Altered carbon

de Laeta Kalogridis, 2018, ****

C’est l’his­toire d’un mec qui a été assas­si­né, pour de vrai : non seule­ment son corps, mais aus­si la pile qui contient sa conscience ont été détruits. Bien sûr, comme il était très, très riche, il avait pu copier régu­liè­re­ment ses don­nées, et il avait même des clones pour faire ré-enve­lop­per sa der­nière sau­ve­garde dans un corps iden­tique au sien : tout ce qu’il a per­du, c’est une jour­née de sou­ve­nirs. Mais il vou­drait bien savoir qui l’a fait assas­si­ner et, vu que la fli­caille a un rap­port discrétion/efficacité dis­cu­table, il pré­fère faire sor­tir de sus­pen­sion Kovacs, un type au pas­sé trouble, ancien mili­taire doué pour l’in­tel­li­gence comme pour le com­bat. Enveloppé dans le corps par­fai­te­ment entre­te­nu d’un flic récem­ment sus­pen­du, voi­là donc Kovacs à la recherche des assas­sins de son employeur.

Je suis riche, très riche, je sais faire des affaires, et je peux vous sor­tir défi­ni­ti­ve­ment de sus­pen­sion. Ça doit vous inté­res­ser, non ? — pho­to Netflix

Sur le fond, c’est donc une his­toire de détec­tive assez clas­sique, qui reprend tous les codes du polar noir à l’an­cienne : cor­rup­tion omni­pré­sente, pauvres très pauvres et riches très riches, bas-fonds urbains délais­sés des auto­ri­tés, per­son­nages louches, vio­lence et pros­ti­tu­tion. Sur la forme, c’est entre anti­ci­pa­tion pes­si­miste et cyber­punk, dans une ambiance qui rap­pelle for­te­ment Blade run­ner. On y parle évi­dem­ment de flics, d’as­sas­sins, de vic­times, de pauvres gens qui sur­vivent comme ils peuvent, de richis­simes intou­chables qui se per­mettent tous les crimes.

Ceci dit, le vrai sujet de la série, c’est la conscience, et plus par­ti­cu­liè­re­ment le rap­port entre la conscience et la mort. Reste-t-on soi-même lors­qu’on est ré-enve­lop­pé dans un autre corps ? Est-on une conscience lors­qu’on est conscient d’être arti­fi­ciel ? Garde-t-on une conscience lorsque le trans­fert d’en­ve­loppe en enve­loppe nous rend immor­tel ? Et d’ailleurs, la sau­ve­garde et le trans­fert de conscience rendent-ils vrai­ment immortel ?

Ils sont mignons tous ces cathos qui sont contre la résur­rec­tion, mais si ça per­met d’a­voir le témoi­gnage d’une vic­time de meurtre pour mettre un assas­sin hors d’é­tat de nuire ?… — pho­to Netflix

Ambiance tra­vaillée, acteurs soi­gneu­se­ment sélec­tion­nés, per­son­nages bien écrits, enjeux poli­tiques, sociaux, humains et même fami­liaux, réfé­rences his­to­riques et lit­té­raires, tout est là pour faire une très grande série d’an­ti­ci­pa­tion noire. Et on n’en est pas loin : le seul pro­blème, ce sont les rup­tures de rythme d’une séquence à l’autre, qui nuisent un peu au main­tien d’une ambiance constante. Dans une nar­ra­tion glauque, pre­nante et oppres­sante, cer­tains pas­sages sont juste assez lan­guis­sants pour qu’on se rap­pelle que ce n’est qu’une série télé — sans pour autant être clai­re­ment des­ti­nés à allé­ger le propos.

Non, la musique n’est pas de Vangelis. D’ailleurs l’am­biance n’est pas de Ridley Scott. Officiellement. — pho­to Netflix

Ne tirons pas sur le pia­niste : c’est tout de même très bon et hau­te­ment recom­man­dable, et cela confirme le renou­veau de la science-fic­tion noire sur nos écrans.