Mars attacks !

de Tim Burton, 1996, ****

Dans les années 60, sur­fant sur la popu­la­ri­té des illus­trés de science-fic­tion, Topps lan­çait une série de cartes à échan­ger racon­tant l’his­toire de l’in­va­sion de la Terre par des Martiens à cer­veaux appa­rents. Un peu trop gores au goût des parents, les cartes ont rapi­de­ment été reti­rées de la cir­cu­la­tion et font depuis l’ob­jet d’une quête assi­due des collectionneurs.

Carte issue de la collection originale de Mars attacks. image Topps scannée par Keith Bates
Carte issue de la col­lec­tion ori­gi­nale de Mars attacks. image Topps scan­née par Keith Bates

Qui donc aurait pu avoir l’i­dée tor­due d’a­dap­ter leur scé­na­rio bête et méchant au ciné­ma ? Oui, moi aus­si, j’au­rais bien misé sur Tarantino, mais il se trouve que c’est Tim Burton qui a décro­ché le pom­pon. Plutôt que de faire une série Z au pre­mier degré adap­tant direc­te­ment les cartes, il a choi­si d’en­fon­cer le clou et d’u­ti­li­ser ce maté­riau brut pour faire une paro­die des films d’in­va­sion, mul­ti­pliant à l’en­vi les lou­fo­que­ries variées.

Le résul­tat est fran­che­ment cré­tin. Totalement, déli­bé­ré­ment, abso­lu­ment cré­tin. Les humains sont des cari­ca­tures ambu­lantes, ambi­tieux, arri­vistes, stu­pides, obsé­dés, dégueu­lasses et incultes, et les Martiens sont des sadiques d’une inven­ti­vi­té inépui­sable pour tuer des gens. Mais c’est là que ça devient vrai­ment drôle : les scé­na­ristes ont en effet dû s’a­li­gner et faire preuve d’une créa­ti­vi­té per­ma­nente. Ainsi, quand un lot de boy-scouts cherchent à évi­ter un obé­lisque qu’une sou­coupe volante cherche à leur faire tom­ber des­sus, c’est un jeu de balan­cier façon Charlie Chaplin qui se met en place : le film n’est pas juste cré­tin, il est aus­si burlesque.

Pour faire une belle explosion, il vous faut : un morceau de carton-pâte déjà mâché, un briquet, de l'imagination. capture Warner bros
Pour faire une belle explo­sion, il vous faut : un mor­ceau de car­ton-pâte déjà mâché, un bri­quet, de l’i­ma­gi­na­tion. cap­ture Warner bros

Ce côté déca­lé a un deuxième inté­rêt : mas­quer son âge. Mars attacks ! avait mas­si­ve­ment recou­ru aux images de syn­thèse, ce qui nous fait dire « oh putain ça a dû mal vieillir ça ! » dès qu’on y pense. Et puis voi­là, on le revoit, et non, ça n’a pas vieilli : ça n’a­vait aucune visée réa­liste et si les explo­sions ont l’air spec­ta­cu­lai­re­ment fausses selon les stan­dards actuels, ça ren­force fina­le­ment plu­tôt le film !

Cela n’empêche pas Burton de glis­ser quelques piques plus sérieuses en pas­sant. Ce n’est pas inha­bi­tuel chez lui, mais il ne se limite pas à la petite bour­geoi­sie ban­lieu­sarde qu’il cari­ca­tu­rait déjà dans l’u­ni­vers propre et lisse d’Edward aux mains d’argent : ici, tout le monde en prend pour son grade, les mili­taires va-t-en-guerre échap­pés de Docteur Folamour ou : com­ment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe, le pré­sident décon­nec­té qui ne com­prend rien à ce qu’il se passe, la presse arri­viste et super­fi­cielle qui inter­roge des « spé­cia­listes » incom­pé­tents, les beaufs ordi­naires atta­chés à leurs flingues et à leurs télé, les entre­pre­neurs qui ven­draient père et mère pour trois dollars…

M'en fiche, ils auront pas la télé ! capture Warner bros
M’en fiche, ils auront pas la télé ! cap­ture Warner bros

Même les réa­li­sa­teurs de films d’in­va­sion, qui recourent sou­vent à des arti­fices un peu trop capil­lo­trac­tés pour jus­ti­fier la vic­toire ter­rienne au bout du compte, en prennent pour leur grade : ici, c’est l’é­qui­valent amé­ri­cain de Mireille Matthieu qui sauve le monde, dans un finale plus ridi­cule que toute l’œuvre de Roland Emmerich réunie.

Avec le recul, il y a un autre point auquel je n’a­vais pas fait gaffe à l’é­poque : la qua­li­té glo­bale du cas­ting est assez stu­pé­fiante. Nicholson, Close, DeVito ou Fox étaient déjà des stars ins­tal­lées, Brosnan venait de faire son pre­mier Bond, Sidney pour­sui­vait son inter­mi­nable car­rière, Tom Jones était en plein revi­val (le genre d’ac­ci­dent dont on se serait pas­sé), Bening avait déjà eu la pre­mière de ses innom­brables nomi­na­tions aux Oscars (tu l’au­ras un jour, tu l’au­ras)… Si la pres­ta­tion de Nicholson est sans doute mar­quante, il n’y a pas un pre­mier rôle qui domine réel­le­ment les autres et nombre de per­son­nages ont droit à une vraie pres­ta­tion, lais­sant une bat­te­rie d’ac­teurs connus se mettre en valeur à tour de rôle — ain­si que quelques jeunes pas encore tous très connus, comme Black et Portman.

Le résul­tat est un délire bien déjan­té, fort amu­sant, qui a plu­tôt mieux vieilli que bien des films sérieux de la même époque, et où on peut s’a­mu­ser à voir plein de gens dont on avait oublié la pré­sence. Ça ne bou­le­verse évi­dem­ment pas la phi­lo­so­phie contem­po­raine, mais c’est un bon moment assu­ré, sauf peut-être pour ceux qui n’aiment pas voir des sque­lettes et des crânes éclatés.