Le prix du danger

d’Yves Boisset, 1982, ***

En 1981, Jacques Antoine lance La chasse au tré­sor, un jeu télé­vi­sé où un can­di­dat en stu­dio doit démê­ler une énigme pour gui­der Philippe de Dieuleveut jus­qu’à un tré­sor. Pour cela, une équipe de télé­vi­sion accom­pagne l’a­ni­ma­teur par­tout, sou­vent en héli­co­ptère, et une liai­son en direct per­met au can­di­dat de com­mu­ni­quer avec lui pour suivre les événements.

L’année sui­vante, Yves Boisset s’at­taque à l’a­dap­ta­tion du Prix du dan­ger, une nou­velle de Sheckley publiée en 1958, dans laquelle un jeu télé­vi­sé met un can­di­dat au défi de sur­vivre à cinq assas­sins. Il moder­nise évi­dem­ment le sujet et, sans doute, s’ins­pire un peu de La chasse au tré­sor : l’hé­li­co­ptère est un élé­ment essen­tiel, four­nis­sant l’in­dis­pen­sable et omni­pré­sente cou­ver­ture télé­vi­sée, et les allers-et-retours entre stu­dio et ter­rain rythment le film.

Épreuve sélec­tive : poser un Wilga, sans avoir pris de cours de pilo­tage. — cap­ture du film

Le résul­tat est éton­nant. Un film d’ac­tion mus­clé, avec Lanvin dans le pre­mier rôle ; un film social, avec des braves gens alter­na­ti­ve­ment héros ou salauds ordi­naires ; un film noir, avec Piccoli en mani­pu­la­teur télé­vi­suel pilo­té par un Cremer cynique et détes­table à sou­hait ; un film poli­tique, l’é­mis­sion étant éga­le­ment un moyen de contrôle des masses, détour­nées de la vio­lence et de la révo­lu­tion par le spec­tacle d’une pour­suite mortelle.

Piccoli en évan­gé­liste, par­don, je vou­lais dire, pré­sen­ta­teur télé. — cap­ture du film

C’est sur­tout un exemple vision­naire de télé-réa­li­té, où toutes les recettes modernes du genre sont déjà pré­sen­tées et décor­ti­quées — abus du sup­port publi­ci­taire, besoin de trou­ver un concept plus raco­leur que le pré­cé­dent pour main­te­nir l’au­dience, coup de pouce visant à évi­ter un épi­logue trop pré­coce, voire mani­pu­la­tion pure et simple en faveur ou au détri­ment du can­di­dat selon les résul­tats des son­dages. Pour ceux qui ont trou­vé que la nou­velle ver­sion de La course à la mort et Arès don­naient une idée de ce que pour­rait être une télé-réa­li­té débar­ras­sée de son maigre sens moral, sachez qu’ils ne pré­sentent rien qui ne soit déjà mon­tré dans Le prix du dan­ger.

Si le fond est bien plus déve­lop­pé et bien plus vision­naire que ce que lais­sait pen­ser le synop­sis, ce n’est hélas pas le cas de la forme. La direc­tion d’ac­teurs est assez inégale et la réa­li­sa­tion se dis­tingue autant par ses coups d’é­clat (comme le sta­tut qua­si-reli­gieux du pré­sen­ta­teur télé) que par ses coups dans l’eau (le bavar­dage final, fran­che­ment mou).

Dans le confort du bureau de la pro­duc­tion, déci­dant du meilleur moment pour mettre les tueurs sur la trace du can­di­dat. — cap­ture du film

À voir impé­ra­ti­ve­ment pour se rap­pe­ler que les tra­vers de la télé­vi­sion moderne sont connus de longue date, ce Boisset de la grande époque a aus­si bien vieilli qu’on pou­vait l’es­pé­rer. Il pro­fite d’une heure cen­trale vrai­ment ryth­mée et hale­tante pour faire pas­ser un finale un peu pous­sif et, à  l’heure du bilan, il s’a­vère reste tout à fait fréquentable.