Sale temps à l’hôtel El Royale
|de Drew Goddard, 2018, ****
C’est un de ces hôtels qui ont été construits pour l’opulence mais, quelques décennies plus tard, n’offrent plus qu’un discours d’accueil grandiloquent pour faire passer des murs défraîchis et un confort loin du standard moderne. C’est une de ces périodes où les États-Unis se cherchent à nouveau, où les curés et les vendeurs traditionnels écument l’Ouest pour vendre leurs boniments et croisent au hasard des routes des petites gens pleins d’espoir et des hippies qui n’ont rien à faire des conventions conservatrices. C’est un de ces valets qui n’ont plus grand-chose pour s’occuper dans un motel fantôme et se shootent en attendant que les aléas climatiques leur apportent quelque passant pour la nuit.
C’est un de ces polars qui jouent avec les codes du polar, détournant et réinventant constamment leur propre nature, butinant avec légèreté d’un sujet à l’autre. Un de ces films qui alternent scènes totalement burlesques et séquences de tragédie dramatique, passages à la légèreté frivole et intrigues à la tension implacable, touches de réalisme absolu et gros morceaux d’absurde achevé, humanité à fleur de peau et cynisme à tendance sinistre.
Osciller constamment entre film noir et parodie de film noir est un exercice à part entière, popularisé par les frères Coen ou Tarantino par exemple. S’y essayer est donc doublement périlleux, d’autant plus que Drew Goddard n’a ici aucune excuse : scénariste, réalisateur et producteur, il est responsable de son œuvre d’un bout à l’autre. Il s’en sort avec les honneurs, évidemment grâce à un scénario ciselé, qui aborde une variété de thèmes et des sous-intrigues très diverses avec une certaine aisance ; grâce à une réalisation néo-classique, reprenant les plans et l’esthétique traditionnels avec une touche de modernité ; et, surtout, grâce à un. putain. de. casting.
Jeff Bridges et Dakota Johnson sont les deux principales têtes d’affiche et, vu qu’ils n’ont plus rien à prouver, on va se contenter de rappeler qu’ils sont à leur habitude excellents. Cynthia Erivo, que je ne connaissais absolument pas (mais on en reparlera bientôt), interprète un personnage qui ressemble initialement à un cliché traditionnel et se révèle finalement plus subtil et complexe. Cailee Spaeny fait heureusement oublier qu’elle a commencé par interpréter l’enfant horripilant de Pacific rim : uprising et parvient à être simultanément victime innocente et psychopathe de service. Et Chris Hemsworth… Bon, je peux pas évoquer son personnage sans vous gâcher le film, mais dites-vous juste qu’il est sublime — et je parle pas de son physique, même s’il en joue clairement.
Chacun a un personnage travaillé, paradoxal, humain, et s’efface à son service pour en faire ressortir les divers aspects : c’est un ensemble d’acteurs superbement dirigé qui sert un ensemble de personnages soigneusement écrits.
Alors, ce Sale temps à l’hôtel El Royale, à conseiller sans réserve ?
Pas forcément.
D’abord, c’est fondamentalement un thriller noir. Si vous aimez pas le genre, passez à autre chose, personne ne vous jugera. Ensuite, il faut aimer les films d’ambiance qui se construisent peu à peu : c’est en fait l’antithèse parfaite d’un film d’action effréné. S’il est entraînant, il est aussi contemplatif et joue d’un rythme posé pour nourrir son atmosphère humide et sombre. Enfin, il faut apprécier d’être pris à contre-pied, d’être perdu entre plusieurs intrigues, de ne plus savoir si on regarde un film de gangsters ou un thriller pervers.
Mais si vous pouvez savourer ça, vous risquez aussi de passer un très, très bon moment.