Battlestar Galactica

de Ronald Moore, 2003–2008, ****

Boum. Douze pla­nètes, douze attaques simul­ta­nées, douze civi­li­sa­tions détruites.

C’est le point de départ de l’his­toire : les Cylons, être cyber­né­tiques créés par l’homme, sont reve­nus détruire leur créa­teur. Par chance, quelques vais­seaux en voyage spa­tial à ce moment par­viennent à sur­vivre ; regrou­pés en flotte hété­ro­clite, ils naviguent de conserve sous la pro­tec­tion du Galactica, un « bat­tles­tar » vieux d’une qua­ran­taine d’an­nées et proche de la retraite. Objectif : échap­per aux Cylons… et trou­ver une pla­nète habi­table pour leurs cin­quante mil­liers d’occupants.

La SF a connu deux âges. Celui où tout est propre et moderne, sym­bo­li­sée par Star trek, témoin d’un pro­grès qui change les choses pour le meilleur ; et celui où tout est crade et déglin­gué, lan­cée par Alien, le hui­tième pas­sa­ger et mon­trant que si les moyens changent, la nature humaine se charge de tout trans­for­mer en poubelle.

Battlestar Galactica se range clai­re­ment dans le second âge. Le Galactica est vieux et fati­gué, ses sys­tèmes sont hors d’âge — c’est d’ailleurs la rai­son pour laquelle il a sur­vé­cu : ses ordi­na­teurs étaient trop vieux pour être atta­qués par le virus Cylon qui a neu­tra­li­sé le reste de la flotte — et son équi­page le main­tient en état en bri­co­lant struc­ture et équi­pe­ments avec les moyens du bord. Les vais­seaux civils sont dans des états variables, de tout neuf pour Colonial 1, vais­seau de croi­sière de luxe, à pou­belle à deux doigts de l’é­pave pour les car­gos et utilitaires.

L’État est désor­ga­ni­sé : le pré­sident des Colonies et son gou­ver­ne­ment ont été détruits dans les attaques et c’est la secré­taire d’État à l’é­du­ca­tion Roslin qui devient « la plus ancienne dans le grade le plus éle­vée » et doit donc diri­ger les sur­vi­vants. Ça ne sera pas sans mal : les mili­taires sont, eux, sous les ordres du com­man­deur Adama, proche de la retraite, mais res­pec­té et recon­nu dans la flotte, qui ferait un lea­der bien plus natu­rel qu’une « maî­tresse d’é­cole » fina­le­ment peu au fait de la chose poli­tique. Et bien enten­du, les res­sources manquent, les stocks des vais­seaux n’é­tant pas inépui­sables, et il faut trou­ver et attri­buer l’éner­gie et les vivres gla­nés en route au fil des pla­nètes visitées.

Globalement, on peut donc dire que mal­gré quelques trucs bizarres (fire­walls vus comme des for­te­resses, tra­jec­toires « aériennes » des vais­seaux spa­tiaux…), la plau­si­bi­li­té est la pre­mière qua­li­té de Battlestar Galactica. Série sans illu­sion sur la nature humaine, elle décrit les nom­breux conflits moraux, idéo­lo­giques et per­son­nels qui peuvent s’ins­tal­ler dans une com­mu­nau­té de groupes contraints à la coha­bi­ta­tion. Des cré­tins droits dans leurs bottes, loyaux et atta­chés aux prin­cipes (dont le capi­taine Adama, fils du com­man­deur) côtoient des mani­pu­la­teurs-nés, cyniques et arri­vistes, des habiles poli­ti­ciens plus ou moins hon­nêtes quand ils disent œuvrer pour le bien com­mun, des têtes brû­lées carac­té­rielles, des repris de jus­tice (un des vais­seaux sur­vi­vants était une pri­son), des ivrognes avec un bon fond, des ivrognes avec un mau­vais fond, bref, toute la pano­plie de l’hu­ma­ni­té dans ce qu’elle a de grand et de pourri.

Pour com­pli­quer les choses, il y a les Cylons huma­noïdes — car les robots ont appris à bri­co­ler l’ADN et ont créé des humains pro­gram­més, capables de se glis­ser dans la com­mu­nau­té humaine et d’y pas­ser inaper­çus. Ils peuvent igno­rer leur vraie nature et se croire humains jus­qu’au moment où leur pro­gramme entre en jeu, ou se savoir Cylons et jouer cyni­que­ment leur rôle, ou encore se savoir Cylons et s’hu­ma­ni­ser au point de rejoindre l’hu­ma­ni­té — des machines avec un libre-arbitre, c’est pas aus­si fiable qu’un robot.

L’ensemble per­met à la série d’ex­plo­rer plein de choses. Certains épi­sodes (notam­ment le pre­mier, conçu comme un télé­film de trois heures sépa­ré de la série mais qu’il faut voir impé­ra­ti­ve­ment avant la sai­son 1) sont des concen­trés d’ac­tion ; d’autres, de longues réflexions intros­pec­tives. On peut assis­ter à des manœuvres mili­taires tac­tiques (un bat­tles­tar est un vais­seau ami­ral, ras­sem­blant les rôles de porte-avions et de croi­seur, avec quelques carac­té­ris­tiques d’un cui­ras­sé en prime), à une gué­rilla de sur­vi­vants sur une pla­nète occu­pée, à des chas­sés-croi­sés amou­reux inha­bi­tuel­le­ment réa­listes (l’a­mour, c’est un besoin vital qui fait faire plein de conne­ries, nour­rit les frus­tra­tions et cause plus de dou­leurs que de bon­heur), à des coups d’État mili­taires, à des coups d’État civils, à des négo­cia­tions vicieuses et des crises d’héroïsme…

La reli­gion est un aspect récur­rent de la série mais, contrai­re­ment aux bonnes habi­tudes amé­ri­caines, elle n’est pas pré­sen­tée comme une véri­té allant de soi : il y a plu­sieurs reli­gions, plus ou moins incom­pa­tibles, plus ou moins per­ni­cieuses, plus ou moins enne­mies, et cer­tains per­son­nages sont ouver­te­ment athées. Surtout, les reli­gions ne sont pas le che­min de la véri­té : comme le reste, elles sont un moyen plus ou moins effi­cace de plon­ger l’hu­ma­ni­té dans le chaos et, si l’on craint un temps que suivre une pro­phé­tie soit la voie de la sagesse, ça tourne rapi­de­ment à la catas­trophe (la décou­verte de la Terre devrait res­ter dans les annales mon­diales des meilleurs moments de série télé, au cha­pitre « tra­gique désillusion »).

La nature humaine est explo­rée de mul­tiples façons, avec bien sûr la limite des Cylons pro­gram­més pour se croire humains, mais aus­si les doutes des humains nor­maux : « où vais-je ? » est évi­dem­ment une ques­tion omni­pré­sente (rap­pe­lons que toute la série suit un exode), mais « qui suis-je ? » est éga­le­ment une inter­ro­ga­tion récur­rente, que ce soit pour le fils qui se construit contre le père, le capi­taine qui doit déci­der d’o­béir au com­man­deur ou de suivre la pré­si­dente de la République, la fon­ceuse qui hésite entre se poser avec un mec et conti­nuer la chasse, le traître qui n’ar­rive pas à choi­sir un camp, la défen­seuse des droits des femmes confron­tée à la néces­si­té de sou­te­nir la nata­li­té pour la sur­vie de l’es­pèce, et aus­si le Cylon qui doute de la légi­ti­mi­té de la des­truc­tion de l’hu­ma­ni­té ou de la lobo­to­mie d’autres Cylons… Et rares sont les séries trai­tant aus­si régu­liè­re­ment de la dépres­sion, de l’al­coo­lisme et du suicide.

Il y a aus­si quelques pas­sages assez comiques, comme le match de boxe orga­ni­sé pour que l’é­qui­page du Galactica puisse relâ­cher un peu la pres­sion, ou tou­chants comme les échanges mal­adroits entre Dee et Billy ou entre la pré­si­dente et l’amiral.

Dans l’en­semble, Battlestar Galactica est donc une série com­plexe, qui va bien au delà de la simple série de SF — même un huis-clos bien fou­tu comme Stargate : uni­verse — pour évo­quer plein d’as­pects dif­fé­rents de l’hu­ma­ni­té, des­si­nant une trame glo­bale où la nature humaine elle-même est au cœur du pro­pos et pré­pa­rant une fin rela­ti­ve­ment déprimante.