Black Widow
|de Cate Shortland, 2021, *
Vous me connaissez un peu, je suppose. Vous savez donc que je craque plus souvent pour des actrices que pour des personnes de la vraie vie. Notamment, mes yeux buguent à chaque fois qu’ils voient Scarlett Johansson depuis Lost in translation, même si je professe que son meilleur rôle reste celui où on ne fait que l’entendre. Et l’an passé, en voyant Les filles du docteur March, mon cerveau a presque autant remarqué Florence Pugh que Saoirse Ronan (et c’est dire). Imaginez donc qu’on mette Johansson et Pugh sur la même affiche, avec en prime David Harbour (qui parle un peu moins à mon système limbique mais que mon cortex frontal trouve tout à fait excellent) et Rachel Weisz (ça mange pas de pain). Logiquement, s’ils se contentent de vaguement respirer face à la caméra, ça devrait suffire à entrer dans la catégorie « fréquentable ».
Bon, là, vous avez vu la note que j’ai mise.
Donc oui, c’est pire que quatre bons interprètes qui, pendant deux heures, ne feraient rien d’autre que respirer face à la caméra.
Le début, en fait, est une variation sur le thème de The Americans : un couple d’illégaux, bien installé dans l’Ohio, fuit avec ses deux filles en direction de Cuba pour rejoindre ce qui ressemble énormément au régime communiste de l’URSS — puisque les scénaristes ont placé ça en 1995 sans vérifier en quelle année Gorbatchev avait démissionné. En passant, on a une scène super crédible qui pète de ouf, avec Pôpa qui bousille tout à mains nues pendant que Choupette 1 fait n’importe quoi avec les manettes mais l’avion décolle quand même. Dans la foulée, on apprend que le Lance vole à l’aise mille nautiques sans escale, et sans que la chasse des États-Unis puisse l’intercepter. Piper faisait vraiment du super matos à la fin des années 70.
Je dis pas que c’est le moment où mon cerveau, en panne depuis l’affiche, s’est remis en marche ; je constate juste que j’ai calculé par réflexe ce que ça pouvait donner comme plan de vol et réalisé que c’était encore plus ridicule que le décollage de l’appareil. Et pourtant, ils décollent avec Pôpa accroché sur l’aile.
La suite est une variation sur le thème de Red sparrow : les gamines sont envoyées à la Chambre rouge afin de devenir agentes secrètes du KGB. Et puis, bon, l’aînée revient aux États-Unis, où elle occupe les arrière-plans des Iron man, Avengers, Captain America et consorts en attendant d’avoir son propre film. La cadette, pendant ce temps, est cheffe de son commando d’agentes secrètes, mais se prend un spray au poivre dans les naseaux pendant une opération, ce qui met fin à sa programmation et lui permet de trahir les Soviétiques, tout ça. (Oui bon, à ce moment l’URSS est tombée depuis vingt ou trente ans, mais le film joue tellement l’ambiance guerre froide que c’est difficile à imaginer.)
Les deux frangines se retrouvent et mettent au point le plan le plus con de l’histoire de Marvel : pour avoir des informations sur la Chambre rouge, elles décident de… faire évader Pôpa, qui est en taule depuis vingt piges et n’a donc plus aucune information utilisable. Je veux dire, Choupette 1 était à la Chambre rouge plus récemment que Pôpa, et comme je le disais ça fait une douzaine d’années qu’elle est au SHIELD. C’est tout simplement débile.
Là, vous avez peut-être l’impression que j’ai raconté les plus énormes conneries du film, mais non : c’est juste les deux premiers des innombrables moments où j’ai dû mordre le dossier du siège de devant pour pas que les ouvreuses soient réveillées par mes hurlements hystériques. Pour avoir la liste quasi-complète des absurdités du scénario, je vous renvoie au spoiler de l’Odieux Connard (et oui, il en a laissé passer, faute de parvenir à noter plus de 100 conneries à la minute).
Plus encore que les autres films de super-héros récents (même Infinity war, pourtant bien pété du bulbe), Black widow est donc l’association de plein de gens au talent immense qui font ce qu’ils peuvent pour compenser un scénario complètement à côté de ses pompes. La réalisation est efficace, le montage est nerveux à souhait, les effets spéciaux sont sublimes, les dialogues contiennent quelques vannes réussies, le casting est éblouissant. Et en plus d’être bonnes en tant qu’actrices, les deux interprètes principales ont une capacité quasiment surnaturelle à débrancher mon esprit critique. Sur le papier, j’étais acquis à la cause avant même la première scène.
Mais voilà : le script est aussi crédible que Manuel Valls affirmant qu’il est de gauche. C’est comme quand la fille de tes rêves, juste avant de retirer son dernier bout de tissu, te dit qu’elle adore la corrida : t’as beau faire, t’as beau être séduit d’avance, t’as beau ne plus penser à rien, en fait, tu vois plus que ça.