Dream scenario

de Kristoffer Borgli, 2023, ****

À Hollywood, Nicolas Cage est connu pour un truc : il a ten­dance à tout accep­ter, à se lais­ser faire par des scé­na­rios pour­ris ou des direc­teurs d’ac­teurs à côté de leurs pompes, à subir la moi­tié de sa fil­mo­gra­phie. Cependant, tout accep­ter, c’est aus­si accep­ter des scé­na­rios sublimes et des direc­teurs d’ac­teurs qui le pous­se­ront à offrir des pres­ta­tions inou­bliables. Du coup, Nicolas Cage est capable du meilleur comme du pire.

Imaginez main­te­nant que Nick appa­raisse dans vos rêves. Il serait sûre­ment plu­tôt pas­sif. Mais s’il devait faire quelque chose, ça pour­rait aller du jouis­sif au terrifiant…

Voici donc l’his­toire de Paul Matthews. Il est prof à la fac, aus­si cha­ris­ma­tique qu’un prof de bio­lo­gie quin­qua­gé­naire. Ses cours ne sont ni pas­sion­nants ni ultra-chiants, ses blagues ne sont ni brillantes ni nulles, il n’est ni che­ve­lu ni chauve, ni grand ni petit, ni beau ni moche. Si on cher­chait, dans l’im­men­si­té des États-Unis, le type le plus ordi­naire qu’on puisse ima­gi­ner, ça pour­rait bien tom­ber sur lui.

Nicolas Cage regardant un champignon sur un arbre
Les cham­pi­gnons sont fas­ci­nants, ni ani­maux, ni végé­taux, ni tout à fait para­sites, ni tota­le­ment sym­biotes… — pho­to Metropolitan FilmExport

Pourtant, un beau jour, les gens se mettent à le recon­naître dans la rue. Pour une rai­son inex­pli­cable, ils l’ont tous vu en rêve. Ils étaient en train de fuir un dan­ger, de voler, de revivre une conver­sa­tion, et sou­dain Paul était là, pas­sant ou regar­dant la scène comme si de rien n’é­tait. Il réa­lise alors que, dans le sub­cons­cient des gens qui le connaissent comme de ceux qui ne le connaissent pas, il fait pas­si­ve­ment par­tie du pay­sage. D’un côté, c’est vexant ; de l’autre, cette célé­bri­té ins­tan­ta­née pour­rait être le déclic qui lui man­quait pour écrire enfin ce livre qu’il a en tête depuis la fac…

À pre­mière vue, Dream sce­na­rio fait par­tie de ces comé­dies fou­traques, qui partent d’un point de vue déli­rant et déroulent le fil en enchaî­nant aléa­toi­re­ment gags hila­rants, séquences dra­ma­tiques et réfé­rences détour­nées. Mais il va un peu au-delà : le scé­na­rio a en fait un vrai fil rouge, presque invi­sible dans la pre­mière par­tie (qui mise à fond sur le bur­lesque pour diver­tir le spec­ta­teur) mais de plus en plus pré­sent au fil du déve­lop­pe­ment. Et il s’a­git d’une petite réflexion sociale, évi­dem­ment sur la célé­bri­té et ses consé­quences, mais aus­si sur notre socié­té, la façon dont chaque impré­vu amène plein de gens à se deman­der « Oh, et si on pou­vait faire du fric avec ça ? », et aus­si notre capa­ci­té éton­nante à nous convaincre que des gens que nous ne connais­sons ni d’Ève ni d’Adam sont des génies, des braves types sym­pas ou des monstres.

Nicolas Cage et Dylan Gelula dans Dream Scenario
Vu votre réac­tion, je sup­pose que j’é­tais pas pas­sif dans vos rêves ? — pho­to Metropolitan Filmexport

C’est donc drôle, par­fois émou­vant, par­fois un peu flip­pant aus­si, et sou­vent plus fin qu’il n’y paraît. En prime, le cas­ting est en très grande forme, l’ac­cent légè­re­ment traî­nant de Cage allant comme un gant à son per­son­nage un peu dépha­sé. Les dia­logues sont cise­lés (y com­pris les répliques qui doivent tom­ber à plat pour être effi­caces) et par­fai­te­ment ser­vis, les ten­sions, affec­tions et frus­tra­tions des per­son­nages res­sortent avec natu­rel, et cette plon­gée dans un uni­vers absurde en devient éton­nam­ment réaliste.

Évidemment, la réa­li­sa­tion, si elle est soi­gnée, n’a rien de flam­boyant, le mon­tage est un peu inégal et cer­taines tran­si­tions manquent de lien. Mais c’est une petite comé­die très réus­sie et plus maline que son synop­sis le laisse accroire.