Cat’s eyes

de Michel Catz et Alexandre Laurent, 2024, ***

Au cours d’une expo­si­tion d’œuvres japo­naises à la tour Eiffel, un kake­mo­no attire l’at­ten­tion d’une visi­teuse : il res­semble fou­tre­ment à celui de son père, qui a brû­lé avec lui dans l’in­cen­die de sa gale­rie, il y a douze ans. Elle décide donc de le récu­pé­rer, espé­rant ain­si iden­ti­fier son nou­veau pro­prié­taire et voir si celui-ci a un lien avec ledit incen­die. Ce fai­sant, elle se fait deux adver­saires : un « broc », c’est-à-dire un des flics de la BRB char­gés de retrou­ver les œuvres d’art volées, et une teigne psy­cho­pathe employée du pro­prié­taire du kakemono…

Voilà, ça aurait pu s’ap­pe­ler Le con, la brute et la bri­gande. Mais comme le con est accom­pa­gné d’une col­lègue beau­coup plus com­pé­tente que lui, comme la bri­gande a une sœur aînée don­neuse de leçons et une cadette impul­sive qui décident de l’ai­der, comme il y a Durrieux, gale­riste proche du père dis­pa­ru qui veille sur ses filles, comme on va pas­ser son temps sur les toits à poser des rap­pels et des tyro­liennes pour chou­ra­ver tout un tas d’œuvres dis­pa­rues… et comme ça a été écrit par des qua­dras qui ont gran­di devant le Club Dorothée, on com­prend vite que ça s’ins­pire de Signé Cat’s eyes.

Tam et Sylia en rappel au Louvre
La des­cente sur corde, meilleur moyen d’en­trer au Louvre. — pho­to Stéphanie Branchu pour Big Band Story / TF1

Rassurez-vous, ce n’est pas une adap­ta­tion façon copier-col­ler avec de vraies actrices1 comme Disney nous en pond tous les matins. Catz a pris des liber­tés, avec la béné­dic­tion de Tsukasa Hōjō d’ailleurs, et ce Cat’s eyes est au man­ga ori­gi­nal et à l’a­nime inter­mé­diaire ce que Nicky Larson et le par­fum de Cupidon est à City Hunter et Nicky Larson. Catz ne verse pas dans la paro­die pure comme l’a­vait fait Lacheau, mais il trouve son propre ton et son propre rythme pour racon­ter sa propre his­toire, bien ancrée dans le Paris contem­po­rain, avec ses propres sujets : par exemple, le mar­ché de l’art, avec ses gale­ristes qui jouent sur l’in­cu­rie des clients pour faire mon­ter les prix et ses ache­teurs qui ne s’in­té­ressent qu’à la plus-value des œuvres, est très pré­sent et joue un rôle dans le scénario.

Il a éga­le­ment sen­si­ble­ment moder­ni­sé les per­son­nages, résol­vant en pas­sant quelques inco­hé­rences — Tam et Quentin ne sont plus d’é­ter­nels fian­cés, et ça explique aus­si com­ment celui-ci peut pas­ser aus­si long­temps à ne pas com­prendre qui est celle-là.

Sylia et son serveur
Ah, heu­reu­se­ment que je t’ai, toi, sinon je serais, je serais… Une cheffe de famille auto­nome et puis­sante ?! — pho­to Caroline Dubois pour Big Band Story / TF1

C’est cepen­dant là que j’é­met­trai ma prin­ci­pale cri­tique : ces retouches ont mis à mal une des grandes qua­li­tés de la série ori­gi­nale, la liber­té de mener ses affaires de cœur et de cul comme on l’entend.

Chez Hōjō, Sylia était céli­ba­taire et a prio­ri contente de l’être, Tam roman­tique et fian­cée, Alex avait par­fois des rela­tions d’un épi­sode, Asaya menait sa car­rière et n’a­vait pas de temps à perdre avec ces ques­tions ; et ces quatre visions étaient toutes éga­le­ment légi­times. Chez Catz, le couple est omni­pré­sent et c’est la seule voie envi­sa­geable pour vivre de manière équi­li­brée : au pre­mier épi­sode, Sylia est casée avec un beau gosse, Asaya est casée avec un beau gosse, Alex est casée avec une jolie fille, et Tam, qui revient après avoir dis­pa­ru pen­dant cinq ans, va immé­dia­te­ment ten­ter de renouer avec son ex-beau gosse. Les seuls céli­ba­taires du cas­ting sont donc véreux, mal­hon­nêtes, débiles et/ou psy­cho­pathes. C’est très, très, TRÈS dom­mage d’a­voir autant foi­ré cet aspect fon­da­men­tal de l’œuvre ori­gi­nale (oui, même si t’es une meuf, t’as le droit de vou­loir être ta propre per­sonne, et pas la moi­tié d’un lot que seuls des évé­ne­ments externes dra­ma­tiques pour­raient séparer).

C’est d’au­tant plus dom­mage que les autres retouches sont fran­che­ment réus­sies : le carac­tère plus réa­liste d’Alex, la cré­ti­ne­rie un peu moins cari­ca­tu­rale de Quentin, la bien­veillance par­fois che­lou de Durrieux, l’au­to­ri­té posée et natu­relle de Bruneau, la rai­son qui pousse à choi­sir de voler les tableaux dis­pa­rus, et la longue gale­rie de per­son­nages secon­daires qui per­mettent d’a­jou­ter à la sauce des ingré­dients très variés — tueuse taran­ti­nesque, flic pleutre à la fran­çaise, etc. De plus, cer­tains sté­réo­types sont retour­nés aux moments oppor­tuns, don­nant un peu plus de pro­fon­deur aux seconds rôles.

Quentin, Théo et Asaya
— Faut lui cou­rir après !
— Arrête, on est brocs, pas des vrais flics !
pho­to Olivier Seignette pour Big Band Story / TF1

Le scé­na­rio n’est évi­dem­ment pas exempt de pas­sages capil­lo­trac­tés, mais il est net­te­ment plus cohé­rent que l’o­ri­gi­nal. Le rythme est entraî­nant, les épi­sodes s’en­chaînent avec plai­sir en jouant sur l’ef­fet made­leine et les réfé­rences au ciné­ma d’ac­tion sans s’y com­plaire, cer­taines répliques font mouche (men­tion spé­ciale à Carole Bouquet, vous sau­rez de quelle cita­tion je parle en l’en­ten­dant), la réa­li­sa­tion est soi­gnée, effi­cace et même par­fois élé­gante avec notam­ment une pho­to sou­vent très réussie…

Bref, mal­gré quelques ten­sions un peu arti­fi­cielles, un acteur fran­che­ment inégal2 qui détonne dans un cas­ting par ailleurs plu­tôt bon, et un énorme raté qui met à mal la varié­té des héroïnes et casse une valeur fon­da­trice de l’œuvre ini­tiale, la série est plu­tôt réus­sie. Si vous avez gran­di devant le club Dorothée (et même sinon), elle vous fera pas­ser quelques soi­rées agréables.

  1. Vu qu’il y a des acteurs, l’Académie fran­çaise recom­mande de le mettre au mas­cu­lin, mais les rôles mas­cu­lins font tel­le­ment par­tie des murs qu’on peut les igno­rer.[]
  2. En même temps, il est chan­teur, hein.[]