Nicky Larson

de Kenji Kodama d’a­près Tsukasa Hōjō, 1987–1991, ***

On a beau être adulte, auto­nome et res­pon­sable, de temps en temps, bouf­fer une made­leine, ça fait du bien. Il y a deux ans, je m’é­tais refait Les mys­té­rieuses cités d’or ; cette année, j’ai donc ava­lé tous les Nicky Larson (ou City Hunter si vous pré­fé­rez). Les mys­té­rieuses cités d’or, c’est le des­sin ani­mé emblé­ma­tique de ma période « décou­verte », où j’é­tais fas­ci­né par les explo­ra­teurs et les aven­tures exo­tiques ; c’é­tait l’é­poque de 88 à 90 où, quand j’é­tais chez moi, je pas­sais mes soi­rées à dévo­rer les voyages extra­or­di­naires, avec une pas­sion par­ti­cu­lière pour 20 000 lieues sous les mers et L’île mys­té­rieuse, les deux plus dépay­sants du lot.

Nicky Larson, c’est plu­tôt la période 90–91, où je décou­vrais l’élec­tri­ci­té. Je dévo­rais des polars (Les six com­pa­gnons pour com­men­cer, puis un peu d’Exbrayat et plein dont je sau­rais pas retrou­ver les réfé­rences) et pas mal de BD his­to­riques (ma ren­contre avec Masquerouge m’a long­temps mar­qué). Jules Verne avait lais­sé la place à Isaac Asimov et Robert Heinlein, qui ajou­taient une touche de tech­no­lo­gie et de sus­pense à leurs aven­tures. Ah, et je com­men­çais aus­si à trou­ver que la petite blonde d’à côté, là, elle avait quelque chose qu’au­cun ami n’au­rait jamais…

Donc, Nicky Larson. Concept de base : entre polar et aven­tures, mais tou­jours moderne, urbain, violent, par­fois bru­tal, sou­vent cynique. Nicky évo­lue dans un monde dur et, s’il n’a pas peur, c’est parce qu’il est le pré­da­teur le plus dan­ge­reux de son ter­ri­toire. Excellent tireur, doté de réflexes hors normes, d’une vue et d’une ouïe irré­pro­chables, plu­tôt dénué de scru­pules et n’hé­si­tant guère à détruire tout un quar­tier pour arri­ver à ses fins, il n’est pas sans rap­pe­ler Harry Callahan — avec un .357 à la place du .44, quoi.

Heureusement, pour allé­ger un peu le pro­pos, les auteurs ont don­né à leur héros fort, mus­clé, élé­gant et imbat­table une fai­blesse majeure : une obses­sion sexuelle à toute épreuve. Éloge de la miso­gy­nie pour cer­tains (les femmes ne seraient donc qu’un gibier ou un sujet de désir plu­tôt que des per­sonnes à part entière), j’au­rais plu­tôt ten­dance à voir là la fai­blesse néces­saire à tout héros, en plus d’une source de gags répé­ti­tifs mais par­fois excel­lents. C’est aus­si la face B du sym­bole de viri­li­té qu’est Nicky : pro­tec­teur assi­du de toutes les femmes, il doit logi­que­ment être à leur mer­ci. D’ailleurs, Mammouth, l’autre héros indes­truc­tible de la série, a lui aus­si une faille ridi­cule : géant infa­ti­gable et sau­vage, il a la pho­bie des chats domestiques.

Attaquer la série sur le rôle dévo­lu aux femmes est, à mon avis, aus­si facile que d’at­ta­quer Nicky en lui jetant un sou­tien-gorge : c’est l’axe évident, simple, que l’on trouve sans avoir besoin de cher­cher. J’aurais cepen­dant ten­dance à nuan­cer le pro­pos : plus que de simples vic­times, les femmes peuvent être fortes, séduc­trices, et jouent elles-mêmes par­fois de leurs charmes pour détour­ner Nicky de son but ou le mani­pu­ler à leur pro­fit. Et si elles sont sou­vent inca­pables de résoudre les situa­tions sans l’in­ter­ven­tion du héros, ben… c’est le propre d’un héros : il arrive pour déga­ger les blo­cages les plus inex­tri­cables et tout remettre d’a­plomb. On fait pas le même reproche à MacGyver, qui pour­tant débarque plus d’une fois pour sor­tir une jolie femme d’un pro­blème où elle s’est mise elle-même.

Côté réa­li­sa­tion, Nicky Larson souffre d’une cer­taine mono­to­nie et de quelques lon­gueurs, mais l’é­qui­libre entre humour potache, voire fran­che­ment con, et action débri­dée est plu­tôt bien trou­vé. Le fond n’est pas la force du début de la série et il faut long­temps pour voir se des­si­ner une his­toire ; c’est en fait presque entiè­re­ment dans les der­niers épi­sodes que l’on com­prend un peu mieux le pas­sé des pro­ta­go­nistes, en par­ti­cu­lier l’his­toire longue et com­plexe qui unit Nicky et Mammouth. La mort de Tony, qui déclenche l’é­vo­lu­tion des per­son­nages en créant le couple Laura / Nicky, met fina­le­ment très long­temps à avoir des conséquences.

Le dou­blage fran­çais est un élé­ment à part entière de la série : hor­ri­ble­ment sté­réo­ty­pé, édul­co­ré jus­qu’au ridi­cule (ils ont une drôle de gueule, les res­tos végé­ta­riens japo­nais…1), il pos­sède son propre effet comique, aus­si pathé­tique que la rela­tion de Nicky avec les femmes.

Ça n’empêche pas cer­tains pas­sages d’être très réus­sis, notam­ment nombre de ceux qui ren­voient les mer­ce­naires à leur pas­sé et quelques gags récur­rents (varia­tions sur le thème de la mas­sue de Laura, per­son­nages tra­ves­tis, etc.). Il y a aus­si quelques détails bien vus, comme l’ac­cord des voi­tures des couples de pro­ta­go­nistes : Nicky a son éter­nelle Mini, Mammouth sa bonne vieille Jeep, et l’on découvre ensuite que Laura uti­lise une autre cita­dine et Mirna un autre tout-ter­rain, tou­jours plus modernes (Fiat Uno et Lada Niva, res­pec­ti­ve­ment) que leurs par­te­naires masculins.

Dans l’en­semble, Nicky Larson reste donc une série assez moderne mal­gré son décor très mar­qué années 80, qui souffre de répé­ti­tions mais pos­sède un lot d’am­bi­guï­tés et de qua­li­tés suf­fi­santes pour encore accrocher.

Pis c’est une super made­leine, bien sûr.

  1. Ce sont des love hotels dans la ver­sion originale.