L’Homme qui tombe à pic
|de Glen A. Larson, 1981–1986, de **** (saisons 1–3) à * (saison 5)
C’est l’histoire d’une chanson. Une chanson qui dit en gros :
C’est pas mon genre de me vanter, mais on m’a vu avec Farrah :
je suis toujours avec des canons bien plus belles que moi.
J’ai brûlé pour Sally Field, foncé avec une certaine Bo,
mais à la fin je rentre toujours en solo…
Je risque tout, je trompe la mort pour gagner ma vie :
je meurs tous les jours sur les plateaux de tournage.
Mais le plus difficile est toujours de regarder ma chérie
embrasser un autre quand je refais mon bandage.
Parfois je saute d’un immeuble, parfois je broie une Ford :
l’anonyme cascadeur qui fait une star de Redford.
J’ai pas traîné à l’école, mais je conseille bien des filles,
moi aussi, je vends mon corps à la télé, eh eh !
Je m’suis cramé avec Cheryl Tiegs, Rachel Welsh m’a explosé,
et quand on roule dans la paille, c’est que d’la paille – aïe aïe !
Je passe à deux doigts d’une loco ou je tombe du haut d’un pin :
l’anonyme cascadeur sans qui Eastwood ne serait rien.
Cette chanson, la légende dit que Glenn Larson l’a fait chanter à son auteur, David Sommerville, devant les producteurs de la 20th Century Fox Television, en guise de « pitch » pour sa prochaine série télé. Et que ça a marché. La série, baptisée The Fall Guy (à la fois « le type des chutes » et « le bouc émissaire »), a été diffusée sur ABC et a connu un succès certain : elle a mis cinq saisons à s’essouffler et a passé les deux décennies suivantes à tourner en boucle sur toutes les chaînes, y compris en France sous le titre L’Homme qui tombe à pic.
Pourtant, le sujet est, disons poliment pas simple à vendre.
C’est l’histoire d’un cascadeur de cinéma et de télévision, Colt Seavers. Mais les contrats hollywoodiens, ça va, ça vient, et il est constamment sur la paille. Aussi travaille-t-il aussi pour Big Jack, une bail bondswoman1 qui avance les cautions des suspects de Los Angeles.
Il faut dire que la loi américaine est très permissive lorsqu’un suspect ne se présente pas à la Cour : le cautionnement étant un contrat privé, le bail bondsman peut demander à n’importe qui de lui ramener le fuyard par à peu près n’importe quels moyens — y compris des qui, dans n’importe quel autre pays ou dans n’importe quelles autres circonstances, vaudraient une qualification d’agression, enlèvement et séquestration. Plus ou moins régulièrement, Big Jack demande donc à Colt de lui ramener un fuyard, Colt embarque son cousin Howie et son amie Jody (eux aussi cascadeurs sans le sou) dans son GMC K‑2500 Sierra Grande rehaussé, et ils partent jouer aux chasseurs de primes en Californie ou ailleurs.
Mais voilà : malgré ses deux histoires si différentes, L’Homme qui tombe à pic a rapidement trouvé un équilibre très sympa. Les ouvertures se déroulent généralement sur les plateaux de tournage, où l’équipe de Colt réalise l’une ou l’autre cascade. On en profite pour plonger un peu dans les coulisses du cinéma et de la télévision, avec un mélange assez réussi de comédie (les caractères des acteurs et des réalisateurs sont propices aux échanges grinçants) et de documentaire.
Ainsi, quand un épisode repose sur les entreprises qui fournissent des voitures à bas prix pour les tournages, on en profite pour expliquer au spectateur attentif pourquoi, d’un plan à l’autre, le pick-up de Colt change : le Sierra Grande 4x4 rehaussé avec coffre à accès latéraux dans la benne n’est évidemment pas le véhicule qu’on va jeter du haut d’une falaise ou qu’on va risquer dans une course-poursuite en tout-terrain — pour la première, un C‑25 propulsion rapidement grimé fera l’affaire, et pour la seconde, un High Sierra 4x4 de base suffira bien.
La série ne cherche ainsi pas à cacher ses propres artifices et, en fait, elle les met parfois en avant, par exemple en prenant soin de bien laisser voir toutes les modifications des véhicules sauteurs, avec leurs ponts renforcés et leurs moteurs reculés au niveau de la boîte de transfert pour recentrer les masses et éviter les culbutes. Bien entendu, cela reste de la télévision et certains détails feront tiquer les habitués des tournages, comme la tendance qu’ont les cascadeurs à tourner toute une séquence en une seule prise au lieu de découper plan par plan. Mais c’est franchement sympa de voir comment on se synchronise pour passer d’un camion à un hélicoptère ou comment on plonge d’un immeuble dans un énorme coussin gonflable.
La suite des épisodes suit souvent le même schéma : le tournage étant terminé (ou pas), Big Jack, puis Terri à partir de la deuxième saison, demande à Colt de lui ramener un libéré sous caution en fuite, et on passe du pseudo-docu à l’action policière. On va chercher le fuyard, on remonte sa piste, on le trouve après une course-poursuite, il explique pourquoi il a fui, on résout son problème avec une course-poursuite et une bagarre (en faisant écho à la cascade d’ouverture), et on finit sur une dernière vanne. En outre, tous les épisodes sont indépendants : il n’y a aucun fil conducteur et aucune évolution des personnages, à part lorsqu’un acteur récurrent quitte la série.
C’était certes courant à l’époque, où on ne voyait qu’un épisode par semaine et si on le ratait, bah on l’avait raté, voilà. Les schémas répétitifs et l’absence de fil rouge permettaient au spectateur de ne pas perdre ses marques. Mais même par rapport à d’autres séries de la même ère, L’Homme qui tombe à pic va vraiment très loin. Par exemple, lorsqu’un enfant caché de Colt apparaît, il conclut l’épisode par un « je vais rester dans le coin » et… on ne le reverra jamais !
Oui, mais.
Mais les auteurs font un vrai effort pour varier les situations, les points de vue et les histoires. Comme sa contemporaine Magnum, L’homme qui tombe à pic aborde des sujets très différents et change de tonalité pour chaque épisode. Certains sont de la pure parodie, avec des fuyards pieds nickelés ou des intrigues improbables à base de travestissements divers. D’autres sont véritablement tragiques, avec des ados manipulés par un gourou (l’affaire Manson est encore très présente dans les esprits) ou des victimes des circonstances qui ne viennent pas à leur procès à cause d’une urgence familiale et se retrouvent prises dans un engrenage judiciaire sans fin. Les héros se caractérisent par leur audace, leur agilité derrière un volant et leur efficacité avec leurs poings, mais ils ont aussi parfois besoin de faire preuve de véritable humanité et de délicatesse pour, par exemple, convaincre un déficient mental paniqué qu’il pourra avoir un procès équitable.
En passant, le système judiciaire n’est pas épargné. Souvent détourné par les avocats, les promoteurs2 ou les flics véreux au service des riches et des puissants, il ne laisse souvent pas d’autre choix pour épargner un innocent que de contraindre le coupable aux aveux publics. Bien qu’au cœur de la série (et rappelé au générique de chaque épisode de la première saison), le système de cautionnement américain est souvent présenté comme vicié, ne laissant aux pauvres aucune chance d’échapper à l’engrenage des dettes, des délits et des poursuites et permettant aux brutes de se trouver une activité où ils pourront le plus légalement du monde poursuivre, séquestrer, tabasser voire tuer des gens. Évidemment, Colt, Jody et Howard sont des bons chasseurs de primes, mais la série parle aussi des mauvais chasseurs de primes — de fait, les héros doivent régulièrement lutter contre des concurrents sans scrupules.
La série est également relativement moderne par son utilisation des personnages féminins. Bien sûr, les femmes sont avant tout décoratives et sont toutes sensibles au charme du héros3, on reste dans les années 80. Mais elles sont aussi nombreuses que les hommes dans les rôles récurrents, elles ont leurs propres objectifs, et elles dirigent souvent les opérations (en fait, sur les quatre bail bondsmen qui embauchent Colt au fil des épisodes, trois sont des femmes4).
En outre, si Jodie était essentiellement la jolie fille vaguement amoureuse du héros dans les premiers épisodes, elle donne d’entrée un cours express sur le consentement à Howard (« À moins que tu veuilles passer la nuit à ramasser tes dents, tu fais gaffe à comment tu me parles et comment tu me regardes. ») et s’impose rapidement comme un personnage à part entière, parfois essentiel au déroulement des intrigues, qui n’hésite pas à faire le coup de poing comme les garçons. Bon, les réflexes des scénaristes de l’époque étant ce qu’ils sont, elle endosse à l’occasion le rôle de demoiselle en détresse, parfois dans une situation où elle aurait fini l’épisode en trente secondes et trois coups de genoux la semaine d’avant. Plus lourd, certains plans s’attardent longuement sur ses bikinis (ou ceux de Terri). Mais dans l’ensemble, elle dépasse très largement son statut initial de faire-valoir.
Et puis, comme L’Homme qui tombe à pic parle de cinéma, elle joue aussi avec les codes du cinéma de genre. Tel épisode est écrit et tourné comme un western de série B avec des acteurs de western de série B, tel autre comme un film noir avec des acteurs de film noir, tel autre comme un spaghetti, tel autre comme un film d’horreur ou une comédie romantique… De nombreuses stars du grand et du petit écran passent ainsi en coup de vent, jouant leur propre rôle sur un épisode complet écrit pour eux ou donnant une touche de réalisme à un simple plan qui pourrait passer inaperçu.
Ce n’est pas systématique et la majorité des L’Homme qui tombe à pic sont juste des L’Homme qui tombe à pic, avec leur signature commune et sans acteurs reconnus, mais ces clins d’œil occasionnels aux cinéphiles apportent un petit bonus bien agréable de temps en temps. On regrettera d’autant plus l’irrégularité de la technique, la photo étant souvent banale et le montage assez téléphoné.
À ce sujet, il faut noter que la série n’a jamais été reprise en intégralité sur un support numérique propre (seules les deux premières saisons ont été éditées en DVD, avec une conversion médiocre). Le seul moyen de la voir au complet aujourd’hui est donc de regarder des diffusions hertziennes analogiques enregistrées sur VHS et numérisées par des gens qui n’y connaissaient rien. Ça pique un peu les yeux et on réalise brusquement tout ce qu’on doit aux étalonneurs qui se sont chargés des masters des DVD de Magnum, MacGyver et autres séries contemporaines.
Ainsi, dans l’ensemble, L’Homme qui tombe à pic est une série entraînante, sympathique, selon les moments rigolote ou triste, idiote ou subtile, purement distrayante ou un peu plus engagée.
Les trois premières saisons tournent vraiment bien, avec des épisodes et des sujets assez variés pour éviter toute monotonie, malgré une trame générale assez récurrente. La quatrième est plus inégale et la cinquième souffre d’une vraie chute de qualité : après quelques changements d’auteurs et le départ de producteurs historiques comme Harry Thomason en 1984 et Lou Shaw en 1985, la dernière saison est essentiellement produite par Sam Egan et Chris Larson. Ce n’est pas une amélioration : montages mollassons, rebondissements répétitifs destinés à faire passer des scénarios tirés à la ligne… On comprend pourquoi les audiences ont chuté, provoquant l’arrêt de la série. C’est dommage, mais cela ne doit pas vous empêcher de (re)voir les épisodes précédents lors de leur prochaine diffusion.
- Techniquement, en français, on dirait « agent de cautionnement », mais le cautionnement américain est très différent des systèmes qui peuvent exister chez nous, donc autant éviter l’ambiguïté en gardant le terme original.
- Comme dans toutes les bonnes séries, le méchant est parfois un promoteur immobilier.
- Ce qui en soi est assez incroyable étant donné le physique de quadra absolument banal de Lee Majors à l’époque.
- Et mon complexe vis-à-vis des blondes aux yeux clairs qui savent ce qu’elles veulent doit certainement quelque chose à Markie Post, sérieusement, vous savez ce que ça fait de voir un minois pareil donner des ordres quand on a douze ans ?