Alita, battle angel

de Robert Rodriguez, 2019, ****

Il y a la ville volante, riche et puis­sante ; et il y a le bidon­ville ter­restre, pauvre et sale, qui vit de ce que rejette la ville. Là, dans la décharge, on tombe sur Alita, un robot qui devra démê­ler son ori­gine, s’in­ter­ro­ger sur son huma­ni­té, sur­vivre à un sport genre gla­dia­teurs moto­ri­sés, et remettre en ques­tion cette socié­té ouver­te­ment à deux vitesses.

Ça peut vous rap­pe­ler des trucs. Déjà, Astro boy, hein. Ou Gunnm.

Ça tombe bien, c’est une adap­ta­tion offi­cielle de Gunnm. Ah, c’é­tait pas évident ? Ah oui, parce que le nom de l’hé­roïne est pas le même…

Du coup, vous vous deman­dez peut-être pour­quoi elle s’ap­pelle Alita plu­tôt que Gally1 ?

Pour com­prendre, il faut se plon­ger dans la tra­duc­tion anglaise du man­ga. Les tra­duc­teurs ori­gi­naux, tra­vaillant pour Viz Media vers 1990, étaient de grands fans du renom­mage à la truelle : par exemple, ils ont trou­vé que Salem, pour la ville flot­tante, c’é­tait pas assez joli, et l’ont rebap­ti­sée Tiphares. Gally ne leur plai­sait appa­rem­ment pas non plus, donc elle est deve­nue Alita. (Il existe plu­sieurs légendes autour de ce renom­mage, una­ni­me­ment attri­bué à Fred Burke, de « pas assez noble » à « ça res­semble trop à Gary » en pas­sant par « il vou­lait que ça sonne comme Lolita ».) Ainsi, Gunm devint Battle angel Alita.

Je suis un tra­duc­teur amé­ri­cain : je pense que je fais des trucs super classe, mais en fait j’ai une tronche de bouf­fon. — pho­to 20th Century Fox

Avançons d’un quart de siècle : James Cameron a ache­té les droits d’a­dap­ta­tion ciné­ma­to­gra­phique et confié à Robert Rodriguez le soin de faire un film, qui sera donc états-unien. Il en pro­fite pour reve­nir un peu au maté­riau source, rendre son nom à la ville par exemple ; mais du fait de la popu­la­ri­té du man­ga, le nom amé­ri­cain de l’hé­roïne est conser­vé, et le titre à peine retou­ché pour la mettre en avant : Alita : bat­tle angel.

Là où ça devient très fort, c’est que le film est dis­tri­bué hors des États-Unis. Et c’est à ce moment que ça part vrai­ment en couille : appa­rem­ment, per­sonne chez Twentieth Century Fox France n’a com­pris que le film était l’a­dap­ta­tion de Gunnm — ce qui est d’au­tant plus éton­nant que c’est écrit en gros sur la fiche du film chez 20th Century Fox. Ou alors, aucun ne s’est deman­dé si ça serait une bonne idée de jeter un œil au man­ga, pour voir si par hasard il y aurait des ver­sions locales à reprendre pour res­pec­ter ceux qui ont pas­sé les vingt-cinq der­nières années à lire les Gunnm de Glénat et qui devaient être les pre­miers à se ruer en salles. En tout cas, les imbé­ciles de Twentieth Century Fox France gardent les noms amé­ri­cains, qui n’ont rien à voir ni avec la VO, ni avec la ver­sion française.

En résu­mant : les tra­duc­teurs amé­ri­cains du man­ga ont fait un bou­lot d’a­dap­ta­tion dis­cu­table, les tra­duc­teurs fran­çais du film ont déli­bé­ré­ment chié dans la gueule des fans.

Attends, je sais même plus com­ment je m’ap­pelle, moi ?! — pho­to 20th Century Fox

La bonne nou­velle, c’est que je ne suis pas là pour juger la tra­duc­tion, aus­si foi­reuse soit-elle. Je suis là pour par­ler d’un film de Robert Rodriguez, qui n’est res­pon­sable ni des errances de Viz Media, ni du mépris de Twentieth Century Fox France.

Et sur le plan ciné­ma­to­gra­phique, ça va.

Évidemment, le scé­na­rio n’est pas extra­or­di­nai­re­ment ori­gi­nal. La réflexion sur l’hu­ma­ni­té des robots connaît un regain d’ac­ti­vi­té depuis qu’on met de l’ap­pren­tis­sage pro­fond dans le moindre grille-pain, mais elle n’a rien de neuf, Fritz Lang nous en est témoin. Les uni­vers ultra-sépa­ra­tistes où les riches sont car­ré­ment éloi­gnés phy­si­que­ment de la lie de la popu­la­tion existent depuis long­temps dans la vraie vie et au ciné­ma ; ils nous ont don­né des dizaines de chefs-d’œuvre comme 3 % et des mil­liers de navets comme Elysium. Quant au sau­veur qui va remettre en ques­tion une socié­té inique, ben… Je vous laisse jeter un œil aux reli­gions pour voir à quelle époque l’i­dée était novatrice.

Le truc le plus ori­gi­nal, en fait, ça doit être le motor­ball, et si je vous dis que c’est le fils natu­rel du rol­ler der­by et des com­bats de gla­dia­teurs, vous voyez qu’il n’y a pas eu besoin d’une ima­gi­na­tion débor­dante pour l’inventer.

Oui, mais c’est bien fichu.

Ah, m’as­seoir sur un toit, cinq minutes avec toi… — pho­to 20th Century Fox

D’abord, c’est équi­li­bré : un peu comique, un peu émou­vant sans trop en faire dans le pathos, pas mal d’ac­tion mais on peut éga­le­ment se poser de temps en temps, un peu de phi­lo light mais vrai­ment pas de quoi se prendre la tête… L’univers post-apo­ca­lyp­tique est sérieu­se­ment capil­lo­trac­té, mais pas plus que celui du Château dans le ciel, les per­son­nages sont plu­tôt sym­pa (quoiqu’un peu évi­dents), et la façon dont le scé­na­rio pioche à droite et à gauche sans s’im­po­ser un genre (c’est aus­si un film de chas­seurs de primes, par exemple) est assez agréable.

Ensuite, le cas­ting est assez convain­cant, Christoph Waltz est éblouis­sant d’am­bi­guï­té à son habi­tude, Mahershala Ali est un très bon méchant, et l’in­té­gra­tion des images de syn­thèse per­met à Rosa Salazar et Jackie Reale Haley de faire leur bou­lot avec finesse.

Enfin, la réa­li­sa­tion est fran­che­ment splen­dide. Rodriguez conti­nue à glis­ser d’un uni­vers et d’une tona­li­té à d’autres avec aisance, fai­sant pas­ser sans dif­fi­cul­té une bagarre de bis­trot pour la suite natu­relle d’une réflexion poli­tique avant d’en­chaî­ner avec une étude de la résis­tance au ver­tige chez le spec­ta­teur moyen. Si l’on sent la patte de Cameron, pro­duc­teur très inves­ti et scé­na­riste, dans le ren­du gra­phique et le goût pour la réa­li­sa­tion « tech­nique » (scènes impo­santes aux pers­pec­tives pous­sées, uti­li­sa­tion mas­sive d’i­mages de syn­thèse), la poly­va­lence du touche-à-tout bri­co­leur apporte un côté plus bor­dé­lique, moins cli­nique, qui va vache­ment bien au film.

Vous dites ? Matrix ? Jamais enten­du par­ler. — image 20th Century Fox

Certes, on peut cri­ti­quer cer­tains aspects, en par­ti­cu­lier la « fin » qui n’en est pas une. Cameron et Rodriguez ne se sont jamais cachés de voir ce film comme le pre­mier d’une série ; en gros, ils ont adap­té les 2,5 pre­miers tomes de Gunnm, qui en compte 9. Mais loin de cou­per sur une conclu­sion par­tielle comme on le fait d’ha­bi­tude, Alita : bat­tle angel semble miser à fond sur la conti­nui­té, ses der­nières scènes hur­lant « ren­dez-vous dans deux ans ».

Mais ça reste un film de science-fic­tion robo­tique qui sait sor­tir un peu de son genre à l’oc­ca­sion, ryth­mé, bien mené, hau­te­ment entraî­nant et fran­che­ment satis­fai­sant — si l’on met de côté l’in­cul­ture crasse de son dis­tri­bu­teur français.

  1. Qui n’est pas qu’une adap­ta­tion fran­çaise : c’est son nom ori­gi­nal, ガリィ.