Stranger things

made­leine à la can­nelle et à la vanille de Matt et Ross Duffer, 2016

Vous avez l’âge d’a­voir vu Les goo­nies à six ans. À huit ans, vous avez fait des cau­che­mars pen­dant une semaine après avoir vu Indiana Jones et le temple mau­dit, et du coup vous avez pro­fi­té à onze ans de la pre­mière dif­fu­sion télé­vi­sée de E.T. ; dans la fou­lée, vous avez décou­vert et a‑do-ré Rencontres du troi­sième type et la sor­tie d’Alien 3 vous a per­mis de décou­vrir à la télé les deux pre­miers épi­sodes et de vous aper­ce­voir qu’il n’y a pas que Spielberg dans la vie. À peine plus tard, vous avez pas­sé vos same­dis soir d’a­do­les­cent à regar­der Aux fron­tières du réel. Bref, aujourd’­hui, vous avez trente-cinq ans, vos potes ne parlent que d’une nou­velle série qui leur rap­pelle leur enfance, et là, vous deve­nez curieux.

Alors, vous vous plon­gez dans Stranger things, en espé­rant que votre ques­tion récur­rente (« les made­leines sont-elles le gâteau à pâte molle déli­ca­te­ment par­fu­mé de vanille et de can­nelle que fai­sait ma mère ou le truc bour­ra­tif et sans saveur qu’on gri­gnote entre deux trains parce que c’est tout ce qu’on a pour 1,5 € à la SNCF de nos jours ? »), cette ques­tion donc connaî­tra une autre réponse qu’a­vec Tortues nin­ja.

Et à la fin, vous aimez vos potes.

E.T. ne tient plus dans le panier à bagages, mais il continue à pédaler de nuit avec ses potes. - photo Netflix
E.T. ne tient plus dans le panier à bagages, mais il conti­nue à péda­ler de nuit avec ses potes. — pho­to Netflix

Stranger things, c’est un patch­work de tout ce qui pas­sion­nait les minots des années 80–90 : aven­tures, SF, sus­pense, hor­reur soft, humour facile, le tout de pré­fé­rence avec des adultes qui pètent les plombs et des gamins qui sauvent le monde. La liste des réfé­rences est inter­mi­nable, l’ombre de Spielberg est omni­pré­sente (avec une touche de King et de Scott bien sûr), et le mélange de base pour­rait rap­pe­ler Super 8. Mais, même si j’ai bien aimé Super 8, on est ici un net ton au-des­sus : les hom­mages sont plus digé­rés, les per­son­nages plus creu­sés pour les sor­tir des cli­chés d’o­ri­gine, les intrigues prennent le temps de se déve­lop­per en pro­fi­tant à l’am­biance. La recons­ti­tu­tion du début des années 80 est éga­le­ment plus détaillée et les frères Duffer ont pu prendre le temps d’at­ta­quer leur his­toire et leurs per­son­nages sous une mul­ti­tude d’aspects.

Freaks…
Freaks…

On trouve ain­si la famille amé­ri­caine par­faite, avec la grande sœur bonne élève qui com­mence à fré­quen­ter des gar­çons à moi­tié recom­man­dables, le petit frère qui passe son temps à jouer à Donjons & Dragons et à faire des pro­jets de science, et leurs parents bien­veillants mais vague­ment décon­nec­tés. Au pas­sage, je suis extrê­me­ment sur­pris : peu ont cité Freaks and geeks dans les influences, alors que les Wheeler sont un calque par­fait des Weir.

…and geeks. - photos Netflix
…and geeks. — pho­tos Netflix

On voit un peu l’é­cole, avec son lot de petits cons qui ter­ro­risent les autres, ses spor­tifs popu­laires et ses intel­los parias. On voit aus­si la face B de la socié­té de l’é­poque, où les mères sépa­rées font beau­coup jaser et doivent enchaî­ner les petits bou­lots pour nour­rir leurs gosses, où ceux-ci sont lais­sés à l’é­cart comme si le divorce était une mala­die conta­gieuse, et où une ado­les­cente qui papote avec un autre que son spor­tif habi­tuel se fait rapi­de­ment trai­ter de traînée.

Et bien sûr, il y a les his­toires prin­ci­pales. Plusieurs dis­pa­ri­tions, une appa­ri­tion, une agence gou­ver­ne­men­tale mys­té­rieuse, une poi­gnée d’a­dultes qui deviennent obsé­dés par un détail au point de mettre leur entou­rage en dan­ger (tout le monde cite la mère du pre­mier dis­pa­ru, mais le shé­rif n’est pas loin der­rière), tout cela conver­geant pro­gres­si­ve­ment vers un finale par­fai­te­ment maî­tri­sé : la struc­ture de Rencontres du troi­sième type ren­contre les thèmes de Aux fron­tières du réel, et ça fonc­tionne excellemment.

Ben quoi ? On est en Indiana, on a seize ans, et vous trouvez bizarre qu'on achète un piège à ours, des balles de .38 et de quoi incendier un demi-parc naturel ? - photo Netflix
Ben quoi ? On est en Indiana, on a seize ans, et vous trou­vez bizarre qu’on achète un piège à ours, des balles de .38 et de quoi incen­dier un demi-parc natu­rel ? — pho­to Netflix

La réa­li­sa­tion est un peu moins remar­quable, et semble par­fois plus atta­chée à assem­bler les clins d’œil à ses influences qu’à trou­ver sa propre voix. Rien de grave, ras­su­rez-vous, mais les frères Duffer sont peut-être des scé­na­ristes plu­tôt que des réa­li­sa­teurs. La direc­tion d’ac­teurs est éga­le­ment un peu inégale, les gosses s’en sor­tant fina­le­ment par­fois mieux que les adultes — mais pour leur défense, la plu­part de ceux-ci ont des per­son­nages un peu stéréotypés.

Toute ressemblance avec Alien est totalement volontaire. - photo Netflix
Toute res­sem­blance avec Alien est tota­le­ment volon­taire. — pho­to Netflix

Mais l’am­biance est pre­nante, entre thril­ler x‑filesien, aven­tures e.t.aises et anti­ci­pa­tion alie­nesque. La varié­té thé­ma­tique et la pro­gres­sion par­fai­te­ment maî­tri­sée en font la made­leine par­faite pour les tren­te­naires actuels, mais la série a éga­le­ment sa propre tona­li­té et sait dis­til­ler ses influences pour don­ner un pro­duit ori­gi­nal. Bref, c’est une vraie réus­site, qu’il serait dom­mage de limi­ter à un retour en enfance pour nos­tal­giques des années 80 — même si c’est sans doute ce que je viens de faire.

Note per­son­nelle : il arrive que des per­son­nages ou des acteurs nous rap­pellent des gens que l’on connaît. Mais là, c’est car­ré­ment un sosie d’un copain de fac (avec dix ans de moins) et une sosie d’une atta­chée de presse (avec quinze ans de moins) qui sont au cœur de la deuxième par­tie de la série. C’est extrê­me­ment trou­blant, sur­tout que je suis pro­ba­ble­ment la seule per­sonne à connaître ces deux-là.