre crises indépendantes, grand maximum. Là, les personnages sont jetés dans un maelström de difficultés qui s’empilent les unes sur les autres, et ça n’est tout simplement pas crédible.

— Et moi, infirmier urgentiste. Pareil.
- photo Max
C’est un peu dommage, parce qu’à côté de ça, The Pitt est extrêmement réussie. Certains personnages sont un peu « borderline », mais de manière relativement raisonnable : même si l’on peine à croire qu’autant de cas à problèmes soient réunis au même endroit, chacun est bien construit, avec une personnalité et des réactions cohérentes, des objectifs clairement définis (avec souvent une petite couche de buts cachés ou inconscients), des manières différentes de se comporter face aux diverses situations. Les membres du personnel ont tous à peu près autant d’importance et, même s’ils gravitent autour de Robby (logique, c’est le chef), celui-ci n’est qu’un rouage de la machine à laquelle les autres participent tout autant. Médecins, internes, externes, chirurgiens, urgentistes, pédiatres, mais aussi radiologues, infirmiers, brancardiers, assistants médicaux et travailleurs sociaux ont tous un rôle essentiel pour que ces urgences tournent.
Les personnages ont aussi l’occasion de montrer plusieurs facettes et de mettre en avant la complémentarité de caractères différents, comme lorsque la teigneuse arriviste, qui n’a pas arrêté de faire tout ce qu’elle pouvait pour prendre les patients les plus intéressants et de se moquer du passif hypersensible, lui sort brusquement un truc du style : « bon, celui-là, va falloir du tact, vas‑y, moi je saurai pas le gérer ». L’impact psychologique de passer sa vie à perdre des patients en essayant de les sauver est au cœur du sujet, notamment les traces de l’épidémie de covid qui, même pour les soignants expérimentés, reste un traumatisme profond. L’ensemble est donc très humain, avec des échanges naturels et variés entre des personnages complexes servis par un excellent casting.

Sur le plan médical, même si c’est pas mon domaine, la série semble assez bien faite. Les situations sont variées, de la bobologie tranquille aux urgences complexes en passant par une paire de petits mystères à résoudre. Le rôle des parents et des conjoints fait aussi partie du mélange, dans le positif comme dans le négatif, et les relations entre soignants, patients et accompagnants de ceux-ci est au cœur de certaines séquences. Avec, en passant, de petites piques bien placées sur ceux qui ont lu une page Wikipédia ou pire un post de Trump et prétendent mieux savoir que les médecins…
L’administration est également évoquée, souvent sous un jour plutôt critique. C’est elle qui refuse d’embaucher des gens parce que ça coûte cher, aboutissant à des lits fermés et des salles d’attente engorgées, des patients très très patients ou très énervés, et mettant tout le système sous tension. Mais, parfois, c’est aussi l’administration qui dit « stop », qui prévient la régulation du 911 que cet hôpital ne prendra plus personne, qui permet à l’équipe de jour de rester en renfort et qui passe en mode « quoi qu’il en coûte » pour limiter la casse.

La réalisation est excellente d’un bout à l’autre. Le montage est naturellement nerveux, mais sait se poser çà et là le temps d’une réflexion ou d’une (rare) pose. La gestion de l’éclairage est remarquable, les quelques passages sur le parking ou l’hélistation faisant brusquement prendre conscience que le monde extérieur continue à tourner pendant que les personnages sont coincés dans une éternelle bulle intemporelle de néons ou de LED « blanc froid ». Les trucs qui saignent saignent, sans excès gratuit mais sans pudeur absurde : il vaut mieux avoir l’estomac bien accroché, mais les réalisateurs évitent la surenchère gore. Et puisqu’on parle de pudeur, notons que la logique médicale est respectée : quand on découpe une chemise pour essayer de trouver ce qui saigne sous une cage thoracique, personne se demande si c’est un homme ou une femme ni s’il faudrait couvrir ce sein pour épargner les plus pudibonds. C’est tout bête, mais c’est assez rare dans une série américaine que les personnages n’aient juste rien à foutre de la nudité et que la réalisation ne cherche ni à montrer des tétons pour attirer le chaland ni à les cacher pour pouvoir passer aux heures de grande écoute.
Dans l’ensemble, cette première saison de The Pitt est très réussie. Elle souffre d’une faiblesse : le choix de la narration en temps réel, qui crée une journée artificiellement saturée d’événements qui n’ont aucune raison de se dérouler simultanément. Mais une fois ce point mis de côté, le rythme, les dialogues, les situations et les personnages présentés, les thématiques abordées frontalement ou par la bande, la réalisation soignée et le casting aux petits oignons sont autant d’ingrédients d’une recette prenante, variée et entraînante.