Devotion
|de JD Dillard, 2022, ***
En 1945, la Corée est « libérée » de la colonisation japonaise et occupée par l’URSS et les États-Unis, qui se partagent la péninsule au niveau du 38e parallèle nord. Un gouvernement provisoire est proclamé, créant la République populaire de Corée ; mais, noyauté par l’URSS, il est interdit par les États-Unis, qui créent trois ans plus tard la République de Corée. Ainsi, en 1950, deux gouvernements revendiquent l’intégralité de la Corée, et la question n’est que de savoir lequel tirera le premier. C’est celui du nord qui attaque, soutenu directement par la Chine et indirectement par l’URSS. Les Nations Unies interviennent, enfin, concrètement, les États-Unis interviennent en profitant d’un jour où le représentant de l’URSS boude pour faire voter une résolution de l’ONU et gagner leurs points de légitimité.
Tout ça, le film ne vous le rappellera pas : il commence par un carton bâclé qui laisse accroire que tout allait bien en Corée, avec deux pays bien séparés chacun chez soi tout le monde est content, avant que la guerre commence (vilains communistes va !).
Attention, je dis pas que le gouvernement de République populaire démocratique de Corée était innocent, hein. D’ailleurs, notez l’ajout de « démocratique » lors de la fondation officielle de la république en 1948, et rappelez-vous que plus on met d’épithètes de ce genre au nom d’un pays, moins il est populaire, démocratique ou même républicain. En revanche, je dis que les États-Unis et l’URSS s’y étaient mis à deux pour transformer cette péninsule en poudrière, que leur gestion qui n’avait rien à foutre du sort des Coréens rendait la guerre inévitable, et qu’ils sont tous deux bien plus responsables de celle-ci que les gouvernements fantoches qu’ils avaient mis en place. Et je dis aussi que l’intervention des Nations Unies était un faux-nez pour permettre aux États-Unis de mener leur guerre telle qu’ils l’entendaient.
Cette présentation passée, nous découvrons Schtroumpf Noir, qui caresse un Bearcat avec lequel il vole depuis la base aéronavale de Quonset Point, puis Schtroumpf Blanc, qui débarque dans les vestiaires et y trouve Schtroumpf Noir en train de s’insulter dans le miroir, avant de rencontrer le reste du groupe (Schtroumpf Boche et plein d’autres schtroumpfs qu’on oubliera très vite).
Puis les schtroumpfs passent sur Corsair, un avion beaucoup plus difficile que le Bearcat parce qu’avec son moteur surpuissant, la remise des gaz doit être très progressive, sinon c’est l’avion qui tourne autour de l’hélice et on se plante.
Oui oui, ils disent ça.
Et c’est pas un détail : cet élément est absolument essentiel à la première partie du film. Sans lui, Schtroumpf Boche se plante sans raison particulière au cours d’un vol de routine, on peut pas voir à quel point Schtroumpf Blanc manque de tact, on n’a pas la tension qui grandit avec Schtroumpf Noir, tout ça.
Alors commençons par cette séquence. Dans la réalité, non, a priori, on sait pas pourquoi Carol Mohring s’est planté. D’après les sites spécialisés en comparaison réalité/film, son dossier ne précise rien d’autre que « écrasé en mer lors d’un vol d’entraînement ». Qu’il ait fait la connerie de remettre les gaz d’un coup et provoqué un départ en vrille est une pure invention du scénariste. En revanche, n’importe quel pilote vous dira que la scène du film ne tient pas debout. Son approche plate est délirante : même à terre, on aurait remis les gaz bien avant d’en arriver là. En plus, l’officier d’appontage lui demande des corrections puis annule son approche, mais il poursuit jusqu’à trop tard sans reprendre de hauteur. Or, les pilotes navals suivent les ordres de l’officier d’appontage comme des commandements divins – sinon ils sont jamais qualifiés. Donc déjà, ça, c’est de l’invention pure et simple, juste pour accréditer l’idée que le Corsair était dangereux et renforcer la confrontation entre les héros.
Mais au delà de cette anecdote, alors que, je le répète, c’est un élément essentiel du film, non, le Corsair n’était pas pire que le Bearcat sur les remises de gaz. Déjà, un point simple : ils avaient le même moteur, le bon vieux R2800 Double Wasp, et dans des versions très proches délivrant toutes deux 2100 ch. Donc le couple était sensiblement le même : un pilote habitué à gérer ce moteur sur un avion savait à quoi s’attendre sur un autre. Ensuite, le Corsair faisait 1,5 m d’envergure et pesait une tonne de plus que le Bearcat : à votre avis, lequel résistait le mieux au couple du moteur ?
(Petit paragraphe geek que vous pouvez sauter : oui, le Corsair a eu sale réputation à sa sortie. Il avait beaucoup plus de couple que les chasseurs embarqués précédents, les fameux Wildcat étant moitié moins puissants. Il avait aussi tendance à décrocher de l’aile gauche sans prévenir, en particulier lors des remises de gaz, le flux des pales montantes augmentant brutalement l’angle d’incidence de la partie intérieure de l’aile. Mais ces problèmes ont été résolus par des modifications aérodynamiques et une formation adaptée des pilotes avant que le F4U‑1 soit en service massif. Le temps d’arriver au F4U‑4, apparu début 1945, le Corsair n’était pas considéré comme un avion plus difficile qu’un autre de la même classe – autrement dit, c’était un piège, mais un piège maîtrisable. Il avait toujours son long nez qui masquait le pont, et qui a effectivement posé des problèmes aux pilotes habitués aux divers Grumman, mais c’est aussi pour ça que les pilotes navals suivaient les ordres de l’officier d’appontage comme des commandements divins. Le Bearcat, lancé après le Corsair mais sorti de service avant (en Corée, il avait laissé la place au Panther, héros des Ponts de Toko-Ri), offrait une meilleure visibilité, c’est vrai. Mais pour le reste, il a eu lui aussi son lot de problèmes et de reproches, dont certains liés à son envergure réduite et sa légèreté par rapport à sa puissance, et en 1950 quelqu’un qui maîtrisait le Bearcat n’aurait pas eu de vrai problème à s’adapter au Corsair. Fin de la parenthèse.)
On note bien entendu d’autres petits soucis çà et là avec l’aéronautique. Par exemple, l’utilisation d’un Sikorsky HO5S pour secourir Schtroumpf Noir et Schtroumpf Blanc, alors que ce modèle n’est entré en service que six mois après les événements contés. C’est évidemment un HO3S (soit dit en passant, l’autre héros des Ponts de Toko-Ri) qui est intervenu. Et il est arrivé sur place de jour, son pilote et Hudner ont passé près d’une heure à tenter de dégager Brown, et ils sont partis à la tombée de la nuit – heure à laquelle l’hélicoptère quitte sa base dans le film…
Et que dire du combat entre MiG-15 et Corsair, où le Soviétique se met à la vitesse de l’Américain et le suit à la même altitude entre les collines pour tirer dessus (et le rater) pendant plusieurs dizaines de secondes, le temps pour Schtroumpf Blanc de faire le tour pour venir le descendre d’en face ? En réalité, le MiG-15 n’aurait eu aucun mal à abattre un Corsair dans cette situation, et surtout il n’aurait jamais fait la bêtise de ralentir à sa vitesse, quitte à faire deux ou trois passes rapides séparées par des virages de retardement.1
Bref, on a un bon lot d’absurdités aéronautiques, mais celles-ci sont généralement secondaires. La question du Corsair dangereux par rapport au gentil Bearcat est, elle, un élément essentiel du script, et elle ne tient pas debout.
Heureusement, les autres scènes aéronautiques ont des qualités. D’abord, on utilise de vrais avions, ce qui devient rare au cinéma, surtout pour des modèles des années 40. Ensuite, la gestuelle n’est pas trop absurde, les trajectoires non plus, et les séquences d’attaques sous le feu ennemi sont franchement prenantes.
Et puis, il y a le reste du film, vous savez, l’histoire des personnages, de leur formation dans le Rhode Island à la bataille du réservoir de Chosin en passant par la permission à Cannes et le déploiement. Et celle-ci est plutôt bien menée, malgré un montage un peu lent sur les scènes censées être émouvantes.
On note bien sûr quelques absurdités, comme cette scène où Schtroumpf Noir essaie de se suicider, pardon, décide d’attaquer contre les ordres un pont solidement défendu, qui mène à cet échange où il reproche à Schtroumpf Blanc d’avoir mis dans son rapport qu’il avait désobéi aux ordres (ce qui est vrai) et que ça allait bloquer son avancement (ce qui est mérité). Bon. Évidemment un pilote qui désobéit à un ordre direct prend un blâme pour insubordination (ou même reçoit un billet retour à la vie civile), c’est la moindre des choses. On n’a évidemment pas de trace de cet événement dans la vraie vie de Brown, c’est encore une scène absurde créée juste pour renforcer la tension entre les héros.
Mais à part cette séquence, l’histoire progresse logiquement, les relations entre les personnages aussi. On est loin du syndrome Top Gun, vous savez, ces personnages qui font de leur vie un concours de bite avant de devenir meilleurs amis personne sait pourquoi ni comment au moment où le script en a besoin. Ici, ça évolue progressivement, avec des tensions et des rapprochements au fil des épreuves communes, et du coup le moment où Schtroumpf Blanc risque sa peau arrive avec une certaine logique. La trame historique générale est plutôt bien respectée (même si Hudner n’a en fait rencontré Daisy Brown qu’à la cérémonie de remise de sa médaille d’honneur) et, en particulier, la séquence finale reprend fidèlement ce qu’on connaît de l’histoire – imaginez juste que ça se passe au soleil couchant et non de nuit.
Et puis, les relations entre Noirs et Blancs dans les États-Unis de l’époque sont assez bien traitées. On n’échappe pas à quelques clichés, mais on a aussi des scènes plus fines que d’habitude – comme les voisins qui ne se plaignent pas des Noirs, mais trouvent que le jazz, là, faudrait baisser, hein. Et oui, Brown a réellement été désigné volontaire pour des opérations de communication de l’US Navy – son dossier ne dit pas s’il appréciait cet honneur douteux, mais il n’est pas absurde d’imaginer qu’il y soit allé à reculons comme dans le film.
Dans l’ensemble, Devotion n’est donc pas mauvais malgré quelques longueurs et des clichés typiquement américains çà et là. Même sur le plan aéronautique, il tient relativement bien la route, mis à part une insulte au Corsair proche de l’impardonnable et quelques absurdités malencontreuses. On a vu bien pire récemment, mais ça n’a rien d’inoubliable non plus.
- Il y a bien eu une victoire aérienne d’un Corsair contre un MiG-15, une seule, un an plus tard, lorsqu’un pilote soviétique a été assez débile pour tenter de suivre un pilote du corps des Marine en virage serré. Le MiG a dégradé son énergie, perdu sa vitesse, le Corsair a continué à tourner jusqu’à pouvoir le descendre. Ceci dit, ce faisant, il s’est totalement mis à disposition des autres soviétiques, qui lui ont appris l’art du saut en parachute quelques secondes plus tard.