MacGyver

de Lee David Zlotoff, 1985–1992 et 1994, ****

Vous savez quoi ? Nous sommes en 2021, et si vous dites « Bon, ça marche plus, mais on va bien mac­gy­ve­ri­ser un truc », tout le monde ou presque com­prend qu’il s’a­git de bri­co­ler quelque chose de pas pré­vu pour cet usage afin de faire fonc­tion­ner un appa­reil le temps néces­saire. Même les ado­les­cents ont cette référence.

Pourtant, le der­nier épi­sode de MacGyver a été dif­fu­sé il y a plus d’un quart de siècle. Ne me remer­ciez pas pour le coup de vieux, c’est cadeau.

Pour ma part, j’ai décou­vert MacGyver en 1990. Et c’é­tait la série que je regar­dais avec avi­di­té en ren­trant de l’é­cole1. J’ai même négo­cié de pou­voir mettre mes devoirs de côté et les ter­mi­ner entre l’é­pi­sode et le repas, un soir où je n’a­vais pas fini mes exer­cices avant.

Dans MacGyver, il y avait un aven­tu­rier paci­fiste, huma­niste et éco­lo, une démons­tra­tion des pos­si­bi­li­tés des sciences appli­quées (sur­tout la phy­sique et la chi­mie), des aven­tures hale­tantes avec un méchant immor­tel, des blagues faciles… et sur­tout, tout ce qui vole : del­ta­plane, avion, ULM, héli­co­ptère, fusée, mont­gol­fière, etc. Pour un lec­teur assi­du de Jules Verne et de Dominique Serafini, abon­né au Dauphin et sui­vant assi­dû­ment Ushuaïa2, c’é­tait la série incontournable.

Un peu de temps a pas­sé (vous ai-je dit que le der­nier épi­sode a été dif­fu­sé il y a presque trente ans ?), et après quelques autres vieille­ries, je me suis déci­dé à revoir MacGyver. D’une part pour voir tous les épi­sodes, même ceux que j’a­vais ratés ; d’autre part pour les voir dans l’ordre, vu qu’à l’é­poque entre les redif­fu­sions et les inédits c’é­tait le bazar ; enfin pour voir ce que ça valait, ma série pré­fé­rée de quand j’a­vais dix ans.

Donc, MacGyver.

Le couteau suisse, compagnon indispensable
Même dans mes rêves, je dois la vie à un cou­teau suisse. — cap­ture ABC, rehausse des niveaux

Premier épi­sode, pre­mier choc : MacGyver a un accent de péque­not. Un vrai, bon accent du Minnesota, cet État du nord du Midwest connu pour ses grandes éten­dues vides, ses lacs gelés et ses gaufres (qui per­mettent de le dis­tin­guer du Canada, connu pour ses grandes éten­dues vides, ses lacs gelés et ses cari­bous). J’avais pour­tant déjà enten­du Richard Dean Anderson, et son accent m’a­vait pas cho­qué. En fait, dès le deuxième épi­sode, il l’at­té­nue énor­mé­ment et dans la sai­son sui­vante, il adopte un phra­sé plus plat qui cor­res­pond mieux à la loca­li­sa­tion de la série — le per­son­nage est ori­gi­naire du Minnesota, mais vit à Los Angeles, toute res­sem­blance avec son acteur étant fortuite.

Premier épi­sode tou­jours, deuxième choc : Andy Colson res­semble tout de même fou­tre­ment à Peter Thornton, qui est absent. Il faut dire que c’est le même acteur. Lorsque Pete sera pré­sen­té, il connaî­tra MacGyver depuis long­temps, mais aucune men­tion de Colson ne sera faite. Il aurait pour­tant suf­fi d’un « Hey Pete, tu devi­ne­ras jamais, j’ai vu ton sosie dans ce labo en feu il y a deux mois » pour rendre la série cohérente…

Ces deux points sont en fait symp­to­ma­tiques d’un pro­blème évident : les auteurs de la pre­mière sai­son n’a­vaient pas vrai­ment défi­ni leur per­son­nage ni son uni­vers. Lors de l’é­cri­ture du pilote, il devaient en être à « MacGyver, héros du Midwest, bri­co­leur inven­tif, féru de sciences mal­gré son abord rugueux et son côté péque­not, beau gosse au cou de qui sautent les dames ». Ce n’est qu’une fois la série lan­cée qu’ils ont affi­né son carac­tère, lui ont pro­gres­si­ve­ment inven­té un entou­rage, une his­toire et un sta­tut ; mais, ce fai­sant, ils ont aus­si injec­té une bonne dose d’in­co­hé­rences d’un épi­sode à l’autre.

L'invasion des fourmis
L’invasion des four­mis du sixième épi­sode, qui m’a­vait ter­ri­ble­ment impres­sion­né étant jeune, reste tout à fait pre­nante aujourd’­hui. — cap­ture ABC

Il en va de même de l’é­cri­ture, de la réa­li­sa­tion et de l’in­ter­pré­ta­tion : rien n’est constant. En fait, cette pre­mière sai­son res­semble fou­tre­ment à une boîte de cho­co­lats. Certains épi­sodes sont un pur délice, avec des dia­logues ins­pi­rés, un rythme impla­cable, une ten­sion par­faite, des drames construits et des rebon­dis­se­ments bien pla­cés. C’est par exemple le cas de Compte à rebours, où un maître chan­teur place des bombes sur un paque­bot, dont le fond ren­voie aus­si dis­crè­te­ment aux pro­blèmes de réin­ser­tion des anciens sol­dats du Vietnam. D’autres sont bien menés mais manquent un peu de sub­ti­li­té, comme Situation explo­sive, un pâle remake du Salaire de la peur qui tourne bien mais dont la trame est sévè­re­ment pré­vi­sible. Enfin, quelques épi­sodes tombent tota­le­ment à plat, avec des enfi­lades de cli­chés et des seconds rôles sélec­tion­nés dans la pou­belle d’un soap opera.

La deuxième sai­son est mieux maî­tri­sée. Les per­son­nages se mettent en place : MacGyver bien sûr, mais aus­si Pete, Jack et Penny prennent leurs carac­té­ris­tiques défi­ni­tives. C’est aus­si ici que Pete quitte l’a­gence gou­ver­ne­men­tale DXS pour la fon­da­tion Phoenix, où il fait embau­cher le héros.

Murdoc se fait passer pour MacGyver
Murdoc qui se fait pas­ser pour MacGyver, un des grands moments de la série. — cap­ture ABC

Et puis, c’est ici qu’ap­pa­raît Murdoc, l’homme qui crie « MacGyveeeeeer » à chaque fois qu’il meurt, mais dont on ne retrouve jamais le corps. Murdoc, tueur à gages, maître ès dégui­se­ments, qui mélange des carac­té­ris­tiques d’as­sas­sins vus dans la pre­mière sai­son et devient l’en­ne­mi récur­rent. Murdoc, qui a dès son appa­ri­tion une rela­tion d’ad­mi­ra­tion retorse et de crainte réci­proque avec MacGyver (et Pete, dans une moindre mesure). Murdoc, qui va cou­rir le trou­ver quand il aura besoin d’aide, qui cher­che­ra inlas­sa­ble­ment à le tuer et sem­ble­ra presque sou­la­gé qu’il sur­vive à tous les coups.

Vous direz ce que vous vou­drez, une bonne série repose sou­vent sur un bon méchant, et Murdoc apporte énor­mé­ment à MacGyver.

Les aigles, saison 2 épisode 8
Les aigles, un épi­sode fon­da­teur du « MacGyver éco­lo ». — cap­tures ABC

Sur le plan nar­ra­tif, les épi­sodes sont un peu moins décou­sus. Mac est plus clai­re­ment éco­lo­giste et huma­niste : il peut pas­ser tout un épi­sode juste à soi­gner un aigle ou à sur­veiller un qua­tuor de jeunes à qui un juge a don­né le choix entre un stage en pleine nature et la mai­son de cor­rec­tion. C’est aus­si ici qu’il devient (presque) défi­ni­ti­ve­ment inca­pable d’u­ti­li­ser une arme à feu : dans la pre­mière sai­son, il lui arri­vait encore de mena­cer des gens d’un pistolet.

Sa rela­tion avec les femmes évo­lue aus­si, même si elles ont encore un peu trop ten­dance à lui sau­ter des­sus sans qu’il ait rien deman­dé. On com­mence, mine de rien, à semer les graines de « MacGyver, éter­nel céli­ba­taire, qui pour­rait se caser avec une fille bien si seule­ment il arri­vait à gérer son pro­blème avec l’en­ga­ge­ment », qui devien­dra un res­sort secon­daire impor­tant de la sixième sai­son (laquelle, pour le coup, appro­fon­di­ra beau­coup le personnage).

Pour com­pen­ser ces qua­li­tés, la sai­son 2 invente un concept très con et très chiant, qui revien­dra par la suite : l’é­pi­sode copier-col­ler, construit en assem­blant à l’ar­rache des mor­ceaux d’his­toires pré­cé­dentes et en les liant à l’aide d’un pré­texte quel­conque (ici : Mac retrouve ses amis lors d’une récep­tion et se remé­more tout ce qu’ils ont vécu ensemble). Dieu mer­ci, aujourd’­hui, on a la touche « avance rapide » pour pas­ser ces moments gênants, mais il manque la pos­si­bi­li­té de rem­pla­cer ces patch­works par un résu­mé de trois phrases afin de connaître les rares infor­ma­tions utiles à la suite.

Le piège du DC-3
MacGyver n’est pas le seul bri­co­leur de la série, comme en témoigne ce piège india­na­jo­ne­sesque réa­li­sé avec une pale d’hé­lice et une jambe de train de C‑47 cra­shé en 1945. — cap­ture ABC, rehausse des niveaux

À par­tir de la troi­sième sai­son, la série tourne en ter­rain connu. Les ouver­tures pla­cées avant les géné­riques dis­pa­raissent défi­ni­ti­ve­ment, de même que les expli­ca­tions en voix off (sou­ve­nez-vous : « Quand j’a­vais dix ans, mon grand-père m’a dit… »). La majo­ri­té des épi­sodes reposent sur des intrigues d’es­pion­nage ou de polar, géné­ra­le­ment sur le sol américain.

L’action est tou­jours domi­nante et bien sou­te­nue par un humour léger, le rythme est glo­ba­le­ment bien géré, les res­pon­sables du cas­ting rehaussent un peu leurs exi­gences et arrêtent d’embaucher des tanches pour les seconds rôles (quitte à prendre plu­sieurs fois le même acteur pour jouer dif­fé­rents per­son­nages). Du coup, la série devient beau­coup mieux menée et plus homo­gène, et se suit avec un réel plai­sir à défaut de sur­prendre à chaque fois.

Christopher Judge dans MacGyver
Salut pas-encore-O’Neill, je suis pas-encore-Teal’c. — cap­ture ABC

Mais les scé­na­ristes se réservent tout de même le droit de varier les plai­sirs, grâce à des épi­sodes qui sortent du canon habi­tuel. Ici, Mac va rem­pla­cer l’en­traî­neur d’une équipe de hockey, là, il sera juré d’un concours d’in­gé­nie­rie uni­ver­si­taire, ici encore, il affron­te­ra un pro­mo­teur immo­bi­lier prêt à rui­ner l’en­vi­ron­ne­ment local ou à expro­prier de braves gens3. On retrouve la même varié­té du côté des décors : la série alterne avec un cer­tain bon­heur les pays exo­tiques, la méga­pole cali­for­nienne, les coins per­dus du Wyoming ou du Minnesota…

Notons aus­si quelques esca­pades dans la pure comé­die, géné­ra­le­ment grâce à Jack. Il nous gra­ti­fie même d’un remake assez hila­rant de Trois hommes et un couf­fin, à la limite de l’ab­surde. Petite note pour les fans : cet épi­sode, dif­fu­sé quelques mois à peine après le remake Trois hommes et un bébé, n’est pas basé sur celui-ci mais bien sur l’o­ri­gi­nal de Serrault, comme en témoigne notam­ment la reprise du terme « cradle » du titre, aban­don­né par Nimoy.

Et puis, il y a par­fois cette petite touche de fan­tas­tique, de SF ou de film d’hor­reur, qui sur­vient à l’im­pro­viste au détour d’une intrigue sous la forme d’un cha­man inuit, d’une mai­son han­tée ou d’un ven­deur d’aspirateurs.

Le masque du loup
Vous connais­sez la légende des hommes-loups ? C’est pas une légende… — cap­ture ABC

Ces esca­pades apportent à la série une authen­tique liber­té de ton qui lui per­met non seule­ment d’é­vi­ter la mono­to­nie, mais aus­si et sur­tout d’a­bor­der des sujets plus variés que ses thèmes récur­rents (vie des espions, chasses à l’homme et réin­ser­tion de jeunes en dif­fi­cul­té). Mine de rien, MacGyver évoque ain­si mille petites choses, du syn­drome de stress post-trau­ma­tique à l’ap­proche de la qua­ran­taine en pas­sant par des consi­dé­ra­tions assez sévères sur la poli­tique américaine.

Les quar­tiers aban­don­nés par les auto­ri­tés, les jeunes noirs qui rejoignent les gangs faute d’a­ve­nir, le sys­tème de san­té inéga­li­taire ou la faci­li­té avec laquelle la socié­té amé­ri­caine pro­duit des clo­chards sont autant de pro­blèmes pré­sen­tés entre deux enquêtes. Les ravages du capi­ta­lisme et de l’in­dus­trie pri­vée sont régu­liè­re­ment mis en avant, ain­si (ques­tion d’é­qui­libre sans doute) que la lour­deur bureau­cra­tique de l’État fédé­ral. Le héros crache aus­si ouver­te­ment sur la CIA, lui repro­chant notam­ment d’a­voir arro­sé tour à tour les aya­tol­lahs, les contras et Noriega, dos­siers encore chauds à l’é­poque du tour­nage. Enfin, des per­son­nages étran­gers mettent éga­le­ment quelques points sur quelques i, comme ces Birmans « libé­rés » par MacGyver qui lui font remar­quer qu’il a en pas­sant bou­sillé leur mode de vie.

Bien enten­du, MacGyver n’est pas aus­si pro­fon­dé­ment poli­tique que d’autres séries comme Urgences, mais elle dis­tille un mes­sage assez sub­til à une époque (Reagan-Bush, pour mémoire…) où beau­coup se conten­taient de chan­ter les louanges des États-Unis en évi­tant soi­gneu­se­ment les sujets polé­miques. MacGyver est très amé­ri­cain à l’é­tran­ger, mais il n’hé­site pas à gro­gner sur la poli­tique inté­rieure et à pen­cher très net­te­ment du côté scien­ti­fique sur les contro­verses reli­gieuses et du côté libe­ral4 sur les ques­tions de société.

C’est d’au­tant plus bizarre quand, dans les sai­sons 5 et 6, on voit appa­raître une série d’é­pi­sodes direc­te­ment ins­pi­rés de la guerre contre les drogues de Reagan, écrits avec toute la sub­ti­li­té d’un vieux réac du Parti répu­bli­cain. C’est le sujet sur lequel la série renonce à toute sub­ti­li­té et à toute intelligence.

Il y a un pré­cé­dent : dès le début, MacGyver n’aime pas l’al­cool et il met en garde contre lui, avec une cer­taine déli­ca­tesse, pré­fé­rant aver­tir que condam­ner. En revanche, dès qu’il s’a­git de crack ou d’hé­roïne, il n’est plus ques­tion de modé­ra­tion ou de cri­tique sociale : on sort la grosse caisse et on répète en boucle que la drogue, çay­mal, point final. Le seul truc plus bour­rin dans toute la série, c’est l’é­pi­sode de Noël de la sai­son 5, tel­le­ment niais, gen­tillet et sucré que la Convention de Genève le consi­dère comme une arme de des­truc­tion mas­sive contre les diabétiques.

Lorsque la série s’ar­rête, après une sep­tième sai­son rac­cour­cie en 1992, le bilan est donc par­ta­gé. Si on fait preuve d’ob­jec­ti­vi­té, cer­taines intrigues sont un peu brouillonnes, notam­ment dans les deux pre­mières sai­sons. Les scé­na­ristes se sont sans doute fait plai­sir et ne se sont inter­dit aucun sujet, mais ça part un peu dans tous les sens. Pire, nombre d’ac­teurs reviennent sans qu’on sache a prio­ri s’il reprennent le même rôle ou en endossent un nou­veau. Bref, l’en­semble manque sévè­re­ment de cohé­rence. (Et je ne parle même pas des deux télé­films pro­duits en 1994, des mélanges de films d’ac­tion anglais et d’une pâle copie d’Indiana Jones, où les bri­co­lages et la phy­sique-chi­mie sont presque por­tés dis­pa­rus, où tous les per­son­nages secon­daires habi­tuels sont absents et où le carac­tère même de MacGyver est bien moins fin que dans la série.)

Le grand mystère des 6,5 premières saisons
Le grand mys­tère des 6,5 pre­mières sai­sons : le pré­nom de MacGyver. L’épisode de la révé­la­tion est encore meilleur aujourd’­hui, après avoir vu Kaamelott. — cap­ture ABC

Oui, mais. Mais il y a aus­si de vrais bons côtés. La liber­té de ton d’a­bord, jouant sur des points de vue par­fois très dif­fé­rents : MacGyver est un peu cabo­chard, sou­vent bou­gon et par­fois cynique, mais il est entou­ré de gens très car­rés, géné­reux et opti­mistes, notam­ment Penny, et d’autres très à che­val sur les prin­cipes, comme Pete.

Ensuite, les étran­gers ne sont pas juste des étran­gers de ser­vice tels que vus par un tour ope­ra­tor amé­ri­cain, mais des per­son­nages construits, avec leurs propres valeurs et leurs propres buts. C’est d’au­tant plus visible que les héros ont pas mal de rela­tions dans les pays de l’Est : la fon­da­tion Phoenix passe beau­coup de temps à essayer d’a­mé­lio­rer les rela­tions entre URSS et USA. Les com­mu­nistes ne sont pas (tous) des bour­rins, les Yankees ne sont pas (tous) des blai­reaux, et les points de conver­gence sont fina­le­ment nom­breux. Notez que la série se déroule en gros de la glas­nost à l’ex­plo­sion de l’URSS : ça n’é­tait pas ano­din, à l’é­poque, de pré­sen­ter les Soviétiques comme des êtres humains. En 1985, année du lan­ce­ment de la série, Rocky IV et Rambo II : la mis­sion explo­saient le box-office avec une vision anti­com­mu­niste pri­maire et mani­chéenne. MacGyver, lui, cherche tou­jours à apai­ser les ten­sions avec le bloc de l’Est, essaie de com­prendre le point de vue de l’autre, n’hé­site jamais à col­la­bo­rer avec scien­ti­fiques et agents com­mu­nistes, et va jus­qu’à « fra­ter­ni­ser » avec une ex-espionne venue du froid.

D’ailleurs, puis­qu’on en parle : la pré­sen­ta­tion des femmes évo­lue beau­coup au fil de la série. Dans un pre­mier temps, elles servent sur­tout de faire-valoir mon­trant à quel point le héros est irré­sis­tible. Mais par la suite, elles ont de plus en plus leur mot à dire et s’a­vèrent être de vraies gens, d’au­then­tiques héroïnes ou encore des scien­ti­fiques com­pé­tentes. Elles ne se contentent plus de tom­ber dans les bras du héros, mais le mani­pulent, l’aident ou le recons­truisent après un deuil, tout en menant leurs propres vies.

Dernier point thé­ma­tique : la der­nière sai­son est un plai­doyer pour l’in­té­gra­tion des han­di­ca­pés, Pete per­dant la vue mais trou­vant une nou­velle façon de se rendre utile.

Le mélange des genres est aus­si bien géré. À l’é­poque, je ne m’en ren­dais pas vrai­ment compte, mais pas­ser au fil des épi­sodes d’une intrigue d’es­pion­nage en Bulgarie sovié­tique à une fable huma­niste dans un gym­nase de Compton était assez rare. Et outre les thèmes récur­rents du paci­fisme et de l’hu­ma­nisme, c’est pro­ba­ble­ment une des pre­mières grandes séries éco­los — et l’une des rares à ne pas se baser sur un pos­tu­lat apocalyptique.

Rivière polluée dans MacGyver
La pol­lu­tion et la cupi­di­té indus­trielle, des pro­blèmes majeurs qui annoncent aci­di­fi­ca­tion et insta­bi­li­té des sols, manque d’eau potable, chan­ge­ment cli­ma­tique… Et on est dans les années 80 ! — cap­ture ABC

À ce sujet, il faut bien dire que revoir ça trois décen­nies plus tard a un petit côté dépri­mant : MacGyver par­lait déjà de pol­lu­tion, de bio­di­ver­si­té, d’a­ci­di­fi­ca­tion des sols, ou encore de chan­ge­ment cli­ma­tique, en des termes très proches de ceux du débat actuel — ce qui devrait suf­fire à faire défi­ni­ti­ve­ment fer­mer leur gueule aux der­niers débiles qui pré­tendent qu’on ne savait pas ou que rien n’est cer­tain. Quand on constate que rien n’a vrai­ment avan­cé trente ans plus tard alors que tout était déjà là, clai­re­ment énon­cé, on est un peu pris de ver­tige devant notre inson­dable conne­rie collective.

Pour finir sur une note plus per­son­nelle, MacGyver a aus­si eu un autre effet posi­tif pour ma géné­ra­tion : le geek, vous savez, le type féru de science qui essaie de com­prendre com­ment tout marche, deve­nait un héros. Ouvertement des­ti­née à favo­ri­ser la curio­si­té scien­ti­fique, la série auto­ri­sait les lec­teurs de Jules Verne et d’Asimov, les fans d’in­for­ma­tique et de bri­co­lage, ceux qui trouvent évident qu’il y a une dif­fé­rence de poten­tiel entre une pomme de terre et une orange ou qui éco­no­misent un plom­bier en répa­rant eux-mêmes leur chasse d’eau avec une vieille boîte de Nesquik et un cou­teau suisse, bref, tous les curieux de nature un peu nerds sur les bords, à sor­tir du pla­card. S’intéresser à la phy­sique, à la chi­mie ou à l’é­co­lo­gie plu­tôt qu’au foot, à l’é­co­no­mie et à son plan de car­rière était non seule­ment auto­ri­sé, mais valorisé.

Bon, c’é­tait à double tran­chant : toute une géné­ra­tion de jeunes gar­çons ont cru grâce à MacGyver qu’être intel­li­gent et débrouillard suf­fi­sait à être dési­rable. Spoiler : la décon­ve­nue fut bru­tale. Mais ça nous a aus­si ins­pi­ré des per­son­nages comme Eugene Porter et Howard Wolowitz, qui ont clai­re­ment rêvé d’être MacGyver quand ils avaient dix ans…

Mayim Bialik interprète Lisa Woodman
Oui, ben te plains pas, hein. Moi aus­si, MacGyver m’a fait pen­ser qu’a­voir l’es­prit scien­ti­fique, savoir répa­rer un hors-bord avec un clou rouillé et une bat­te­rie, c’é­tait sexy. Et vingt ans plus tard j’ai épou­sé Sheldon Cooper. — cap­ture ABC

MacGyver a donc vieilli, mais reste d’une actua­li­té brû­lante sur cer­tains sujets. Les per­son­nages sont fina­le­ment plu­tôt bien construits (seule Penny man­quant vrai­ment d’é­vo­luer) et la varié­té de l’en­semble évite toute mono­to­nie. Finalement, ça se regarde encore avec plai­sir, au-delà du simple effet madeleine.

  1. D’après Wikipedia, elle était dif­fu­sée le dimanche, mais mes parents m’ont confir­mé mon sou­ve­nir : je le regar­dais tous les soirs après les cours. Il devait y avoir des redifs en semaine et des inédits le dimanche, je suppose.
  2. Je fais par­tie des gens pour qui Nicolas Hulot res­te­ra à jamais « le type qui a ger­bé dans un Sukhoi », bien avant d’être un ministre d’État expert en démis­sion radiophonique.
  3. Comme dans toutes les bonnes séries, le méchant est sou­vent un pro­mo­teur immobilier.
  4. Qui n’est abso­lu­ment pas le « libé­ral » français…