Murder

de Peter Nowalk, depuis 2014, **** (sai­son 1) / *** (sai­son 2)

À la fac de droit de Philadelphia, il y a un cours qui sort de l’or­di­naire : celui de l’a­vo­cate péna­liste Annalise Keating, dans lequel elle pré­sente son acti­vi­té en fai­sant étu­dier des cas réels à ses élèves, et qu’elle a sobre­ment inti­tu­lé « com­ment s’en tirer après un meurtre » — oui, c’est le titre ori­gi­nal de la série, How to get away with mur­der. Tous les ans, elle pioche une bro­chette d’é­lèves qui auront réus­si à sor­tir du lot lors des ques­tions du pre­mier cours : ils pas­se­ront l’an­née dans son cabi­net, à assis­ter ses deux assis­tants, à étu­dier les stra­té­gies, à pré­pa­rer les accu­sés et à inter­ro­ger les témoins avant les pro­cès. Cette année, cepen­dant, un petit grain de sable enraye la méca­nique de sa car­rière : ses élèves vont pas­ser aux tra­vaux pratiques…

Le pre­mier point notable, bien sûr, est le cas­ting façon « méthode des quo­tas » : les cinq élèves sélec­tion­nés sont trois gar­çons, deux filles, qui per­mettent avec les deux femmes, un mec du cabi­net de for­mer un ensemble équi­li­bré. Il y a une his­pa­nique, une blonde, deux noires ; un homo, un rital, un métis, un juif. Des pauvres issus de quar­tiers popu­laires, des riches fils de juges ou de mil­lion­naires, une pou­pée Barbie, un beau gosse de ser­vice, des arri­vistes, des idéa­listes, et même une poi­gnée de gens rela­ti­ve­ment nor­maux (ce qui manque dans beau­coup de cas­tings « méthode des quo­tas »). Disons-le tout net : c’est pas super cré­dible, et même un peu aga­çant en y réflé­chis­sant bien.

Vous ne pouvez pas rejoindre le casting, le quota de [à compléter] est déjà atteint. - photo Richard Cartwright pour ABC
Vous ne pou­vez pas rejoindre le cas­ting, le quo­ta de [à com­plé­ter] est déjà atteint. — pho­to Richard Cartwright pour ABC
Et puis, pour por­ter ce cas­ting de son­dage télé­pho­nique, il faut bien recon­naître que tous les acteurs ne se valent pas et que dans l’en­semble la direc­tion est très sté­réo­ty­pée. Viola Davis, qui porte la série, a une longue car­rière d’ac­trice hon­nête, mais pas des masses d’in­ter­pré­ta­tions éblouis­santes ; ici, elle s’en sort hono­ra­ble­ment, avec en par­ti­cu­lier une voix posée, juste et à la dic­tion par­faite mais, comme pour les autres, son per­son­nage attire plus l’at­ten­tion que sa prestation.

Oui, c’est la bonne nou­velle : l’ef­fort pour déve­lop­per les per­son­nages est réel, sans pour autant tom­ber dans le tra­vers « on a tous une his­toire com­pli­quée, cachée et ter­rible ». Le jeune sor­ti de la liste d’at­tente a mani­fes­te­ment quelques petits pro­blèmes his­to­riques, beau­coup ont des rela­tions com­pli­quées avec leurs parents, mais de manière géné­rale leur vie est assez ordi­naire jus­qu’au jour où ils fran­chissent la porte du cabinet.

De la salle de classe… - photo Mitchell Haaseth pour ABC
De la salle de classe… — pho­to Mitchell Haaseth pour ABC

L’écriture du scé­na­rio est sur­tout une vraie source de satis­fac­tion : l’his­toire elle-même est un polar retors et plu­tôt bien construit, et sa pré­sen­ta­tion est extrê­me­ment effi­cace. Tout au long de la pre­mière sai­son, on suit paral­lè­le­ment deux his­toires : la nuit des tra­vaux pra­tiques où on se retrouve avec un cadavre sur les bras, et l’an­née sco­laire avec son alter­nance entre cours et tra­vail au cabi­net — gros­so modo, chaque épi­sode suit un pro­cès où Keating est avo­cat de la défense. La pre­mière moi­tié est construite en flash-for­ward suc­ces­sifs, par petites touches inco­hé­rentes, un peu à la façon dont on peut tom­ber sur des élé­ments au cours d’une enquête en ten­tant d’as­sem­bler le puzzle ; la seconde est plus chro­no­lo­gique, décri­vant pro­gres­si­ve­ment com­ment on arrive à cette nuit, puis ce qu’il se passe ensuite. L’intersection entre ces deux his­toires n’est en effet pas la fin de cette construc­tion habile, les flash-for­ward se trans­for­mant ensuite en flash-back pour ajou­ter des élé­ments nou­veaux au fur et à mesure que leurs consé­quences se dénouent.

…au tribunal. - photo Mitchell Haaseth pour ABC
…au tri­bu­nal. — pho­to Mitchell Haaseth pour ABC

Au pre­mier coup d’œil, la recette « alter­ner école et ter­rain » peut rap­pe­ler une bouse comme Quantico, mais la com­pa­rai­son s’ar­rête là : ici, elle sert à créer une ambiance ten­due et à impli­quer le spec­ta­teur dans un jeu de pistes plu­tôt tor­du. L’ensemble forme donc un bon thril­ler d’une dou­zaine d’heures, à la construc­tion extrê­me­ment soi­gnée et fran­che­ment réussie.

La sai­son 2 a un gros pro­blème : elle reprend exac­te­ment le même sché­ma, et n’en devient du coup qu’une varia­tion sur un thème impo­sé, sans véri­table nou­veau souffle. Elle est impor­tante parce qu’elle com­plète son aînée et répond à nombre de ques­tions lais­sées en sus­pens par le cliff­han­ger du quin­zième épi­sode (et notam­ment la rela­tion tor­due entre Keating et son pro­té­gé), mais ne nous trom­pons pas : dans l’en­semble, les scé­na­ristes n’ont pas su retrou­ver l’al­lant et le piment de leur recette. Ça fait un peu l’ef­fet du chi­li con carne Fleury Michon : c’est loin d’être dégueu­lasse, mais ça n’a rien de la sub­ti­li­té du vrai res­to texan du coin de la rue.

Fait froid ici, si on allait retrouver le feu de joie ? - photo Nicole Rivelli pour ABC
Fait froid ici, si on allait retrou­ver le feu de joie ? — pho­to Nicole Rivelli pour ABC

Comme la pre­mière, la seconde sai­son se ter­mine sur un retour­ne­ment inté­res­sant. J’attends donc de voir la troi­sième avec une impa­tience cir­cons­pecte : si elle réus­sit à se renou­ve­ler et retrou­ver son souffle, la série pour­rait deve­nir une valeur sûre du thril­ler dont les ama­teurs se délec­te­ront, mais si elle pour­suit la des­cente, je risque de faire comme les innom­brables audi­teurs qui ont lais­sé tom­ber Dexter après la pous­sive sai­son 3.