The suicide squad

de James Gunn, 2021, ****

Imaginez que vous ayez des pri­son­niers, condam­nés à per­pète, plus ou moins sur­hu­mains (voire fran­che­ment pas humains) et plus doués pour buter des gens qu’une armée de Navy SEALs. Et que là, sur l’île d’à côté, un coup d’État menace de mettre en péril vos petits secrets. Vous faites quoi ? Vous lais­sez vieillir vos condam­nés et dévoi­ler vos affaires, ou vous pro­met­tez aux tueurs une remise de peine contre un coup de main pour régler le problème ?

La suicide squad dans l'avion
Bon, les gars, les filles et les autres, on vient de pas­ser une demi-heure à vous pré­sen­ter, donc vous savez ce qui va se pas­ser ? Le scé­na­riste va en buter trois sur quatre pour ne jamais ren­ta­bi­li­ser sa mise en place ! — pho­to Warner Bros

Voilà donc com­ment on forme le Suicide Squad, un bataillon char­gé de prendre d’as­saut Corto Maltese — un petit État insu­laire lati­no-amé­ri­cain — pour y effa­cer les traces d’un pro­jet secret amé­ri­cain. Une gre­nade télé­com­man­dée dans la nuque pour être sûr qu’ils ne désertent pas, un mili­taire droit dans ses bottes pour plus ou moins les gui­der, et les voi­là fon­çant sous les tirs infer­naux sur une plage paradisiaque.

Dix minutes plus tard, ça paraît mal enga­gé : un s’est noyé, un autre a fui (et, du coup, véri­fié le bon fonc­tion­ne­ment de sa petite gre­nade embar­quée), les autres se sont fait trouer la peau, épar­piller façon puzzle, ou cra­mer la gueule et le reste… Ne res­tent plus que Harley, gym­naste rigo­lote qui ne s’a­muse jamais autant qu’en pleine bas­ton, et Rick, offi­cier com­man­dant qui peine à com­prendre ce qui vient de se passer.

La suicide squad dans la forêt
Sérieux, c’est ça l’é­quipe de badass qui doit prendre d’as­saut une île sur­ar­mée ? Un lan­ceur de confet­ti sor­ti d’un Batman de Schumacher, un type qui a trou­vé son cos­tume dans une boîte de corn flakes et une qui pré­fère cau­ser aux rats qu’aux gens ? — pho­to Warner Bros

Alors voi­là. Le titre pour­rait vague­ment vous rap­pe­ler quelque chose. Un film presque homo­nyme, repo­sant sur des pré­misses simi­laires, réa­li­sé par David Ayer il y a cinq ans, qui illus­trait super­be­ment ce prin­cipe : faut être com­plè­te­ment con pour réa­li­ser un film de guerre sur un com­man­do-sui­cide ultra-violent avec un cahier des charges de film fami­lial. Le truc d’Ayer pas­sait deux heures à dire « hey, je suis vilain, méchant, violent et trans­gres­sif », mais avec une morale DC Comics cali­brée pour les enfants de 8 à 12 ans.

Comme je disais à l’é­poque : les Hanson qui débarquent dans un fes­ti­val de metal, qui disent « atten­tion, ça va être bru­tal, on va vous faire oublier For whom the bell tolls », et qui jouent MMMBop.

Harley Quinn armée
Dis donc toi, j’aime bien la pop de l’Oklahoma, mais t’é­tais obli­gé de me mettre ça dans la tête ? — pho­to Warner Bros

James Gunn a rete­nu la leçon. S’il a repris une bonne part des per­son­nages, la dis­tri­bu­tion et la situa­tion de départ, il a adop­té une approche lar­ge­ment dif­fé­rente. Déjà, son The sui­cide squad n’est pas décon­seillé aux moins de 13 ans1, mais inter­dit aux moins de 17 ans sans accom­pa­gne­ment d’un adulte2. Ce qui lui per­met d’a­voir un per­son­nage à tête de requin qui déchi­quette et avale ses enne­mis, de buter des héros comme Mallory a atta­qué l’Everest3

Un demi-requin mange un homme entier
Je pas Groot ! Je Nanaue ! — image Warner Bros

La tona­li­té suit natu­rel­le­ment. Puisqu’il est libre de faire trash, violent, absurde et cruel, Gunn n’est plus obli­gé de répé­ter à tous les plans « Eh, t’as vu comme il est badass, mon film ? » Au contraire, il la joue presque soft, avec une mise en place humo­ris­tique plu­tôt légère avant que les scènes bien bru­tales débarquent par surprise.

Il se per­met aus­si de remettre en ques­tion la mora­li­té des gens bien et de prendre fait et cause pour ses assas­sins sadiques : eux ont au moins l’hon­nê­te­té d’as­su­mer leurs pul­sions, quand ceux qui les mani­pulent se planquent der­rière l’in­té­rêt com­mun ou la poli­tique pour se com­por­ter de façon fina­le­ment très simi­laire — mais en gar­dant les mains propres. En pas­sant, il s’en prend aus­si à l’in­tel­li­gence mili­taire amé­ri­caine, qui a par­fois ten­dance à tirer dans le tas avant de se renseigner.

Bloodsport face à Waller
Dis donc, toi, avec tes bou­tons bien propres, t’es sûre de faire un truc très dif­fé­rent de moi avec mes balles et mes poings ? — pho­to Warner Bros

Après, bon, on n’é­chappe pas tota­le­ment aux tra­vers des films d’ac­tion modernes, avec en par­ti­cu­lier la sur­en­chère d’ef­fets spé­ciaux dans un finale explo­sif et lan­guis­sant. Gunn fait ce qu’il peut : il ménage des scènes calmes ou humo­ris­tiques au milieu pour lais­ser res­pi­rer un peu le spec­ta­teur, et il désa­morce légè­re­ment le truc avec une Némésis finale en forme de peluche mignonne quoique flip­pante. Néanmoins, la der­nière séquence reste un peu trop dans les stan­dards Marvel/DC récents : un long hom­mage aux gra­phistes, aux desi­gners et aux res­pon­sables des trucs qui pètent plu­tôt qu’une véri­table séquence de cinéma.

Reste qu’a­vec un cas­ting soi­gné, quelques répliques et situa­tions qui font mouche, une atmo­sphère équi­li­brée entre ten­sion et humour facile, un excellent rythme et une ges­tion de la vio­lence qui cor­res­pond au thème de base, The sui­cide squad tient toutes ses promesses.

Pour reprendre mon ana­lo­gie du fes­ti­val de metal, c’est Leo Moracchioli qui dit « Hey, vous vous sou­ve­nez de MMMBop ? On espère que ça va vous détendre ! », et qui pas­sé les deux pre­mières mesures bas­cule en mode satu­ré per­cu­tant. C’est pas abso­lu­ment génial et sans défaut, mais ça cor­res­pond à l’am­biance, ça sur­prend régu­liè­re­ment et ça fait pas­ser un vrai bon moment.

  1. Selon les stan­dards amé­ri­cains, ça veut dire « zéro téton même sous un gilet pare-balles, deux gouttes de sang ou de sueur maxi­mum, on peut dire “crotte” et “zut”, seuls les méchants peuvent mou­rir et seule­ment hors champ, et la morale finale est morale, merci ».
  2. Ce qui, selon les mêmes stan­dards, donne à peu près « zéro téton même sous un gilet pare-balles, mais pour le reste vous faites ce que vous vou­lez, vous butez qui vous vou­lez avec tous les gros plans san­gui­no­lents que vous vou­lez et vous pou­vez conclure qu’une psy­cho­pathe sadique est une héroïne, juste, sou­ve­nez-vous, vrai­ment, pas de tétons sinon c’est réser­vé aux adultes et c’est tout ».
  3. « Parce qu’il est là. »