Matrix resurrections

de Lana Wachowski, 2021, ***+

Tom s’en­nuie. C’est l’ar­ché­type du type des­ti­né à être artiste mau­dit ou mes­sie, mais il a un pro­blème : il a réus­si. Le jeu qu’il a pro­gram­mé il y a vingt ans a été un suc­cès pla­né­taire qui, avec ses deux suites, a fait de lui le boss d’une entre­prise richis­sime. Pendant que ses employés s’es­quintent à déve­lop­per des idées ultra-sophis­ti­quées dans l’es­poir de don­ner une nou­velle claque aux joueurs, lui fait encore tour­ner du code de son pre­mier jeu dans un bac à sable sépa­ré, évite les réunions de bureau et traîne au café du coin, où il fan­tasme sur une mère de famille elle aus­si habi­tuée du lieu.

Keanu Reeves dans Matric Resurrections
Passer la jour­née devant un ordi­na­teur, c’est long… Mais y’a pire, il pour­rait y avoir une réunion de pro­jet… — pho­to Warner Bros

Dans un autre uni­vers, Bugs fait par­tie d’un groupe d’hu­mains résis­tant à la Matrice. Elle y découvre un espace iso­lé qui rejoue tou­jours à peu près la même scène, celle où une badass incre­vable tombe sur le type qui doit sau­ver l’hu­ma­ni­té. Elle par­vient à en extraire un pro­gramme, Morpheus, et sitôt reve­nus dans son uni­vers, ils se mettent en tête de trou­ver ce fameux Neo qui doit en fait tou­jours être quelque part dans la Matrice.

Voilà, ça, c’é­tait la meilleure par­tie du film. Celle où il y a des dia­logues ins­pi­rés, celle où on sent que l’au­trice a mûri et réflé­chi au cours des deux décen­nies écou­lées, celle aus­si où l’on peut voir que cer­tains acteurs ont pris de la bou­teille et sont même deve­nus pas mau­vais. On évoque la confron­ta­tion de l’ar­tiste au suc­cès sou­dain et inat­ten­du1, les pres­sions des entre­prises qui cherchent à pro­fi­ter au maxi­mum d’un filon quitte à trans­for­mer l’or en boue, la perte de sens, les regrets, la famille, les pres­sions des entre­prises qui cherchent à pro­fi­ter au maxi­mum de la nos­tal­gie en relan­çant une fran­chise avec ou sans l’ac­cord des auteurs, les petites gens qui envient les artistes mil­lion­naires et les artistes mil­lion­naires qui se disent que fran­che­ment, avoir un bou­lot sans trop de pres­sion à 30 000 dol­lars par an et pou­voir faire un tour de moto quand l’en­vie leur en chante, ça leur irait tout aus­si bien.

Jessica Henwick et Keanu Reeves
Moi c’est Bugs. Comme le lapin. Et t’es dans un miroir. Lapin. Miroir. Tu per­cutes ou faut que j’aille te cher­cher Alice Morpheus ? — pho­to Warner Bros

La suite est moins réus­sie, disons-le tout net. Sans retom­ber dans les tra­vers de Matrix reloa­ded et Matrix revo­lu­tions, ras­su­rez-vous. Mais les enchaî­ne­ments entre scènes de bas­ton et flashs-back de Neo redé­cou­vrant son his­toire sont un peu mono­tones et super­fi­ciels, et ne par­lons pas du moment où il faut déso­béir à la cheffe, pas du tout sur­an­non­cé deux heures à l’avance.

Heureusement, il y a un nou­veau per­son­nage. L’analyste inter­pré­té par Neil Patrick Harris. Celui qui porte la voix du « ras-le-bol des innom­brables imi­ta­tions du “bul­let time” » et détourne l’ef­fet à son pro­fit (non sans rap­pe­ler Days of future past). Celui qui vient appor­ter le contre­point cri­tique qui per­met de ne pas bas­cu­ler dans l’ac­tion effré­née, gra­tuite et débile des deux opus inter­mé­diaires. Le per­son­nage ne per­met pas à lui seul d’é­vi­ter un dénoue­ment trop facile qui rap­pelle vague­ment cer­tains pré­cé­dents Wachowski, mais il rehausse sérieu­se­ment le goût de cette fin de film.

Neil Patrick Harris dans Matrix Resurrections
Je vois… Et cette Tiffany, elle vous rap­pelle votre matr… votre mère ? — pho­to Warner Bros

Le résul­tat n’est pas la grande claque que fut le pre­mier Matrix. Mais ce n’est pas non plus les bouses sui­vantes. En fait, il est plu­tôt bon, même si la seconde par­tie se contente lar­ge­ment de dérou­ler pré­vi­si­ble­ment la situa­tion en injec­tant un maxi­mum de « fan ser­vice » en route. Tout à fait fré­quen­table, il décroche de jus­tesse le label « dépasse les espoirs », un peu lit­té­ra­le­ment, parce qu’on n’es­pé­rait plus rien de cette fran­chise et qu’il s’a­vère en fait plu­tôt plus pro­fond que tous ses prédécesseurs.

Après, ça res­te­ra pas dans les mémoires comme un chef-d’œuvre. Ça reste très loin de Sense8, au hasard. Mais ça per­met à cette désor­mais tétra­lo­gie de finir sur une touche plu­tôt réussie.

  1. Rappelons que Matrix était le deuxième film des Wachowski.