Birds of Prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn

de Cathy Yan, 2020, ****

J’étais inquiet. Très inquiet.

Certes, Margot Robbie en Harley Quinn était à peu près le seul truc qui fonc­tion­nait vague­ment dans Suicide squad, même si elle était affli­gem­ment gentille.

Mais quand même, j’é­tais inquiet. Parce que qui qu’on soit, quoi qu’on fasse, on ne passe pas impu­né­ment après Suicide squad. Surtout avec une bande-annonce qui joue elle aus­si sur le côté « hey, je suis mau­vaise, psy­cho­pathe, vio­lente, j’ose tout », qui avait tant nour­ri la décep­tion de voir un film gen­tillet et pro­pret digne de Petit ours brun. Chat échau­dé craint l’eau froide : quand pen­sait aller voir Ranx et qu’on s’est retrou­vé devant Laurent Romejko, puis qu’on voit débar­quer quel­qu’un qui dit « moi c’est Lubna », on a un peu peur de perdre deux heures à regar­der Arielle Boulin-Prat se prendre pour Tina Turner.1

J’avoue, les pré­ju­gés, c’est mal.

Roller derby dans Birds of prey
Mon mec m’a pla­quée, qu’est-ce qui pour­rait me per­mettre de me pas­ser les nerfs ?… Oh tiens, le rol­ler der­by, ça a l’air fun. — pho­to Warner Bros

Donc voi­là. Harley n’est plus sous la pro­tec­tion du Joker, et… Ah oui, déjà : exit le Joker tout pour­ri de David Ayer, on le voit trois secondes à peine. Vous n’i­ma­gi­nez pas le sou­la­ge­ment. Enfin si, si vous avez vu Suicide squad, vous ima­gi­nez très bien.

Je disais donc : Harley n’est plus sous la pro­tec­tion du Joker, et du coup, le champ est libre pour tous ceux, à Gotham et dans les envi­rons, qui veulent lui faire la peau. Et vu son carac­tère un peu san­guin et vague­ment sadique, ça fait du monde. Elle va donc rebon­dir de ten­ta­tive d’as­sas­si­nat en ten­ta­tive d’as­sas­si­nat, essayant de trou­ver des alliées là où elle peut, tout en mul­ti­pliant les grosses explo­sions parce que c’est fun, les grosses explosions.

Donc voi­là. Est-ce que c’est intel­li­gent ? Non. Mais c’est pas cen­sé l’être.

Margot Robbie devant une explosion
Ah, voi­là, faire péter des usines, ça ça sou­lage. — pho­to Warner Bros

Est-ce que c’est rigo­lo ? Oui, sou­vent. Pas tou­jours très déli­ca­te­ment, mais bon, la déli­ca­tesse, quand on a comme ani­mal de com­pa­gnie une hyène bap­ti­sée Bruce…

Donc c’est rigo­lo si on trouve rigo­lo de voir un gros con se faire explo­ser les gonades à pieds joints, si on trouve rigo­lo que l’hé­roïne perde com­plè­te­ment le fil de ses propres idées, si on trouve rigo­lo de voir Obi-Wan Kenobi s’ad­mi­rer le nom­bril, si on trouve rigo­lo de tom­ber sur des réfé­rences sha­kes­pea­riennes au milieu de pota­che­ries ridi­cules, si on trouve rigo­lo de voir sur­gir au débot­té en pleine course-pour­suite un dis­cours sur en quoi « bitch » est moins miso­gyne que « chick ».

Margot Robbie braquée par une demi-douzaine de malfrats
Comment ça, faire péter des usines, c’est mal ? Pffff… Franchement, y’a trop de mecs dans ce film, ça serait plus simple sans eux. — pho­to Warner Bros

Ah oui, parce que si c’est com­plè­te­ment et sou­vent déli­bé­ré­ment con, ça a tout de même un petit quelque chose à dire sur l’é­man­ci­pa­tion des femmes. Après tout, le sujet fon­da­men­tal, c’est com­ment Harley apprend à vivre sans le Joker, elle qui ne s’est plus pro­je­tée en tant qu’être auto­nome depuis qu’il lui a retour­né la tête.

On note­ra en pas­sant que le sous-titre ori­gi­nal parle de « la fan­ta­bu­leuse éman­ci­pa­tion d’une cer­taine Harley Quinn » : le sous-titre fran­çais passe com­plè­te­ment à côté d’un élé­ment essen­tiel du film. C’est bien une his­toire d’é­man­ci­pa­tion, et même plu­sieurs, les héroïnes se libé­rant peu ou prou toutes d’un car­can de conve­nances ou de sentiments.

Margot Robbie en prison
Ah voi­là, quand c’est moi qui ai un fusil, y’a plus per­sonne… — pho­to Warner Bros

La plu­part des actrices cabo­tinent à mort, Margot Robbie en tête, mais hey, c’est exac­te­ment ce qu’il faut pour col­ler aux per­son­nages. La nar­ra­tion est un bor­del épou­van­table où il faut accep­ter de se lais­ser por­ter sans cher­cher à recol­ler tous les évé­ne­ments, mais hey, c’est exac­te­ment ce qu’il faut pour col­ler à ce qui se passe dans sa tête. La réa­li­sa­tion en fait des tonnes, sur­ajoute des explo­sions et des effets sty­lis­tiques jus­qu’à cari­ca­tu­rer Michael Bay, mais hey, c’est exac­te­ment ce qu’il faut pour col­ler à l’his­toire et créer une atmosphère.

Toutes les héroïnes dans un couloir lumineux
Ça sert à quoi ? Objectivement, à rien. Mais c’est joli, ça colle à la direc­tion artis­tique et ça ren­force l’am­biance. — pho­to Warner Bros

Bref, c’est par­fois violent2, occa­sion­nel­le­ment poli­tique, sou­vent fen­dard, tou­jours bor­dé­lique. La nar­ra­tion d’un Bugs Bunny ou d’un Bip-Bip et le coyote ren­contre une ver­sion Kick-Assée de Batman.

C’est exac­te­ment ce que Suicide squad pré­ten­dait être, et ça tourne comme un lapin Duracell sous cocaïne : pas tou­jours facile à suivre, sans doute décon­seillé aux épi­lep­tiques, mais irré­pres­si­ble­ment entraînant.

  1. J’ai un grand res­pect pour Romejko et Boulin-Prat, ceci dit. Mais disons qu’on a connu plus metal.
  2. DC a enfin accep­té qu’un de ses films soit inter­dit aux moins de 17 ans aux États-Unis…