Barbie

de Greta Gerwig, 2023, ****

Je vous vois venir, bande de moqueurs. Non, j’ai pas per­du un pari. Oui, je suis allé voir ça de mon plein gré. D’abord, parce que la bande-annonce pro­met­tait un second degré inat­ten­du de la part de Mattel. Ensuite, parce que Margot Robbie a un très bel his­to­rique de jouer sur son phy­sique de femme fatale (qu’il s’a­gisse de le mettre en valeur, de l’a­bî­mer volon­tai­re­ment ou d’en faire une pou­pée psy­cho) pour faire du trash. Ajoutons que Greta Gerwig a réus­si à m’in­té­res­ser aux filles du pas­teur, et vous com­pren­drez que la vision de Ryan Gosling en homme-objet débile et une scène détour­née de Matrix m’aient atti­ré l’œil.

Ken plagiste
Salut, je suis Ken ! Je suis un acces­soire ! Je vais à la plage en espé­rant que Barbie me regarde ! — pho­to Warner Bros

Donc, Barbie. Barbie, plus pré­ci­sé­ment Barbie Stéréotypique, vit une vie de rêve, avec une mai­son de Barbie, des amies Barbie (Barbie Présidente, Barbie Doctoresse, Barbie PDG, Barbie Astronaute, etc.), une Corvette de Barbie, des vête­ments de Barbie, une plage de Barbie, et un Ken Àlaplage qui aime­rait bien pas­ser la nuit chez elle mais il sait pas trop pour quoi faire en fait.

Mais Barbie Stéréotypique a un pro­blème. Un soir, elle pense à la mort. Le len­de­main, sa douche n’est pas par­faite, et ses pieds tombent à l’é­querre – ses talons touchent le sol, une hor­reur ! Que se passe-t-il ? Risque-t-elle de deve­nir une Barbie Flippante, cas­sée, pein­tur­lu­rée et cabossée ?

Barbie Flippante regarde les pieds plats de Barbie Stéréotypique
Effectivement, tes pieds sont pas nor­maux. T’es bien par­tie pour finir comme moi… — pho­to Warner Bros

Alors voi­là. On sent bien, çà et là, la patte de Mattel, pour qui il n’est pas ques­tion de tou­cher à sa poule aux œufs d’or. Mais on sent aus­si que Greta Gerwig a pro­fi­té de larges liber­tés (ou s’est appro­prié cer­taines liber­tés…), notam­ment avec une ouver­ture qu’on pour­rait inti­tu­ler L’aube de la pou­péï­té où Barbie, sym­bole de moder­ni­té, est aus­si mise en scène comme un pré­sage des­truc­teur. On trouve aus­si çà et là une petite cri­tique de Mattel et des per­son­nages oubliés et mépri­sés, comme Allan, l’a­mi de Ken qui peut lui piquer ses fringues – et qui n’a abso­lu­ment aucune autre carac­té­ris­tique. Le paral­lèle entre Barbie Land et le monde réel est flip­pant des deux côtés, et les intru­sions de l’un dans l’autre donnent le désa­gréable sen­ti­ment que l’hu­ma­ni­té aime bien com­bi­ner le pire de deux solu­tions pour opti­mi­ser la catas­trophe. Et plus le film est rose, plus le fond est noir.

Il y a aus­si de nom­breuses réfé­rences ciné­ma­to­gra­phiques, au-delà de l’ou­ver­ture kubri­ckienne. Je vais pas les lis­ter, mais cela va du film noir à la comé­die roman­tique en pas­sant par les délires à la Wes Anderson. On glisse des réfé­rences jusque dans le cas­ting : par exemple, quand on cherche dans le monde réel la source des maux qui menacent de trans­for­mer Barbie Stéréotypique en Barbie Flippante, on tombe sur une gamine inter­pré­tée par Ariana Greenbalt – qui jouait la petite sœur qui pas­sait son temps à mas­sa­crer ses pou­pées dans Harley, le cadet de mes sou­cis1.

Barbie débarquant devant des ados
Hello, je suis votre pou­pée pré­fé­rée, celle grâce à qui les filles peuvent être ce qu’elles veulent ! — pho­to Warner Bros

L’ensemble per­met à l’au­trice de tou­cher un peu tous les publics et d’a­bor­der un peu tous les sujets, avec dif­fé­rents niveaux de lec­ture : des gags rigo­los pour les minots peuvent être grin­çants pour leurs parents, ce qui per­met­tra à tout le monde d’y trou­ver son compte. Bon, le mes­sage fon­da­men­tal (le patriar­cat, c’est nul, mais un uni­vers qui tour­ne­rait tota­le­ment autour des femmes ne vau­drait pas mieux, cha­cun et cha­cune doit avoir sa place) n’est pas vrai­ment dis­cret, mais les détour­ne­ments sont suf­fi­sam­ment réus­sis pour que le film fonc­tionne bien. C’est ryth­mé, on rit régu­liè­re­ment, pas tou­jours tout le monde aux mêmes choses, bref, ça marche.

Et puis, bon, le film est décon­seillé aux moins de 13 ans aux États-Unis (sans doute parce qu’on entend « vagin » et « pénis », ou même « patriar­cat ») : rien que ça devrait vous convaincre qu’il est meilleur que ce qu’on atten­drait d’une his­toire de poupées.

Reste une grosse fai­blesse. Oui, le finale. Très che­lou et pas du tout rac­cord avec le reste. Après un film qui dit « ça doit pas être le monde de Barbie où Ken est juste un acces­soire, ni un monde de tes­to­sté­rone et de che­vaux où les femmes apportent les bières » et « femme ou homme, on doit pou­voir être astro­naute, chef d’État, man­ne­quin, PDG, ouvrier ou ouvrière, sur­feur ou sur­feuse, ou même sim­ple­ment un être humain ordi­naire », on nous pond une chute qui dit en gros : « l’es­sen­tiel c’est la famille, faut être parent, tout ça ». Même si on glisse dis­crè­te­ment qu’on peut aus­si ne pas avoir d’en­fant, la conclu­sion du film reste un éloge de la famille et de la repro­duc­tion, d’au­tant plus hors sujet que l’ou­ver­ture cri­ti­quait jus­te­ment le pou­pon clas­sique qui rédui­sait toutes les petites filles à leur sta­tut sup­po­sé de futures mères.

Barbie et Ken dans le monde réel
C’est bizarre, depuis qu’on est dans ce « monde réel », les hommes me regardent bizar­re­ment, je me sens pas tout à fait en sécu­ri­té, et j’ai l’im­pres­sion que si je garde pas ce sou­rire idiot il va m’ar­ri­ver des trucs… — pho­to Warner Bros

Mais jus­qu’à ces cinq der­nières minutes, le film joue avec suc­cès sur plu­sieurs tableaux, navigue avec une cer­taine élé­gance (mal­gré des fonds roses qui piquent) entre de nom­breux écueils, et va par­fois jus­qu’à l’au­to­cri­tique – avec une superbe voix off d’Helen Mirren. C’est donc dans l’en­semble plu­tôt réus­si, mal­gré quelques mes­sages assé­nés avec insis­tance et quelques chan­sons un poil longues2. En tout cas, c’est clai­re­ment meilleur que ce que j’en attendais.

  1. Le brouillon est dans un coin de ce blog, faut que je me décide à rédi­ger l’ar­ticle, ça pour­sui­vra la série après Malcolm et The middle.
  2. À ce sujet, on regret­te­ra sur­tout l’in­cu­rie de la tra­duc­tion, qui sous-titre la moi­tié des paroles et oublie les autres, sans aucune cohérence.