Hunger Games : la ballade du serpent et de l’oiseau chanteur
|de Francis Lawrence, 2023, **
Hunger games a été un petit phénomène au ciné il y a une dizaine d’années. En 3,5 films (partant du principe que si ça marche, on découpe le dernier volume en deux pour maximiser les revenus), il décrivait un monde où, chaque année, vingt-quatre ados étaient enfermés dans une arène pour une battle royale télévisée. Il s’agissait pour le pouvoir central de rappeler aux territoires soumis qui c’est le patron : on massacre une sélection de vos gosses pour vous dégoûter de la révolte. Les gens étant ce qu’ils sont, le troisième volume était une guerre civile d’où devait sortir un ordre nouveau… ou plutôt une Terreur.
Dix ans ont passé et, comme tout auteur et producteur en manque d’imagination (et d’argent, enfin, ils imaginent qu’il manque d’argent), Suzanne Collins et Nina Jacobson ont décidé de relancer leur griffe. Et comme l’histoire était bouclée, elles ont choisi la solution la plus simple : le préquelle. Et comme elles n’ont pas trouvé une explication logique aux origines des hunger games1 pour faire une vraie histoire sur leur création, elles se sont rabattues sur la solution de facilité : raconter la jeunesse du méchant.
Donc voilà, ça se passe soixante ans avant les précédents épisodes, Coriolanus Snow est un étudiant égoïste, prétentieux et arriviste du côté bourge de la société. Les hunger games existent déjà, mais marchent pas fort. Pour relancer leur notoriété, la présidente décide de faire une double compète, en associant les étudiants égoïstes, prétentieux et arrivistes et les tributs sacrifiés, ceux-là devant guider ceux-ci pour leur faire attirer l’attention du public (et envoyez vos dons au 123123). Snow se retrouve ainsi à devoir tutorer Lucy Gray Baird, une Tzigane (ou son équivalent local) jolie, teigneuse et chantante.
La réalisation est très soignée, la photo aussi, le film est dans l’ensemble beau. Et les scènes d’action, parfois un peu gratuites, sont menées tambour battant, sans être étalées exagérément pour remplir le vide. Ça tourne donc bien.
Sur le plan narratif, le bilan est plus mitigé. Par rapport au premier, pardon, désormais deuxième volet, le côté « critique de la société spectacle » est un peu moins présent et surtout moins subtil. Il est remplacé par le paradoxe affrontement/désir entre un arriviste cynique et une idéaliste ou presque. Le principal problème, c’est que les personnages sont globalement très antipathiques. C’était attendu pour Coriolanus et ses copains, mais Lucy Gray est elle-même une jolie petite crevure, vacharde et égocentrique, qu’on est vaguement déçu de pas voir crever avec les autres quand l’arène s’effondre. Pour autant, les autrices n’assument pas totalement ce point de vue et tentent de les humaniser, voire de les faire apprécier. Le spectateur se retrouve donc un peu coincé en dissonance cognitive, là où il aurait pu être fasciné par les jeux d’affrontements et de manipulation (façon Sons of Anarchy par exemple) si la fourberie des personnages avait été mise en avant comme elle le méritait.
Le second problème, c’est cette histoire d’amour un peu niaise, genre de Roméo et Juliette chez Karl Marx. Autant, dans Hunger games, le couple Everdeen — Mellark pouvait être agaçant par moments, autant il avait du sens : cette relation faisait partie du spectacle, elle était montée par la pub pour plaire au public, un peu comme Blondasse et Châtain dans Loft Story. Mais là, désolé, je serai jamais un champion de Snow — Baird. C’est une relation qui correspond ni à l’un ni à l’autre personnage. À la limite, ça pourrait être une stratégie de survie pour l’héroïne, mais qu’elle poursuive après les jeux ne tient pas debout – et ce non-sens mène inévitablement à un finale foireux lorsqu’il faut bien que la nature des personnages reprenne ses droits.
Accessoirement, la direction d’acteurs est relativement inégale et dans l’ensemble un peu théâtrale, ce qui n’aide pas à accrocher aux gens. Dinklage (toujours impeccable dans un des rares rôles correctement écrits) et Davis (qui fait ce qu’elle peut pour sauver un personnage construit avec les pieds) s’en sortent, mais Blondinet et Minette2, qui tiennent les premiers rôles, sont d’une remarquable transparence : ils ont manifestement été sélectionnés pour leur potentiel décoratif plus que pour leurs qualités d’acteurs. Quant à Schafer, dont on pouvait attendre beaucoup après sa prestation à la fois complexe et naturelle dans Euphoria3, on va précautionneusement partir du principe que sa présence ici est un accident de parcours et qu’elle pourra jouer de vrais rôles dans de vraies œuvres à d’autres moments.
L’ensemble a donc des qualités et se regarde assez agréablement, mais le manque de subtilité et de cohérence fait de cette « ballade » une promenade assez oubliable au milieu de clichés éculés.