Westworld
|splendide éblouissement de Jonathan Nolan et Lisa Joy, depuis 2016 (saison 2 : ****) [Màj : saison 3 : **, saison 4 : fuyez pauvres fous, j’ai tenu deux épisodes.]
Le western est un truc intéressant : souvent présenté comme un genre, il est au moins aussi souvent utilisé comme un cadre. C’est-à-dire que le western, en tant que genre, se définit par des revolvers, une application plus ou moins existante de la Loi, la rude vie sur une « frontière » où tout paraît possible.
Mais aucun de ces éléments n’est caractéristique du western, et fort peu de films reposent entièrement sur le genre western (là, comme ça, je pense à Mort ou vif de Sam Raimi, et c’est le seul qui me vient). Le western, en vérité, est bien plus souvent un cadre, celui de l’ouest du territoire américain à l’époque où l’est se civilisait et voyait le Couchant comme une terre de liberté et d’aventures — des années 1820 aux années 1900, pour l’essentiel. Et en tant que cadre, le western peut servir à raconter ce que l’on veut : il a servi de toile de fond à des polars, à des comédies à l’eau de rose, à des films de vengeance, à des séries fantastiques, à des films d’horreur, à des fresques historiques, à des films de rencontre, à des parodies gaguesques, à des huis-clos politiques, à des films de guerre, à des survivals, à des films d’invasion…
Le western n’est pas le seul cadre ainsi pris pour un genre : la science-fiction offre la même ambiguïté. Comme genre, elle repose sur la présence de technologies qui n’existent pas encore, dans une société plus ou moins flippante, et cela n’a rien de spécifique. Mais, comme cadre, elle a hébergé des polars, des comédies à l’eau de rose, des films de vengeance, des films fantastiques, des films d’horreur, des fresques historiques, des films de rencontre, des parodies gaguesques, des huis-clos politiques, des films de guerre, des survivals, des séries d’invasion… et même des westerns.
Tout ceci pour dire qu’il n’est pas facile de savoir où ranger Westworld : est-ce un série western de science-fiction ou une série de science-fiction western ? Ou ni l’un ni l’autre ? Après tout, elle tient bien autant du thriller psychologique et de la quête initiatique, et repose bien plus sur les questions de libre-arbitre, de liberté et de responsabilité que sur une caractéristique habituelle du western ou de la SF.
Mais vous me direz que peu importe le tiroir dans lequel on range un truc : l’important est de savoir si c’est beau, si ça apporte quelque chose et si on l’aime.
Donc, pour la faire courte : oui, oui et oui.
Les fans de western apprécient les beaux paysages sauvages, la crasse et la poussière, les fans de SF goûtent les éclairages artificiels soignés et les rendus propres. Westworld propose logiquement tout ça, reprenant les paysages de John Ford, les bars de Sergio Leone, les plans larges de Clint Eastwood, les intérieurs de George Lucas, les compositions de Stanley Kubrick… Bref, la série joue élégamment avec les styles, offrant toujours une photo soignée et adaptée tout en passant de la poussière d’une plaine où glissent les crotales à l’asepsie d’une salle où opèrent des chirurgiens.
Mais j’ai envie de dire que Westworld est surtout utile. À l’heure où l’on s’interroge sur l’intelligence artificielle, où l’hypothèse de la singularité technologique arrive en force dans les médias (et plus seulement dans les histoires de science-fiction), où la simulation complète d’un cerveau humain semble à portée de main… Mais aussi à l’heure où, dans une société où tout danger est de plus en plus contrôlé, les jeux et spectacles semblent revenir à une violence plus directe (que l’on parle de MMA ou de Spartacus), où se conserve une fascination constante pour les vilains sans foi ni loi… Mais enfin, à l’heure où tous nos faits et gestes semblent traçables, identifiables, où il est plus que jamais question de retour à la nature, à une société simple où l’on vivrait sans rendre de comptes, où l’on rêve en somme d’un retour sur la frontière… Oui, Westworld est apporte quelque chose.
Car sous cette histoire d’androïdes qui dévient de leurs comportements programmés et semblent s’éveiller, sous cette histoire d’hommes qui jouent aux dieux et tentent de maîtriser leur vie et celle des autres, on retrouve bien des questions et angoisses de la société moderne. Westworld, le parc d’attraction, est pour ses visiteurs l’occasion unique de rechercher leur vrai moi, sans les interactions policées, la surveillance généralisée et l’environnement calibré de leur vie quotidienne. Pour les hôtes (les androïdes qui jouent cow-boys, pistoleros, putes et autres habitants du parc), il s’agit de savoir quelles sont les limites du libre-arbitre, d’où naît la conscience, et que faire de ce fardeau. Pour les créateurs du parc se pose la question de la responsabilité face au fruit de son travail et du droit divin de décider pour ses créatures. Enfin, pour tous, il faut explorer les limites de la morale et de la civilisation.
Les histoires sont entraînantes et bien menées, pleines de faux-semblants et d’enjeux individuels réussis. La construction est évidemment soignée : un jour, on s’apercevra que Jonathan Nolan est bien meilleur que son frère lorsqu’il s’agit de gérer le temps et l’espace pour brouiller les pistes. Les personnages sont bien écrits, équilibrés tant en genres qu’en caractères, et portés par un casting de tout premier choix. C’est une série à pistes, dont les tenants et aboutissants se dessinent progressivement au fil des épisodes ; elle demande un certain effort de son spectateur mais, en échange, elle dépasse largement le statut de simple divertissement et peut nourrir moult réflexions sur la vie, l’univers et tout le reste.
Soyons honnêtes : la seconde saison est un ton en-dessous. Pas par les thématiques abordées ou les questions posées ; bien au contraire, dans ces domaines, elle poursuit et étend la première saison et la pousse à des niveaux inattendus. Mais Jonathan a sans doute voulu pousser un peu trop loin ses mélanges d’intrigues et là où la première saison est parfaitement équilibrée, exigeante mais claire, la seconde devient çà et là plus confuse, moins précise. Cela reste tout de même fascinant, tant par l’évolution de certains personnages (ah, Emily, on se demande ce que tu fous là pendant trois épisodes mais quand on comprend à quoi tu sers !…) que par l’ouverture sur la question réciproque de l’intelligence artificielle : si un androïde peut acquérir une personnalité, un humain peut-il n’être qu’un programme ?
Voilà donc une série à aimer, à adorer même pour sa première saison. Comme tout scénario du petit Nolan, il faut suivre avec attention, mais le résultat est splendide, techniquement, humainement et philosophiquement.