Jours de tonnerre

de Tony Scott, 1990, **

Vous connais­sez les frères Scott ? Ridley, l’aî­né, né en 1937, est fier d’être Anglais. Un peu intel­lo, il se flatte de don­ner de la pro­fon­deur à des films qui n’en avaient pas for­cé­ment tant que ça à la base (Alien, le hui­tième pas­sa­ger, Blade run­ner), de remettre en ques­tion le rêve amé­ri­cain (Thelma et Louise, Seul sur Mars), de don­ner une vision unique de l’his­toire de l’hu­ma­ni­té (1492, Christophe Colomb, Exodus, gods and kings, Gladiator)… Tony, son cadet de six ans, la rame­nait un peu moins. Simple et acces­sible, il pon­dait des films grand public, dis­trayants mais sou­vent oubliables. D’ailleurs, si vous citez son nom dans la conver­sa­tion, on va vous par­ler de Top gun et de, euh… De… Si j’en ai vu plein je suis sûr… Attends voir… Ennemi d’État c’é­tait lui non ? Ou USS Alabama ?

Jours de ton­nerre est le cin­quième film de Tony Scott. Souvent résu­mé à « Top gun avec des voi­tures », il est peut-être le plus repré­sen­ta­tif de son œuvre – en tout cas, il se situe pile au point d’é­qui­libre entre forces et fai­blesses de ses autres films pas­sés sous mes yeux.

La trame est aus­si ori­gi­nale qu’une tour Eiffel ven­due à la sau­vette place du Champ-de-Mars à Paris. Jugez plu­tôt : Jeune Loup veut deve­nir chef de meute, Alpha le méprise, ils se battent, ils finissent griè­ve­ment bles­sés mais Alpha passe la main élé­gam­ment, et Jeune Loup deve­nu Alpha doit résis­ter à Plus Jeune Loup qui a débar­qué pen­dant qu’il léchait ses plaies. En pas­sant, y’a Vieux Loup Solitaire qui devient men­tor, et Louve Alpha qui après avoir reje­té Jeune Loup lui saute des­sus comme Depardieu voyant une côte­lette. Ce script est tel­le­ment vu et revu qu’il doit y avoir des paro­dies de films qui paro­diaient cette histoire.

Tom Cruise et Robert Duvall regardent une Nascar
Ouais c’est une jolie voi­ture, mais tu sais, pour moi, c’est juste un moyen de cho­per des filles et de mon­trer que je suis meilleur que tout le monde. — pho­to Paramount Pictures

La pro­duc­tion pro­fite d’un bud­get géné­reux, qui a per­mis de tour­ner avec de vraies voi­tures et de vrais pilotes sur de vrais anneaux, y com­pris le super­speed­way de Daytona. Ça per­met de don­ner de la réa­li­té aux détails tech­niques et d’a­voir un uni­vers cohé­rent, qui tente un peu de com­pen­ser la légè­re­té du scé­na­rio. Par exemple, ici, les pilotes parlent à leur chef d’é­quipe (les Nascar ont des radios depuis très, très long­temps), mais il ne perdent pas de temps à s’in­vec­ti­ver les uns les autres : ils savent que leur voi­sin n’a aucune chance de les entendre. Ils com­mu­niquent donc par petits coups de volant et par doigts levés, ça marche beau­coup mieux. Il est dom­mage que des films comme Le Mans 66 ne s’en soient pas inspirés.

L’autre inté­rêt d’a­voir fait par­ti­ci­per de vraies gens de la Nascar, c’est que l’am­biance Nascar est bien pré­sente : un sport ultra-simple (quoi­qu’ul­tra poin­tu sur cer­tains aspects), un spec­tacle fami­lial agres­sif bour­ré d’i­ma­ge­rie emblé­ma­tique des États-Unis et plus par­ti­cu­liè­re­ment du sud pro­fond. Y’a des pygargues, des Stetson et des che­mises à franges, des chan­teurs de coun­try qui reprennent Star span­gled ban­ner, tout ça. En 1990, la Nascar n’a déjà plus rien à voir avec le stock-car dont elle est née ; mais elle reste un éten­dard red­neck où l’ar­ri­vée d’un Californien ou d’un New-Yorkais fait lever des sour­cils. Pour un film des­ti­né à l’en­semble du public amé­ri­cain, il aurait pu être ten­tant de gom­mer quelques détails – faire l’ou­ver­ture sur une ban­nière étoi­lée plu­tôt que sur un dra­peau confé­dé­ré, par exemple. Mais puisque la Nascar assume et reven­dique cet héri­tage, Jour de ton­nerre lui rend justice.

La réa­li­sa­tion est plu­tôt sobre, effi­cace à défaut d’être réel­le­ment ins­pi­rée, et le mon­tage ner­veux donne un film entraî­nant. Tony Scott est sou­vent consi­dé­ré comme un « fai­seur » appli­qué, et c’est en géné­ral1 assez dis­crè­te­ment qu’il se paie un petit plan ou une petite astuce pour mon­trer aux gens qu’il a aus­si des com­pé­tences de réa­li­sa­teur. Ici, par exemple, il uti­lise assez astu­cieu­se­ment le ban­king de Daytona pour alter­ner des plans débul­lés hori­zon­taux et des plans hori­zon­taux incli­nés, his­toire de déso­rien­ter légè­re­ment le spec­ta­teur. On a long­temps raillé Tony, mais quand on redé­couvre ses films sur le tard, on s’a­per­çoit qu’il avait par­fois des petites idées de mise en scène assez intéressantes.

Plan entre le dernier virage et la courbe des stands à Daytona
Ni hori­zon­tal, ni fran­che­ment débul­lé, un plan légè­re­ment dés­équi­li­bré qui crée une ten­sion visuelle. — pho­to Paramount Pictures

Sur le plan tech­nique, voi­ci donc une série B hon­nête qui s’as­sume comme telle. Mais elle a aus­si un truc remar­quable, dont j’ai soi­gneu­se­ment évi­té de par­ler plus tôt. Un truc qui est à la fois sa grande force, sa fai­blesse la plus tra­gique, l’élé­ment qui a atti­ré les foules mal­gré des cri­tiques miti­gées, et ce qui pousse plein de gens à y voir une resu­cée de Top gun. J’ai nom­mé : Tom Cruise.

Tom venait de pas­ser tota­le­ment inaper­çu dans Rain Man (si si, c’est lui le blai­reau égo­cen­trique qui se fait éclip­ser par Hoffman) et de se faire remar­quer comme tanche de pre­mier calibre dans le navet Cocktail (que j’ai pas revu depuis l’âge de 12 ans, mais le sou­ve­nir que j’en ai me donne pas envie de reten­ter l’ex­pé­rience). Tom a co-écrit le scé­na­rio pour se mettre en vedette, avec un rôle très proche de celui qu’il avait dans Top gun, et repris le seul réa­li­sa­teur qui avait réus­si à don­ner aux gens l’im­pres­sion qu’il pou­vait jouer des rôles. Et com­ment dire…  Tom est par­fait en blai­reau. Dans la pre­mière par­tie du film, où son per­son­nage est un poseur égo­cen­trique et débile qui n’a aucune idée de ce qu’il fout là2, il joue ça avec un tel natu­rel qu’on pour­rait se deman­der s’il joue.

Tom Cruise dans Jours de tonnerre
Poseur, moi ? Juste parce que je fais le beau gosse en Softail Classic le jour où je devrais arri­ver en tenue pour pilo­ter ? — pho­to Paramount Pictures

Mais voi­là : jouer le poseur, ça ne marche qu’un temps, tout per­son­nage doit évo­luer à un moment don­né. Et là où Pete Mitchell, pro­ta­go­niste de Top gun, était entou­ré d’autres per­son­nages qui évo­luaient, incar­nés par des acteurs talen­tueux qui fai­saient pas­ser la sauce3, Cole Trickle, héros de Jours de ton­nerre, est seul pour por­ter sa souf­france, ses doutes et ses peurs lors­qu’il sort de l’hô­pi­tal. Duvall est excellent, mais son per­son­nage retourne au ranch à ce moment-là ; Rooker fait ce qu’il peut, mais sort qua­si­ment du script après l’ac­ci­dent ; Kidman est pro­met­teuse et, en tant que toubib/petite amie, elle devrait être au cœur des scènes pro­fondes et sou­te­nir Tom. Mais voi­là : elle n’est jamais là ! La tou­bib n’est là que pour diag­nos­ti­quer, la copine n’est là que pour érotiser.

Du coup, dans la seconde moi­tié du film, Tom est en roue libre. Et ça se voit, puis­qu’il est au centre de l’é­cran la moi­tié du temps et qu’il n’y a jamais un autre acteur pour détour­ner l’at­ten­tion. Je dis pas que ça sort le spec­ta­teur du film, mais ça n’aide pas à faire pas­ser des dia­logues tout juste moyens et un script bâclé – les per­son­nages qui changent d’a­vis juste pour arran­ger l’au­teur, ça finit par lasser…

Michael Rooker dans Jours de tonnerre
Ok Tom, là c’est comme après la mort de Goose : le moment où tu es déchi­ré inté­rieu­re­ment entre ton inquié­tude pour moi, ta honte suite à l’ac­ci­dent, ta peur et quand même ton ins­tinct de coq arri­viste qui revient… — pho­to Paramount Pictures

Voilà donc le film moyen par excel­lence : bien fait grâce à un bud­get per­met­tant de soi­gner le tra­vail tech­nique, entraî­nant, mais ordi­naire, dépour­vu d’o­ri­gi­na­li­té et souf­frant d’une inter­pré­ta­tion inégale. Il a l’a­van­tage de ne pas péter plus haut que son cul – contrai­re­ment à Ridley, Tony ne pré­ten­dait pas faire de grandes œuvres psy­cho­lo­giques – et d’as­su­mer le fait d’être sim­ple­ment dis­trayant. Comme l’im­mense majo­ri­té des films de Tony, il reste par­fait pour pas­ser une soi­rée plu­vieuse, mais il serait tota­le­ment oubliable s’il n’a­vait été « le nou­veau Top gun de Tom Cruise ».

  1. L’attaque du métro 123 est une déplo­rable excep­tion, avec son image sur­sa­tu­rée et ses explo­zooms nauséeux.
  2. Qui l’as­sume, ceci dit, quand on lui demande com­ment régler sa voiture.
  3. Je vous ai par­lé des larmes de Meg Ryan ? Elles font aus­si oublier que dans cette scène, Tom est aus­si expres­sif qu’une huître cuite.