알투비 : 리턴투베이스

de Kim Dong-won, 2012, *

Des fois, dans la vie, on a des sur­prises. On regarde inno­cem­ment un stream sur l’a­via­tion au ciné­ma, parce que bah avia­tion et ciné­ma, quoi, et évi­dem­ment les ani­ma­teurs évoquent les incon­tour­nables Top gun : MaverickFlight et consorts. Et là, alors que tout se passe bien, l’un d’eux montre une scène abso­lu­ment splen­dide, sublime, presque éro­tique de nawa­ki­tude, ima­gi­nez : un MiG-29 fait une espèce de quart de tour au frein à main et allume la post-com­bus­tion pour faire écla­ter au ralen­ti les vitres d’un immeuble de bureaux.

Pour un pas­sion­né de nanars et d’a­via­tion, il était inima­gi­nable de rater ça.

MiG-29 sur Seoul
Je fais un gym­kha­na en MiG-29 entre les gratte-ciel de Séoul. Et Kamoulox ! — pho­to CJ Entertainment

En prime, pour un tra­duc­teur, rien que l’his­toire du titre est un délice de fin gour­met : en fran­çais, le film s’ap­pelle Windfighters, ce qui annonce bien la capa­ci­té des héros à com­battre dans le vent ; dans les pays anglo­phones, on le trouve sous le titre Soar into the Sun, ce qui dit bien qu’on va être ébloui ; et le titre coréen est 알투비 : 리턴투베이스, soit la trans­crip­tion en han­geul de l’an­glais « R2B : Return to base », sans doute parce que le coréen, c’est trop com­pli­qué, même pour les Coréens. On a donc trois titres anglais, qui n’ont rien à voir les uns avec les autres (ni avec le film), ce qui dit bien à quel point per­sonne n’a­vait rien à foutre de cette œuvre majeure.

Le héros, qu’on appel­le­ra Grosscouilles-Ptittête, est pilote dans les Black Eagles, l’é­qui­valent sud-coréen de la patrouille de France. Comme il en a marre de dérou­ler le ruban (on le com­prend), il décide de ten­ter comme ça hop en plein mee­ting de mon­ter à la ver­ti­cale pour faire une cloche, figure notoi­re­ment inter­dite sur la qua­si-tota­li­té des avions à réac­tion parce qu’elle entraîne inévi­ta­ble­ment un décro­chage du ou des réac­teurs. Donc après, son avion tombe comme une pierre, parce que c’est bien connu, un avion ne plane pas, alors Grosscouilles-Ptittête attend patiem­ment droit vers le sol d’at­teindre les 300 nœuds per­met­tant le redé­mar­rage du réac­teur, puis il met plein gaz avec post-com­bus­tion et tire le manche, l’a­vion s’ar­rête sur place à deux mètres au-des­sus de la rivière et repart d’un coup à l’ho­ri­zon­tale, secouant au pas­sage les tri­bunes et leurs occu­pants. Du coup, le pilote se fait éjec­ter de la patrouille et ren­voyer… dans une uni­té com­bat­tante, aban­don­nant ain­si le T‑50B pour le F‑15K, tu parles d’une punition.

Le héros devant les T-50B des Black Eagles
L’année du film, les Black Eagles ont mul­ti­plié les récom­penses dans les mee­tings inter­na­tio­naux. C’est donc cohé­rent d’i­ma­gi­ner que l’un d’entre eux ait déci­dé en pleine démo de quit­ter le ruban pour ten­ter une manœuvre inter­dite en met­tant les spec­ta­teurs en dan­ger. — pho­to CJ Entertainment

Voilà, on a pas­sé une séquence, et déjà c’est n’im­porte quoi. Aérodynamiquement, aéro­nau­ti­que­ment, et même socialement.

Il y a un truc com­mun à toutes les armées de l’air de la pla­nète : quand un pilote de chasse fait une conne­rie sus­cep­tible de tuer plein de civils et de détruire un avion et que sa défense est « Comment je peux savoir que c’est dan­ge­reux si j’ai pas essayé ?1 Donc j’ai essayé en plein mee­ting au ras du sol. », on le récom­pense pas en l’en­voyant dans une uni­té active sur le fleu­ron de la flotte natio­nale. Logiquement, il aurait dû se retrou­ver chez lui avec inter­dic­tion d’ap­pro­cher un avion, ou dans le meilleur des cas assis à l’ar­rière d’un KT‑1 pour expli­quer les bases à des plus jeunes que lui.

D’ailleurs, vous aurez noté que c’est comme ça que Pete Mitchell revient à Topgun : il a fait une énorme conne­rie, donc on l’en­voie faire de l’ins­truc­tion avec des bou­lets. Quand, au bout de cinq minutes, tu te dis « Top Gun : Maverick était plus cohé­rent », ça en dit long sur le niveau de ce que tu regardes.

Les deux héros torse nu dans les vestiaires
Les deux héros règlent leurs comptes dans les ves­tiaires : là, on se dit que le second degré est for­cé­ment volon­taire. — pho­to CJ Entertainment

Bref, il se retrouve dans une uni­té com­bat­tante au ras de la zone démi­li­ta­ri­sée sur le meilleur chas­seur de l’ar­se­nal, avec un chef bien­veillant qui veut cana­li­ser son côté cow-boy et face à un autre pilote d’é­lite beau­coup plus à che­val sur le manuel,  qu’on appel­le­ra Groscoincé. Ajoutons Victimevolontaire, une jeune et jolie res­pon­sable de main­te­nance qui se fait pour­rir par Groscoincé, et on se demande bien ce qui va se passer.

Donc, le scé­na­rio est nul, c’est enten­du. Et la trame est cou­sue de fils blancs d’un dia­mètre adap­té aux remor­quages d’ur­gence par l’Abeille Normandie. Et les scènes aériennes sont aus­si réa­listes que celles que recréent Maëlys et Tyago (vous savez, vos neveux un peu bêtes de sept et cinq ans) avec les vieilles maquettes Heller qu’ils ont trou­vées dans votre grenier.

Mais il y a un autre truc qui finit d’a­che­ver cette par­tie : l’hu­mour. Parce que oui, il y a de l’hu­mour, dans la pre­mière moi­tié du film du moins.

Les deux mécanos crétins censés être drôles
Les deux bou­lets échap­pés de Hot Shots qui essaient d’é­gayer la pre­mière par­tie… — pho­to CJ Enternainment

J’ai par­lé de la jolie méca­no qu’on se demande bien ce qui va se pas­ser. Bah figu­rez-vous qu’elle est accom­pa­gnée de deux aco­lytes aus­si doués et sub­tils que Laurel et Hardy – sauf qu’ils ont tous les deux la car­rure d’Élie Semoun. C’est simple : ils sont tel­le­ment nuls que même leurs gags tombent sys­té­ma­ti­que­ment à plat.

Mais c’est pas ça l’im­por­tant. Le vrai truc concer­nant Victimevolontaire, c’est que les dia­logues entre les pilotes et elle semblent écrits par Sonny Tuckson. Enfin, au début, quand le film est encore élé­gant. Après, il y a une scène gran­diose où Grosscouilles-Ptittête et elle échouent dans la forêt après un atter­ris­sage de pré­cau­tion en ULM à cause de la météo (pas­sons sur le fait que les arrière-plans de cette séquence montrent un pla­fond d’au moins 3000 ft et une visi­bi­li­té d’une dizaine de kilo­mètres). Là, le héros se met car­ré­ment à débi­ter les pires répliques de drague de Nicky Larson, au point qu’on est presque sur­pris de pas voir un phy­lac­tère mar­qué « mok­ko­ri » sur­gir dans le cadre.

Oh, et ne vous deman­dez pas com­ment ils sortent de ce mau­vais pas : un trou du scé­na­rio les ren­voie direc­te­ment à la base le len­de­main matin.

Cette pre­mière par­tie est donc sur le fil, quelque part entre les mau­vais pas­sages de Top Gun et une ver­sion un peu lourde de Hot Shots mâti­nées de har­cè­le­ment pro­fes­sion­nel et sexuel ordinaire.

Et puis, les MiG-29 débarquent, et là, ça rigole plus.

Littéralement.

Les élé­ments comiques s’é­va­porent brus­que­ment, le film bas­cule dans l’ac­tion effré­née, tou­jours ridi­cule, mais abso­lu­ment sérieuse. Alors qu’il sem­blait avoir un petit second degré genre « on fait nawak, mais c’est fun, on assume », il change radi­ca­le­ment de tona­li­té pour deve­nir une ode à la gloire de l’ar­mée de l’air sud-coréenne, qui pro­tège le monde des vilains nord-coréens qui passent la fron­tière puis veulent envoyer un mis­sile sur les États-Unis, alors les États-Unis envoient un B‑2, mais la Corée du Sud décide de faire sa propre opé­ra­tion avec un F‑15K pilo­té par Groscoincé et un FA-50 pilo­té par Grosscouilles-Ptittête.

Mais bien sûr.

Le B-2 et les F-15 américains
Quand les Américains décident de bom­bar­der la Corée du Nord, ils sont fair-play : ils envoient une escorte pas fur­tive pour que l’en­ne­mi ait une chance de repé­rer leur bom­bar­dier fur­tif. — pho­to CJ Entertainment

Y’a pas besoin d’être expert en géo­po­li­tique pour se dire que si les États-Unis sont prêts à taper la République popu­laire démo­cra­tique de Corée, la République de Corée va les lais­ser faire sans hésiter.

D’une part, elle ne veut à aucun prix don­ner à l’autre un pré­texte pour l’at­ta­quer (elle a essayé en 1950, ça a pas été top), donc si une frappe est néces­saire, elle sera très contente que quel­qu’un d’autre s’en charge.

D’autre part, elle ne veut à aucun prix prendre le risque de vexer les États-Unis, qui sont son prin­ci­pal pro­tec­teur depuis pas loin de 80 ans.

Donc que la Corée du Sud décide d’at­ta­quer en fai­sant foi­rer une opé­ra­tion amé­ri­caine au pas­sage, c’est juste tota­le­ment délirant.

Et donc, c’est avec un sérieux abso­lu que les deux pilotes sur­doués qui pas­saient leur temps à se bouf­fer le nez s’u­nissent brus­que­ment parce que le scé­na­rio le demande (là encore, le rap­pro­che­ment de Maverick et Iceman dans le pre­mier Top gun était plus sub­til et cohé­rent…), qu’ils vont ten­ter de déclen­cher la troi­sième guerre mon­diale au lieu de lais­ser inter­ve­nir le gen­darme du monde, que Grosscouilles-Ptittête refait le coup de la cloche pour éteindre ses réac­teurs et échap­per à un mis­sile infra­rouge (c’est bal­lot que le construc­teur de l’a­vion n’ait pas pen­sé à un truc pour éteindre les réac­teurs à volon­té, ça serait pra­tique ne serait-ce qu’en ren­trant au par­king), que ledit mis­sile a le bon goût de s’ar­rê­ter lui aus­si le temps que le FA-50 retombe au lieu de pro­fi­ter de son arrêt pour l’exploser…

Bref, c’est du n’im­porte quoi, du vrai, qui explose impi­toya­ble­ment l’é­chelle de Nawak. D’ailleurs, le scé­na­riste n’es­saie même plus de recol­ler les scènes d’une manière un tant soit peu logique : les enne­mis appa­raissent et dis­pa­raissent sans cohé­rence, ça n’a ni queue ni tête.

Vires de bureaux éclatant au passage du MiG-29
Certes, c’est n’im­porte quoi, mais c’est fait avec soin et c’est très joli. Notez le reflet du MiG-29 sur la vitre qui explose. — pho­to CJ Entertainment

Mais là, faut recon­naître un truc.

Un truc tout con.

C’est super bien réa­li­sé, avec un mon­tage vrai­ment entraî­nant et des scènes à la fois actives et lisibles (mal­gré une paire d’hy­per­ra­len­tis un peu longs). C’est la réunion d’un spec­tacle à la Michael Bay et d’une maî­trise du timing à la James Cameron. Et si l’on conti­nue à se prendre la tête dans les mains devant les énor­mi­tés du scé­na­rio, il faut admettre qu’on ne s’en­nuie pas.

Du coup, l’en­semble reste piètre, mal fichu, irréa­liste, ça bas­cule d’un coup de la comé­die d’ac­tion pour ados à la pro­pa­gande natio­na­liste tout en res­tant d’un bout à l’autre aus­si cré­dible qu’Aigle de fer, mais c’est infi­ni­ment moins mau­vais que 歼十出击 Sky Fighters. C’est un petit navet ordi­naire dont les scènes d’ac­tions, certes ridi­cules, s’en­chaînent sur un bon rythme, et on finit pas si affli­gé qu’on l’au­rait cru.  En fait, c’est tel­le­ment incon­sis­tant que ça mérite même pas de se faire défon­cer impitoyablement.

  1. Les pilotes d’es­sai ado­re­ront le mes­sage : vous ser­vez à rien les gars, chaque pilote doit faire ses propres essais.[]