Le jeu du calmar
|de Dong-hyeok Hwang, 2021, *
Bon, voilà, je pouvais pas passer à côté, tout le monde en parle, alors autant participer gaiement à l’indigestion : Le jeu du calmar est la série à la mode ces temps-ci. Ah oui, si vous êtes en Europe, vous la connaissez peut-être plutôt sous le titre « français » Squid game, Netflix France ayant choisi de chier à la gueule de la logique élémentaire et de n’utiliser ni le titre français (pourtant employé au Québec), ni le titre original 오징어게임.
Le concept est simple. Non, en fait, plus que ça : simpliste. Des pauvres, miséreux et autres galériens sont alléchés par un jeu qui, s’ils l’emportent, fera leur fortune. Mais s’ils ne l’emportent pas, ils paient leur défaite de leur vie. Pendant ce temps, des bourges en quête de sensations les observent.
Toute la critique compare ça à Hunger games et à Battle royale.
Hum.
En fait, non.
Le truc fondamental commun à Hunger games et à Battle royale, c’est que ce sont des adolescents qui sont armés et envoyés dans l’arène pour combattre dans un simulacre guerrier. Il s’agit dans les deux cas pour un pouvoir dominateur d’empêcher la dissidence de s’organiser.
Rien de ceci ici. Pas d’adolescents tirés au sort, pas d’arène publique blindée d’armes et de trucs dangereux mis à disposition des concurrents, au contraire : un des enjeux majeurs est que les joueurs, tous là de leur plein gré, ne savent jamais quel jeu d’enfants anodin sera transformé en piège mortel. De plus, les organisateurs du jeu du calmar sont une petite société bien distincte du pouvoir, qui agit en loucedé en essayant de ne pas se faire repérer par la police. Et l’infiltration par un flic est même au cœur de l’intrigue secondaire. Donc en fait, le seul point commun avec Hunger games et Battle royale, c’est que des gens se battent à mort, et encore les modalités et l’environnement des combats n’ont-ils absolument rien à voir.
En revanche, si les critiques avaient un tant soit peu de culture cinématographique, ils seraient allés chercher deux références bien plus adaptées. La première : Le prix du danger. Dans ce Boisset bientôt quadragénaire, ce sont de simples quidams, pauvres ou tombés dans des impasses financières dramatiques, qui s’engagent volontairement pour faire le spectacle. Ils ne sont pas armés et ont pour seul objectif de survivre jusqu’à la fin du jeu. Autrement dit, presque exactement la même ouverture que Le jeu du calmar.
La deuxième : The Purge : Anarchy, deuxième volet de la série de DeMonaco. Ici, des bourges en mal de sensations chargent des chasseurs de leur ramener des pauvres à buter et à faire combattre. Là encore, on est très proche du système d’organisation du jeu du calmar.
Soit dit en passant, cette idée n’est pas neuve, y compris dans le monde réel. L’affaire avait défrayé la chronique des faits divers il y a quelques décennies : des bourges avaient organisé des « combats de clodos » pour s’offrir une distraction un peu plus trash qu’un véritable match de boxe. La presse française s’en était brièvement emparée en 2009, mais le phénomène existait bien plus tôt, au point d’être présent dans un épisode de Boston public en 2003. Et quelque part, on en voyait aussi les prémices dans la Rome antique, où des pauvres s’engageaient comme gladiateurs pour améliorer leur ordinaire1.
Bref, des références plus adaptées que Hunger games, on en trouve douze en soulevant le sabot d’un cheval.
Bon, ceci dit, je suis pas là juste pour cracher sur les critiques professionnels et les traducteurs de Netflix France. Parlons donc du Jeu du calmar lui-même : est-ce que ça vaut tout le raffut qu’on fait autour ?
En un mot : non.
La série a deux problèmes. Le premier : l’ouverture. Le personnage principal est une sous-merde, égoïste, irresponsable, puéril, qui vit aux crochets de sa mère et dilapide le peu d’argent qu’il gagne en courses de chevaux. Son voisin est une autre sous-merde, une courtier qui a joué et perdu la thune de ses investisseurs. La fille de service est une pickpocket cynique et misanthrope. Un autre joueur est un immigré pakistanais qui a agressé son patron. Bref, alors même que la série prétend dénoncer les inégalités de la société sud-coréenne, la présentation des personnages est conforme à 100 % au dogme néolibéral : les pauvres sont pauvres parce qu’ils le méritent, parce qu’ils font n’importe quoi et sont incapables de travailler vraiment en serrant les dents pour améliorer leur sort.
Certes, ce paradigme est un peu remis en question dans les épisodes suivants, mais il reste que fondamentalement, aucun personnage ne s’est retrouvé là par total, pur et absolu manque de bol, ni juste parce qu’il est né au mauvais endroit, dans la mauvaise famille, au mauvais moment. C’est une épine de taille dans le message revendiqué par le scénario, en plus de rendre les personnages généralement assez méprisables. Du coup, au lieu de s’investir dans l’histoire en espérant que nos favoris s’en sortent, on attend en bougonnant que les scénaristes se décident à buter les héros, ce qui n’est pas idéal pour motiver le public.
Le second problème, c’est l’esthétisation outrancière et la surenchère d’effets de manche pour masquer les énormes facilités du scénario. Un peu présents dans les premiers épisodes, les ralentis extrêmes, les gros plans gratuits et les suspensions de l’action à chaque moment désigné comme émouvant deviennent rapidement envahissants. Dans les derniers jeux, les rebondissements sont annoncés tellement à l’avance, les réactions des personnages sont tellement évidentes et les ralentis sont tellement ralentis qu’on se surprend à avoir une sévère envie de diffuser l’épisode en accéléré x2 ou x4, exactement comme quand vous sautiez vingt pages de Le rouge et le noir pour voir si ça faisait avancer un peu l’intrigue.
Alors oui, il y a parfois de l’idée, oui, l’infiltration du flic tourne plutôt bien (malgré une conclusion à la fois pas crédible et surannoncée), oui, l’esthétique de certains jeux est particulièrement réussie…
Mais dans l’ensemble, c’est de la poudre aux yeux, qui manque spectaculairement d’originalité et de surprises, avec une trame écrite à l’avance et des personnages qui peinent à accrocher le spectateur.
- C’était un des trucs historiquement corrects de Spartacus.