Buffy contre les vampires
|de Joss Whedon, 1997–2003, ****
Je sais ce que vous allez dire : « Mais t’as pas parlé de ça y’a pas longtemps déjà ? »
Mais non : j’ai parlé du film Buffy, tueuse de vampires. Le présent billet est, lui, consacré à une petite série télé, Buffy contre les vampires1, lancée cinq ans plus tard par le scénariste du film, un certain Joss Whedon.
Nous sommes à Sunnydale, Californie. En pleine année scolaire, les sophomore2 voient débarquer une nouvelle élève, Buffy. Arrivant de Los Angeles, c’est une petite blonde soucieuse de son apparence, qui souhaite avant tout s’intégrer, se faire des amies populaires comme la bimbo Cordelia, intéresser les garçons, oublier son ancien lycée et démarrer une nouvelle vie. Il faut dire que le proviseur de Sunnydale s’est un peu étouffé en jetant un œil à son dossier : Buffy n’est pas une simple morveuse à la répartie irrépressible, mais une véritable fauteuse de troubles, qui est allée jusqu’à incendier tout un gymnase avec des gens dedans.
Mais en allant chercher ses bouquins de cours, Buffy trouve le documentaliste particulièrement chelou : il lui pose sous le nez un énorme grimoire médiéval. C’est qu’il est en fait Observateur, c’est-à-dire qu’il doit guider et former la Tueuse, la jeune fille dont le destin est de protéger l’humanité des vampires.
Ah oui, parce que les gens que Buffy a fait cramer dans le gymnase de son ancien lycée, ils étaient en fait déjà un peu morts et sévèrement hématophages : ça fait un an que Buffy est la Tueuse en service.
Elle doit donc faire une croix sur ses espoirs de nouveau départ, obéir à Giles, reprendre la lutte contre les vampires, démons et autres créatures infernales, hésiter à faire confiance au bel Angel (un vampire qui a toujours son âme)… et survivre à l’enfer ordinaire des lycéens. Il lui faut notamment naviguer entre d’un côté les élèves populaires à la mode qui donnent une bonne image et peuvent donc l’aider socialement, et de l’autre les geeks un peu bizarres qui savent que le lycée est une Bouche de l’Enfer et peuvent donc l’aider professionnellement.
Je l’ai un peu évoqué dans l’article sur le film : le scénario de Joss Whedon, mêlant tons sombres, humour léger, féminisme revendiqué et clins d’œil aux geeks, avait été retravaillé par la production pour en faire une pure comédie estivale. La légende dit que Whedon n’avait pas apprécié ; en tout cas, quand il a eu l’occasion de reprendre son idée pour en faire une série, il a gardé les rênes d’un bout à l’autre, cumulant les casquettes de créateur, scénariste, producteur exécutif, et même parfois réalisateur et compositeur. Bien plus que le film ou ses scripts précédents, Buffy contre les vampires est donc la première œuvre véritablement whedonienne.
Une histoire de femmes
On ne sera donc guère surpris d’y trouver des signes annonciateurs de nombre de ses travaux suivants. Évidemment, les personnages féminins sont omniprésents, souvent stéréotypés dans un premier temps, avant de découvrir leur pouvoir — littéralement, comme Willow-la-geekette qui devient Willow-la-sorcière, ou figurativement, comme Cordelia-la-bimbo qui devient Cordelia-la-guerrière.
La toute première scène du tout premier épisode, placée avant même le tout premier générique, joue d’ailleurs déjà avec ce schéma. Une jeune fille toute fragile et timide, à la nuit tombée, seule dans un environnement désert et angoissant avec un garçon qui a manifestement une idée derrière la tête… Et hop, un premier stéréotype retourné comme une crêpe.
Les parcours des femmes sont divers et variés, et la série ne choisit pas un modèle de référence à suivre pour les autres : Joyce, mère de famille attentionnée et très traditionnelle (au point d’être surprise que sa fille de seize ans voie un garçon), est tout aussi respectable que Faith, tueuse délurée qui suit ses pulsions sans réfléchir, ou que Tara, amante fidèle et soutien indéfectible, Anya, vengeresse incendiaire ouvertement misandre, ou Jenny, professoresse compétente et volontaire mais quelque peu manipulatrice.
Le seul modèle féminin pointé du doigt est celui de la pom-pom girl populaire qui traîne au bras du quarterback — celle qui se contente d’être bêtasse et jolie sans regarder plus loin que le bout de son nez. Mais il s’avère aussi que celles qui endossent ce rôle cherchent souvent juste à brouiller les pistes, un peu comme Lydia dans les premiers épisodes de Teen wolf, et Buffy elle-même joue régulièrement la courge pour désarçonner ses adversaires.
La sexualité est un thème récurrent de la série (après tout, on parle d’adolescents américains — oh wait !), là aussi avec une volonté de ne pas juger les personnages. Bon, c’est vrai, un prince charmant peut se transformer en gros con quand sa dulcinée a enfin accepté de coucher avec lui. C’est sans doute un avertissement utile, mais ça ouvre la voie à une interprétation un peu réac.
Mais en-dehors de ce cas précis, le sexe peut très bien se passer pour tout le monde, qu’on soit fidèle ou saute-au-paf, réservé(e) ou ouvert(e) à tout, homo, hétéro ou ça dépend des fois, dominant, dominé ou égalitariste, qu’on fasse de la sexualité le centre de sa vie romantique ou un simple moyen de se détendre avec n’importe qui… On peut aimer et désirer la même personne d’un bout à l’autre, on peut avoir envie de quelqu’un sans avoir envie d’être vu avec, on peut avoir envie de quelqu’un qui nous dégoûtait, on peut détester quelqu’un qu’on a aimé ou aimer celui qu’on a détesté, on peut coucher avec Untel faute d’avoir mis le grappin sur un autre, et on peut pardonner à quelqu’un en dépit de tout ce qu’il a fait d’impardonnable. Même une saine dose de violence n’a rien de répréhensible si toutes les personnes concernées sont d’accord (ce qui préfigure sans doute les nourrissages conjugaux qui ont marqué True blood). Au fond, l’important est surtout de respecter les envies de chacun. Et oui, la série aborde aussi le viol, et c’est bien le seul acte sexuel qui choque réellement.
Des seconds premiers rôles
La diversité des caractères ne se limite pas aux femmes : tous les personnages sont soignés. Les seconds rôles ont leur propre voix, leurs propres envies, leurs propres buts, et ils n’hésitent pas à prendre carrément en main un épisode de temps en temps (mention spéciale à Jonathan « superstar »).
Bien sûr, ça n’était pas tout à fait nouveau ; par exemple, si ma mémoire est bonne, MacGyver3 laissait parfois Jack Dalton jouer au héros, et un épisode de Signé Cat’s Eyes relègue largement les trois sœurs à l’arrière-plan au profit d’Asaya. Mais Buffy contre les vampires en fait un véritable procédé narratif, en mettant régulièrement les seconds rôles au premier plan et en poussant jusqu’à faire des génériques spéciaux pour l’occasion.
Cela va jusqu’à s’assurer qu’un personnage secondaire ait des réactions cohérentes, même face à des circonstances exceptionnelles qui font ressortir à des années d’écart la même facette cachée de son caractère. C’est habituel pour les héros, mais Whedon et son équipe ont fait de même pour des personnages qu’on ne voit qu’un épisode sur trois.
Mort à la routine
Un autre truc qui annonce bien des séries whedoniennes à venir, c’est la capacité de Buffy contre les vampires à sortir de ses propres schémas et à se réinventer totalement au gré des envies des scénaristes.
Par exemple, un matin, Whedon est arrivé en disant « Eh, ça donnerait quoi si on n’avait pas d’héroïne ? » Et bien, ça donnerait Meilleurs vœux de Cordelia, un épisode qui permet à la fois d’introduire un personnage essentiel de la suite et de présenter tout un univers alternatif pour se détendre entre deux épisodes normaux.
« Et si les gens devenaient leurs déguisements ? » Paf, Halloween, qui montre une Buffy inutile protégée par ses amis et préfigure le concept d’implantation de personnalités qui sera au cœur de Dollhouse onze ans plus tard. « Oh, et si les adultes retombaient en enfance et que les ados devaient prendre soin d’eux pour changer ? » Vlan, Effet chocolat, hors-série de pure farce où Giles dévoile son petit côté hooligan. « Eh, cette nuit j’ai rêvé d’un robot qui cherchait l’amour. » Hop, Le fiancé, qui délaisse complètement les sujets fantastiques habituels de la série pour lorgner sur la SF à la Asimov.
En fait, Whedon se lâche et, s’il développe régulièrement le fil de la série, il ne s’interdit jamais de l’utiliser pour traiter ponctuellement un sujet qui n’a rien à voir. Il nous gratifie même d’un épisode évoquant le massacre de Columbine et le suicide chez les adolescents, et c’est un de ceux qui mêlent le plus intimement rires et larmes.
En somme, les fans des Agents du SHIELD, série qui se réinvente tous les ans (et qui a commencé cette année en se réinventant à chaque épisode), ne seront pas dépaysés. En fait, Buffy contre les vampires va peut-être plus loin que sa lointaine héritière : elle pousse jusqu’à injecter en plein milieu un nouveau personnage central, sans le présenter, comme s’il avait toujours été là, laissant le spectateur buguer devant cette incohérence pendant plusieurs épisodes avant de l’expliquer.
Tragédie comique
Whedon joue aussi avec un autre élément qui deviendra un peu sa signature : la mort est là où elle est, prête à prendre n’importe qui n’importe quand, aussi bien le héros sacrificiel attendu d’une scène épique qu’un personnage de fond qui était juste là au moment où le hasard lui est tombé dessus. On peut évidemment penser à Urgences, qui s’était fait une spécialité de buter un personnage comme Mallory avait attaqué l’Everest (« parce qu’il est là »), mais c’est beaucoup plus inattendu d’une série se déroulant au lycée et dont la plupart des personnages ont moins de vingt ans. Et comme les auteurs ne renoncent jamais totalement à faire rire, ils mélangent allègrement la farce et la tragédie, le spectateur ne sachant souvent pas sur quel pied danser.
Enfin, bien entendu, les clins d’œil à la culture populaire geek sont innombrables, qu’il s’agisse de dialogues complets faisant référence à Star Trek ou d’échos de comics obscurs disséminés çà et là. Ils servent souvent de blague d’initiés glissés en douce, assez discrets pour ne pas déranger ceux qui les rateront mais apportant un petit plus rigolo à ceux qui ont les références. Thématique oblige, on détourne aussi bien des scènes de grands classiques du film d’horreur, de Dracula à La nuit des morts-vivants en passant par tout ce qui s’en rapproche de près ou de loin. Whedon s’essayant parfois à la réalisation, il intègre aussi des travellings à la Shining, des éclairages à la George Romero et des plans à la Wes Craven, mais cela reste relativement rare dans une réalisation globalement banale.
Bon, après, si je mets de côté mon fanboy whedonien, qu’est-ce j’en pense, de Buffy contre les vampires ?
Occasion manquée
Spoiler : c’est pas la première fois que j’essaie de regarder cette série. Lors de sa première diffusion en France, je venais de passer le bac. En fac d’informatique, les gros geeks fans de comics et de fantastique ne manquaient pas, et je ne sais plus exactement qui m’en a parlé quand. En tout cas, il paraissait que c’était génial, rigolo, et puis Sarah Michelle Gellar était trop. bonne.
Du coup, sans doute un jour où ça passait après ou à la place de Stargate SG‑14, j’en ai vu un ou deux épisodes.
Et pis c’est tout.
Les vampires en carton, la tonalité fantastique à la Charmed (autre série qui ne m’avait pas du tout accroché) mêlée d’humour potache, le personnage de morveuse qui confondait baston et gymnastique, tout ça m’avait laissé aussi froid que le physique en fait banal de Sarah Michelle Gellar.
Avec vingt ans de recul5, je pense que mon expérience d’alors a dû souffrir de plusieurs facteurs. Un : je n’avais pas à l’époque de culture comics/fantastique américaine. Il y a plein de références qui ont dû me passer loin au-dessus de la tête. En fait, j’aurais sans doute plus facilement adhéré à Teen wolf, pour peu que je tombasse sur un épisode qui parlât de la bête du Gévaudan.
Deux : en ne voyant qu’un ou deux épisodes en plein milieu, les arcs narratifs ont dû me déranger plutôt que de m’entraîner. Parce que oui, Buffy contre les vampires est faite pour être vue dans l’ordre, avec un long fil rouge par saison (selon le grand méchant du moment) et divers arcs étalés sur plusieurs heures, tout cela mêlé à l’intrigue de chaque épisode. C’est assez courant de nos jours, où la vidéo à la demande a habitué les spectateurs à tout regarder d’un bout à l’autre, mais à l’époque la plupart des séries pour ados avaient un fil rouge beaucoup plus lâche, moins présent à chaque étape, qui permettait de voir les épisodes individuellement selon les hasards des diffusions.
Trois : les aspects initiatiques et féministes ne me parlaient pas. À l’époque, je considérais comme évident que les femmes avaient les mêmes droits que les hommes, puisque c’était écrit dans la Loi. J’ai mis très longtemps à lire la mention « * Principes non contractuels » écrite en petit dans l’angle de la couverture des Dalloz. Accessoirement, dans mon lycée de sportifs acharnés, les trois quarts des filles me battaient au bras de fer, donc je voyais pas bien en quoi la vie pouvait être injuste avec elles. Oui : la vie en entreprise m’a fait beaucoup découvrir…
Bonus : je viens de jeter un œil à la version française par curiosité, et pour faire simple : le doublage est nul. Les intonations sonnent complètement faux, ce qui n’arrange pas les performances déjà aléatoires de certains acteurs. On est très loin des traductions soignées du Prince de Bel-Air ou de Malcolm, qui rendaient ces séries presque aussi bonnes en français qu’en anglais.
Donc, vingt ans après, avec un peu plus de culture fantastique et des yeux un peu plus conscients des inégalités de ce monde, je crois qu’en fait j’ai raté à peu près tout ce qui rend Buffy contre les vampires intéressante.
Ce qui est intéressant, c’est que les personnages évoluent, révèlent des facettes différentes d’un épisode et d’une saison à l’autre. Ce qui est intéressant, c’est que Buffy devient (parfois) une adulte responsable, qui va retourner des steaks dans un fast-food pour payer ses factures. Ce qui est intéressant, c’est que Willow découvre ses propres goûts et doit se libérer de l’image qu’elle a d’elle-même — et que c’est franchement flippant pour tout le monde. Ce qui est intéressant, c’est que Jonathan le souffre-douleur se trouve lui aussi un certain pouvoir, et qu’un grand pouvoir implique… qu’on tombe de plus haut. Ce qui est intéressant, c’est que Giles l’Anglais toujours maître de lui-même se libère un peu, vit ses propres deuils, a ses propres moments d’héroïsme ou de rage. Ce qui est intéressant, c’est que le hasard influence grandement le destin du monde — comme dans la vraie vie, en somme.
Un écho actuel que personne n’aurait anticipé
Il y a un autre truc intéressant, sans doute même plus aujourd’hui qu’en 1997 : la liberté vestimentaire des personnages. Oui, je sais : je vais parler fringues, et rien que ça c’est remarquable.
À l’heure où on fait des sondages pour demander s’il faut interdire aux lycéennes de porter tel ou tel vêtement, où un ministre explique en creux qu’un t‑shirt décolleté ou une minijupe sont incompatibles avec la République, où un philosophe déblatère qu’un nombril empêche les garçons de se concentrer, il est bon de revoir Buffy contre les vampires.
J’étais en train de regarder la troisième saison durant cette polémique, née sur une simple question d’égalité des sexes dans l’application des règlements intérieurs et qui culmina deux semaines plus tard avec des conneries monstrueuses proférées au plus haut de l’Éducation nationale et à longueur de tribunes dans la presse. Du coup, je me suis mis à regarder les tenues, auxquelles j’avais pas plus prêté attention que ça — elles m’avaient juste paru normales, conformes à mes souvenirs d’alors.
J’ai ainsi réalisé deux trucs. D’une part, oui, la série était ancrée dans son époque : mes camarades du fin fond du Diois en 97–98 ou des facs grenobloises en 01–056 s’habillaient de manière assez similaire.
D’autre part, j’ai passé mes années de lycée et de fac à voir des filles plus ou moins sportives en t‑shirt en élasthanne, avec ou sans soutien-gorge, en jupe courte ou en pantalon moulant, en mini-short ou parfois en crop top (c’était pas encore la mode je crois), en col roulé serré ou en décolleté, aussi bien qu’en pantalon large de flanelle multicolore, en pull de laine et en doudoune.
Et vous savez quoi ? Mes camarades et moi avons une collection de diplômes qui montre qu’à l’époque, on était tout à fait capables de se concentrer sur nos cours. On trouvait ça normal que les filles aient des tenues légères en été, comme nous ; on trouvait ça normal qu’elles déshabillent leurs jambes, comme nous. On trouvait ça normal de voir une pointe au bout du galbe d’un t‑shirt, parce que vous savez quoi, les filles avaient des tétons, qui tendaient parfois le tissu quand elles avaient des soutiens-gorges légers ou pas de soutien-gorge du tout. Et on n’y faisait pas plus attention qu’à un joli sourire, un mollet musclé ou une paire d’yeux un peu trop bleus — et pas moins attention non plus, hein, soyons pas hypocrites : on aimait déjà voir des seins.
Dans Buffy contre les vampires, on voit passer toute la palette des tenues de l’époque, du juste-au-corps moulant à la blouse de chimiste, du tailleur cintré au gros pull jaune avec une tête de Casimir. Et le seul moment où quelqu’un se permet de juger une tenue, c’est quand Willow réalise un matin d’enterrement que sa propre garde-robe est entièrement composée de logos rigolos et de couleurs vives.
Une série meilleure en 2020 qu’en 1999 ?
En fait, je suis pas loin de penser que Buffy contre les vampires n’était pas du tout faite pour que je la voie au tournant du siècle. Plus que mes propres lacunes culturelles, certes indéniables, le point crucial, c’est qu’elle repose trop sur les évolutions des personnages et des situations pour que l’on puisse la juger en trois épisodes, surtout pas piochés au hasard au milieu. En fait, elle avait quinze ans d’avance sur ce point : comme Battlestar Galactica par exemple, elle n’était pas faite pour une diffusion à la télé (avec les aléas de la vie quotidienne qui font prendre en route ou rater des épisodes), mais plus adaptée à la vidéo à la demande, en commençant au début et en déroulant les événements dans l’ordre.
Hélas, ça peut aussi être un peu long à regarder aujourd’hui. Mine de rien, la diffusion étant hebdomadaire et étalée sur l’année, les saisons font vingt-deux épisodes, soit plus de seize heures. Les séries pensées pour la VOD, elles, se contentent souvent de blocs de huit ou neuf heures, ce qui permet au spectateur d’éviter l’essoufflement quand il binge-watche pour occuper les longues soirées confinées.
Du coup, certains passages manquent de rythme, certains épisodes sont un peu répétitifs, et on attend longtemps le match contre le grand méchant de fin de saison. Accessoirement, tout à fait entre nous, la réalisation et la direction d’acteurs un peu inégales n’aident pas, surtout dans les premières saisons. Le réglage des bagarres et les effets spéciaux ont aussi salement vieilli — même si les maquillages en carton, qui produisaient déjà un effet comique à l’époque, ont fait école au point qu’on les retrouve dans des trucs modernes comme Teen wolf et iZombie.
Mais dans l’ensemble, la série est plutôt entraînante, bien portée par des personnages juste assez stéréotypés pour pouvoir jouer avec leurs stéréotypes. Le mélange entre comédie lycéenne ou universitaire, tragédie gothique, fantastique soft avec une petite touche plus gore çà ou là, romance pathétique ou touchante, mélo familial et geekerie humoristique est plutôt bien dosé. Cette tonalité hybride, assez rare à l’époque (même si on trouvait un équilibre du genre dans Piège de cristal et dans une moindre mesure Urgences par exemple), s’est depuis imposée dans la plupart des tragicomédies pour ados et jeunes adultes, qui elles non plus n’hésitent plus à tuer un personnage au débotté entre deux vannes faciles.
Devenue un emblème pour bien des féministes, Buffy contre les vampires jouait clairement et ouvertement la carte « empowerment » des femmes. Pour autant, elle n’hésite pas parfois à s’attarder sur le physique de ses héroïnes pour motiver le spectateur mâle reptilien. Elle traite tout de même les deux genres avec une certaine équité : des références au sex-appeal de Giles, des vannes liées au physique de Xander et des plans sur le tronc musclé de Spike viennent parfois rappeler que les hommes aussi peuvent servir à faire plaisir aux yeux de certain⋅e⋅s. En fait, les filles de Buffy ne voient pas de mal à ce qu’on bugue en les regardant ; on doit juste se souvenir qu’elles ont aussi un cerveau et qu’elles seules décident ce qu’elles font de leur corps. Par ailleurs, les auteurs n’avaient sans doute pas anticipé l’importance de laisser les actrices s’habiller normalement. À l’époque, la série se contentait naturellement d’utiliser le panel de tenues à disposition des lycéennes et étudiantes ; c’est uniquement en revoyant cela aujourd’hui, avec le débat des derniers mois, que l’on réalise qu’en vingt ans, on a régressé de quarante ans.
Bref7, si on regarde Buffy contre les vampires comme une simple distraction, sans se poser de question, on peut la trouver un peu répétitive (bien que son univers se réinvente périodiquement et qu’elle aborde des thèmes très variés) et certains aspects ont mal vieilli, notamment le rythme et les effets spéciaux. Si, en revanche, on cherche le second niveau d’interprétation, le sens de la vie et l’évolution personnelle, le message sur les destins individuels et l’égalité des genres, alors la série gagne une profondeur certaine, qu’elle n’avait peut-être pas entièrement lors de son écriture. Et c’est aussi, surtout pour les amateurs de whedonneries, un document assez captivant, qui préfigure nombre de ses œuvres suivantes, pas seulement parce que la moitié du casting de Dollhouse et des Agents du SHIELD était déjà là.
- Les deux avaient le même titre en anglais : Buffy the Vampire Slayer.
- Deuxième année du lycée, élèves d’environ 16 ans, mais l’organisation des cours ne permet guère la comparaison avec la classe française de seconde.
- Ah tiens, voilà qui pourrait m’occuper un reconfinement : ça valait quoi en fait, ma série préférée d’il y a trente ans ?
- Qui occupait le même « slot » sur M6 le samedi soir.
- Déjà ?!!!!
- Entre, j’étais en DUT informatique, donc j’avais pas de fille sous les yeux.
- Oui, j’ai osé écrire « bref ».