Everything everywhere all at once

des Daniels, 2022, ***

C’est l’his­toire de la patronne d’une blan­chis­se­rie, satu­rée par le tra­vail et les contraintes, qui se retrouve tout d’un coup connec­tée aux autres ver­sions d’elle-même — celles d’u­ni­vers paral­lèles qu’un détail quel­conque a jadis lan­cés sur une voie tota­le­ment dif­fé­rente. Elle découvre alors qu’un grand méchant veut écra­ser toutes les ver­sions d’elle-même dans tous les uni­vers, celles qui le com­battent acti­ve­ment et sont prêtes à tout pour sau­ver le monde comme celles qui n’ont rien à voir avec le schmil­blick et veulent juste marier leur pro­gé­ni­ture et prendre leur retraite.

Michelle Yeoh et Li Jing en pleine leçon de kung-fu
Quelque part entre la poé­sie mar­tiale de Tigre et dra­gon et le bour­ri­nage déjan­té de Kill Bill… — pho­to Leonine Distributino

Je vois que la cri­tique parle beau­coup de Matrix, et c’est évi­dem­ment une réfé­rence pos­sible des auteurs-réa­li­sa­teurs. Mais en fait, on est ici bien plus proche d’autres œuvres wachows­kiennes : Cloud Atlas et sur­tout l’i­nou­bliable Sense8. En effet, plus que « le type lamb­da d’un uni­vers est le héros d’un autre », les Daniels jouent beau­coup sur « on est tous connec­tés, d’une per­sonne et d’un uni­vers à l’autre ». Evelyn n’est pas juste pro­je­tée dans un autre monde, elle est sur­tout liée à d’autres elle-même, chez qui elle acquiert des savoir-faire et des connais­sances, exac­te­ment comme quand le simple chauf­feur de bus apprend à se battre grâce à la pri­son­nière coréenne.

Tallie Medel et Stephanie Hsu au lavomatic
…entre le roman­tisme facile de Mary à tout prix et les rela­tions parent/enfant de Frankenstein… — pho­to A24

La nar­ra­tion est flam­boyante, entraî­nante, nour­rie de rebon­dis­se­ments et de gags divers et variés. On ne manque ni de répliques qui tuent, ni de bas­tons mil­li­mé­trées, et le film pioche aus­si bien chez Bruce Lee que chez les Monty Python, non sans se per­mettre un détour occa­sion­nel chez Ken Loach ou Richard Curtis. C’est ain­si un glou­bi­boul­ga ori­gi­nal, un tour­billon enjoué et touche-à-tout par­fai­te­ment réus­si, mais…

Jamie Lee Curtis en agent des impôts
…entre l’ad­mi­nis­tra­tion de Moi, Daniel Blake et la mai­son qui rend fou des Douze tra­vaux d’Astérix… — pho­to Leonine Distribution

Mais faut être hon­nête : Everything eve­ryw­here all at once a un peu du mal à conser­ver un fil conduc­teur. En par­ti­cu­lier dans la deuxième moi­tié, il peine à faire pro­gres­ser l’in­trigue d’en­semble et l’en­chan­te­ment ébou­rif­fé ini­tial cède la place à une sen­sa­tion de bor­del vague­ment répétitif.

Soirée de gala dans Everything everywhere all at once
…entre gla­mour clas­sique de Sissi impé­ra­trice et film d’es­pion­nage façon James Bond… — pho­to Leonine Distribution

Ça n’empêche évi­dem­ment pas le film de res­ter entraî­nant, les acteurs d’ex­cel­ler sur plu­sieurs registres, cer­tains gags de mar­cher jus­qu’au bout, cer­tains retour­ne­ments de prendre le spec­ta­teur et de le ren­ver­ser comme une crêpe jusque dans les der­nières minutes (vous ne ver­rez plus jamais les abords du grand canyon de la même manière). Mais il faut bien admettre qu’entre l’ou­ver­ture gran­diose et le finale par­fois magique, le film souffre d’un vrai pas­sage à vide.