Les Éternels
|de Chloé Zhao, 2021, *
De temps en temps, les gens de chez Marvel se disent que les films deviennent imbitables à force d’avoir trop de personnages et de vouloir absolument tous les caser dans chaque opus. Alors, ils en éradiquent la moitié. Puis ils les font réapparaître pour assurer le fan service, et ça redevient chiant et imbitable. Alors…
Alors ils décident que c’est le bon moment pour injecter d’un coup une bonne dizaine de personnages supplémentaires.

Mais dans un film séparé, histoire qu’on ait vaguement l’impression de pouvoir survivre — mais avec suffisamment de références aux Thor, Avengers et consorts pour qu’on soit certains que le prochain film aura bien ses 78 personnages principaux.
Bref.
Donc c’est l’histoire d’une dizaine de super-héros, envoyés sur Terre par Dieu (on l’appelle pas comme ça mais bon, c’est lui qui a créé la Terre donc voilà) pour protéger les humains des superprédateurs que sont les Déviants. Les Éternels, comme leur nom l’indique, sont à peu près immortels, et leurs pouvoirs les font vite passer pour des divinités et trucs approchants — il y a Icare, Athéna, Circé, Gilgamesh… Mais leur mission se limite aux Déviants : pour le reste, ils doivent laisser les bipèdes se développer par eux-mêmes, sans intervenir, mais ils leur filent quand même la charrue et font construire Babylone pour améliorer la cohérence du script.

Après la séquence où les singes découvrent la technologie, on passe sans transition à l’ère moderne, comme tous les fans de 2001, l’odyssée de l’espace le savent. Ou pas.
Bref, de nos jours, ça fait un demi-millénaire que les Immortels ont buté les derniers Déviants et ils vaquent à leurs occupations : y’en a une qui étudie l’anatomie du mâle humain, un qui est superstar à Bollywood, un qui est reclus parce qu’il est pas content de pas avoir pu intervenir lors du massacre de Tenochtitlan, une qui se prend pour Ami Vitale dans son ranch du Northwest, une qui joue l’adolescente rebelle depuis 5000 ans et fait chier ses profs, forcément, elle est rousse, bref, vous voyez le genre.

Et pis y’a un super-Déviant qui débarque, qui manque buter les Londoniennes et se fait chasser de justesse par Cyclope ou Superman je sais plus. Alors on réunit la bande, on enterre la cheffe qui s’est fait buter, on part à la chasse aux nouveaux Déviants, et pis y’a de la trahison et du syndrome de Clochette et Wendy et Peter Pan qui se font la gueule. À la fin (spoiler, je mets le texte en blanc et si vous voulez lire, sélectionnez-le) il appert que la Terre est juste un cocon pour une larve de dieu, que les humains sont là pour la nourrir d’énergie psychique et que quand on arrive à 7 milliards, à une louche près, y’a suffisamment d’énergie pour faire éclore la larve, qui va donc faire éclater la terre et crever tout le monde, dommage que Quake soit pas là pour faire péter la planète avant ça lui ferait les pieds tiens. Donc bon, vous voyez la cohérence du truc : normalement, la première mission des Éternels, ça devrait être de favoriser la reproduction des bipèdes, et il n’y a absolument aucune bonne raison pour qu’ils n’interviennent pas dans leur développement.
Bref.
Bref, c’est un Marvel récent, avec trop de personnages, un scénario bordélique et pas super cohérent, mais réalisé avec soin, monté de même, avec un casting aux petits oignons et des petits détails super appréciables (genre Makkari, sourde, qui échange naturellement en langue des signes avec ses camarades sans que personne en fasse tout un foin). On est loin de la liberté de ton des Nouveaux mutants, mais ça pourrait tourner sans problème.
Mais il y a souci.
Le souci, c’est les monologues grandiloquents des donneurs de leçons en chef.

Franchement, sur le plan moral, on se croirait dans un DC Comics. Et pas les bons DC genre The suicide squad, non, plutôt du DC bien moralisateur à la Black lightning ou Batman v Superman.
Quasiment tout le temps qu’ils ne passent pas à s’affronter dans des scènes d’action toujours plus spectaculaires et gratuites et longuettes quand même un peu à la fin, les personnages le passent à débiter des phrases aussi prétentieuses dans la forme que peu originales dans le fond. Et même en LSA, une leçon de morale sur la fidélité à la mission divine ou le libre arbitre, ça reste chiant.
À l’heure du bilan, le soin apporté par les acteurs et les techniciens ne peut rien faire pour sauver un film propre, mais trop long, trop égocentrique et trop moralisateur.