Les filles du docteur March

de Greta Gerwig, 2020, ***

C’est l’his­toire de Josephine. Elle a écrit une auto­bio­gra­phie roman­cée de son enfance, durant la guerre de Sécession, et la fait lire à un ami pro­fes­seur. Celui-ci lui retourne une cri­tique hon­nête, Jo est vexée et ne lui adresse plus la parole.

Oui, parce que Jo a un peu un carac­tère de cochon ; d’ailleurs, durant toute son ado­les­cence, elle a souf­flé le chaud et le froid sur sa mère et ses trois sœurs, alter­nant d’une part conflits ouverts et remarques acerbes, et d’autre part soins dévoués et pro­tec­tion inflexible.

Saoirse Ronan dans Les filles du Dr March
Qui a besoin d’un mec, quand on a à lire ? — pho­to Sony Pictures

Dès l’ou­ver­ture, deux choses sont claires. La pre­mière : Gerwig, en écri­vant Les filles du Dr March, a pris des liber­tés avec le maté­riau d’o­ri­gine en y réin­jec­tant des élé­ments-clefs de la vie de Louisa May Alcott, autrice du roman. Meg est donc céli­ba­taire lors­qu’elle publie son roman. Ça n’a rien d’un détail : si j’en crois la cri­tique, le fait qu’elle se marie dans le deuxième volume après avoir jalou­se­ment nour­ri son auto­no­mie dans le pre­mier était un point essen­tiel de l’his­toire, mon­trant son assa­gis­se­ment et sa capa­ci­té à reve­nir sur ses idées pré­con­çues. On peut voir ce choix comme une moder­ni­sa­tion pour évi­ter de tom­ber dans les tra­vers des finales dis­neyiens ou comme un radi­ca­lisme absent du roman, peu importe : il est important.

Florence Pugh, Saoirse Ronan et Emma Watson
Amy : Ah, ça a fait mouche, ça lui a pas plu.
Meg : Mâchoire ser­rée, bras croi­sés… Ça va péter.
pho­to Sony Pictures

La deuxième chose affi­chée d’en­trée, c’est que tout le film sera construit en flash-back suc­ces­sifs. Gerwig a vou­lu déve­lop­per les per­son­na­li­tés adultes des filles du pas­teur March1, et a pour cela adop­té une nar­ra­tion non linéaire sou­vent un peu dif­fi­cile à suivre.

Hormis ces choix dis­cu­tables — pas for­cé­ment mau­vais, hein, dis­cu­tables —, le film est bien fait d’un bout à l’autre. La recons­ti­tu­tion his­to­rique est rai­son­nable, les décors sont par­ti­cu­liè­re­ment soi­gnés, la réa­li­sa­tion plu­tôt sobre est bien sou­te­nue par une pho­to sou­vent splen­dide, et seules les lan­gueurs du mon­tage viennent ter­nir le bilan tech­nique. Les per­son­nages sont un poil pré­vi­sibles, cha­cune cam­pant un sté­réo­type plu­tôt constant, mais la qua­li­té des dia­logues et le tra­vail des inter­prètes sauvent l’en­semble. On note en par­ti­cu­lier Florence Pugh, qui doit don­ner corps à une peste égoïste et par­vient presque à la rendre atta­chante, et bien sûr Saoirse Ronan. Entre rage et bien­veillance, reven­di­ca­tion et intel­li­gence, celle-ci incarne à la per­fec­tion la puî­née qui a effec­ti­ve­ment pris la place de grande sœur pour ter­ro­ri­ser et récon­for­ter le reste de la famille — et les spectateurs.

Eliza Scanlen dans Les filles du Dr March
N’empêche, quand je suis malade, c’est Jo qui me garde, et c’est elle qui vend ses che­veux pour la famille. — pho­to Sony Pictures

Restent donc ces sauts tem­po­rels qui manquent par­fois de clar­té et, sur­tout, mal­gré la volon­té de la scé­na­riste de les étof­fer, des per­son­nages un peu plats — seule Jo appor­tant de véri­tables nuances et une réelle com­plexi­té. L’adjectif qui résume le mieux ce film d’é­poque est en fait « propre » : tout est cali­bré, tra­vaillé avec soin par des gens de talent, mais l’en­semble est un peu sage et n’a pas la flam­boyance que son héroïne demande.

  1. Tant qu’à virer le « quatre », la tra­duc­tion du titre aurait pu en pro­fi­ter pour redon­ner son vrai métier au père, ça serait plus cohé­rent avec l’histoire…