Matrix revolutions
|longue baston bordélique des Wachowski, 2003
Il y a des films qu’on suit religieusement. Qu’on n’arrêtera pas si le facteur sonne avec un colis urgent. Qu’on hésitera même à quitter des yeux si l’alarme incendie du salon se déclenche alors que ça sent le brûlé depuis dix minutes.
Il y aussi d’autres films. Des qu’on voit en surveillant vaguement la moindre vibration du téléphone au cas où un SMS arriverait. Des qu’on met jamais en pause, même pour aller aux toilettes. Des que d’ailleurs, quand vous sortez desdites toilettes, vous êtes presque déçu de voir que le héros est toujours à peu près là où vous l’aviez laissé.
Parmi ces films-ci, il y en a qui vont encore plus loin : non seulement vous les laissez tourner dans le vide pour échanger des messages de Nouillel avec vos proches, mais quand vous êtes devant et que vous n’avez rien d’autre à faire que de les regarder, votre cerveau cherche une autre occupation. Il se passe des trucs du style : un personnage demande si c’est la réalité, et vous récitez machinalement toute l’ouverture de Bohemian rhapsody.
Là, c’est pire. Pour vous dire : y’a un moment où mon cerveau a commencé à faire de l’étymologie sauvage. Smith, ça veut dire « forgeron », celui qui travaille le fer. En français, l’équivalent est donc Fèvre (pensez à « orfèvre », qui travaille l’or) ou, plus couramment, Lefebvre. Quant à « agent », il s’apparente facilement, par le son sinon par le sens, à Jean. Autrement dit, Agent Smith, en bon français, on peut raisonnablement le traduire par Jean Lefebvre. Franchement, voyez-le comme ça, ça donne une allure totalement différente à la trilogie Matrix.
Arrivé à ce stade, mon Spock interne a commencé à discuter avec lui-même pour savoir s’il était raisonnable de traduire le prénom par une similarité sonore et le patronyme par une équivalence sémantique. Normalement, il déteste les trucs bâtards, genre « automobile », ce mot qui n’a jamais choisi entre racines latines et grecques. Mais là, il a tellement apprécié le résultat (franchement, imaginez Smith joué par Lefebvre, je vous assure, c’est imparable !!!) qu’il est prêt à faire une exception.
Voilà le genre de choses que votre cerveau peut faire tranquillement en regardant Matrix revolutions, le film qui n’est qu’une longue séquence de baston gratuite. Y’a bien un moment où Jesus joue à Daredevil qui visite Dark city dans une mission suicide au cœur de l’Étoile de la mort, d’ailleurs c’est le moment où j’ai réalisé que Trinity avait un petit côté Elektra depuis le début en fait, puisqu’on en parle je sais plus si je vous ai dit que j’avais reconnu Élodie Yung en deux mots avant même de voir sa tête ? Mes oreilles sont parfois d’une précision dingue, Morgan Freeman me fait le même effet. Curieusement au bout de dix films je sais toujours pas quelle voix a Keanu Reeves, à croire qu’il a rien de remarquable. Comment ça je m’égare ?
Ah oui tiens, je m’égare.
J’étais là pour parler de Matrix revolutions. C’est dingue comme ce film a le don de libérer l’esprit pour penser à autre chose, mieux, d’encourager l’esprit à penser à autre chose.
Concentrons-nous donc.
Matrix revolutions. Le concept est simple. Y’a les machines qui essaient d’envahir la ville, ça fait plein de ferraille dans Zion, mais y’a pas de lion, raaaah putain mon cerveau a encore fait son truc, que fait Bob Marley dans cette scène ? Les dreadlocks c’était dans le 2 pourtant (pis ils étaient plus blancs que blancs).
Je disais donc.
Concentration…
Respiration…
Concentration.
Les machines essaient d’envahir la ville, alors y’a les héros d’Aliens qui ressortent les exosquelettes pour tirer de l’obus de 20 dans tous les sens. Pendant ce temps, Neo, après avoir roupillé sur un quai de gare comme un cyberclodo, essaie de remonter à la source, le cœur de la matrice, avec les étapes habituelles pour réunir des infos : l’oracle qui dit des trucs abscons pour avoir l’air profond, le Français joué par un parfait bilingue qui maîtrisait pas encore vraiment le faux accent français et qui se regarde le nombril en s’écoutant parler, tout ça tout ça. Et donc après, Neo quitte ses potes pour faire le franc-tireur dans son coin, et puis y’a un moment où il se prend pour Daredevil, qui aurait permis d’approfondir un peu et de donner enfin du sens à quelque chose, mais comme les scénaristes ont pas vraiment eu l’inspiration d’en faire une vraie symbolique (comme « j’étais figurativement aveugle mais maintenant que je le suis littéralement je peux voir la réalité », « on ne voit bien qu’avec le cœur » ou autre truc du style), bah ça dure une demi-séquence et hop il retrouve ses yeux pour le combat final. Et pis y’a douze mille Hugo Weaving (je vous ai dit que douze mille Jean Lefebvre à la place ça donnerait une autre gueule au film ?) mais un seul qui fighte. Et pis après Voldemort a l’air d’avoir gagné mais quand Harry le touche, là comme ça hop sans raison particulière tout se retourne et le héros gagne. J’imagine qu’on apprendra dans Matrix 5 que Lilly Neo s’est sacrifiée alors ça lui donne un pouvoir particulier.1
Bref, voilà, c’est plus entraînant que Matrix reloaded, mais ça reste le même genre de film 100 % action, 0 % scénario, avec des effets spéciaux qui claquent mais franchement vu que ça copie juste les premiers Matrix et un Alien çà ou là, on prend pas la même baffe visuelle que pour Matrix à l’époque, et puis des acteurs qui, euh, bah ils sont là quoi, c’est déjà pas mal, vu qu’on leur a pas filé une ligne de texte faut reconnaître que c’est un bel effort de leur part de s’être déplacés jusqu’au plateau, le tout emballé dans un scénario qui vous empêchera pas une seconde de penser à tout autre chose.