Premier contact

de Denis Villeneuve, 2016, ***

Commençons par un petit truc que peu ont rele­vé : ceci n’est pas un film de science-fiction.

Oh, bien sûr, on a des extra-ter­restres qui débarquent, des gens en sca­phandre qui vont les voir, tout ça. Mais c’est bien le seul truc qui per­met de rat­ta­cher le der­nier Villeneuve à la SF.

Okay, admettons : ça a des aspects SF. Parfois. - photo Sony Pictures
Okay, admet­tons : ça a des aspects SF. Parfois. — pho­to Sony Pictures

En fait, la tona­li­té est bien plus proche de celle du thril­ler psy­cho­lo­gique, avec une touche de poli­tique-fic­tion et une bonne lichette de mélo. Dans le rôle de l’en­quête, l’in­ter­pré­ta­tion de deux lan­gages extra-ter­restres qui ont en com­mun d’être intem­po­rels — une phrase n’a pas un début, un milieu et une fin, mais est un tout à inter­pré­ter en une fois. La théo­rie selon laquelle le lan­gage influence la manière même de conce­voir la réa­li­té est au cœur de l’in­trigue ; cela devrait rap­pe­ler des sou­ve­nirs aux fans de Babel 17, mais ici les extra-ter­restres n’entrent pas en guerre ouverte et tout l’en­jeu est de com­prendre leurs inten­tions. Bien enten­du, le pro­blème est pla­né­taire, chaque pays ayant ses propres opi­nions sur la bonne façon de trai­ter avec les intrus et chaque tra­duc­teur ayant ses propres inter­pré­ta­tions sur ces putains de langues imbi­tables (ça, là, ça veut dire « outil » ou « arme » ?). Mais tout cela n’est qu’un pré­texte pour par­ler de l’hé­roïne, de l’en­fant qu’elle a, qu’elle conçoit et qu’elle perd (phrase volon­tai­re­ment au présent).

Donc ça, c'est… Un mot ? Un idéogramme ? Une phrase ? Un syntagme ? - photo Sony Pictures
Donc ça, c’est… Un mot ? Un idéo­gramme ? Une phrase ? Un syn­tagme ? — pho­to Sony Pictures

Est-ce que ça fonc­tionne ? Oui, par­fois. La scène d’ou­ver­ture est fran­che­ment ratée (Denis, va voir Alabama Monroe si tu veux apprendre com­ment pré­sen­ter la perte d’un enfant), le finale est lar­moyant et un poil mora­li­sa­teur (ah oui, tout est écrit donc il faut aimer la vie mal­gré tout, vrai­ment ?), bref, c’est nul…

Mais il y a entre les deux 1 h 45 d’un thril­ler extrê­me­ment pre­nant, qui désta­bi­lise d’en­trée avec une gra­vi­té à la Inception mâti­née de plans ouver­te­ment kubri­ckiens, et où des ques­tions qu’on se pose plu­tôt rare­ment nous explosent à la figure dans une intro­duc­tion au lan­gage à la fois acces­sible et spec­ta­cu­laire. La façon dont le doc­teur, en com­men­çant peu à peu à pen­ser en hep­ta­pode, voit sa per­cep­tion de la réa­li­té évo­luer, est aus­si pas­sion­nante que celle dont, mal­gré un lan­gage com­mun bien maî­tri­sé, elle a fina­le­ment du mal à com­mu­ni­quer avec les mili­taires et les autorités.

Vous aurez noté que je n’ai pas par­lé réa­li­sa­tion, mon­tage, son, acteurs, etc. : c’est qu’il n’y a rien à dire là-des­sus, c’est beau, c’est bien fait, l’am­biance et le rythme sont par­fai­te­ment gérés et les per­son­nages sont remar­qua­ble­ment interprétés.

Au fond, le vrai sujet, c'est ça : ce qu'elle a dans la tête, la mélancolie, la perte, la reconstruction. - photo Sony Pictures
Au fond, le vrai sujet, c’est ça : ce qu’elle a dans la tête, la mélan­co­lie, la perte, la recons­truc­tion. — pho­to Sony Pictures

Finalement, ce film me laisse un goût dif­fi­cile à décrire (et ça fait quatre jours que je cherche…). D’un côté, le thril­ler chom­skien sur fond de SF m’a énor­mé­ment par­lé, m’a embar­qué dans un voyage sur la per­cep­tion et la com­mu­ni­ca­tion et m’a pro­fon­dé­ment séduit, presque à la façon d’un Inception ou d’un Cloud atlas. De l’autre, cet espèce de mélo mora­li­sa­teur qui boucle les cinq der­nières minutes m’a mis pro­fon­dé­ment mal à l’aise et m’a fait dépri­mer pen­dant trois jours. Du coup, je ne sais vrai­ment pas s’il faut le louer ou le honnir…