Bienvenue à Marwen
|de Robert Zemeckis, 2018, ****
Quand on pense à Robert Zemeckis, on pense souvent aux Retour vers le futur, à À la poursuite du diamant vert, à Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, à Forrest Gump, au Drôle de Noël de Scrooge, ou plus récemment à The walk, bref, à des trucs plutôt légers — ce qui n’interdit pas d’avoir du fond, évidemment, j’en connais qui ont été traumatisés par la trempette de la chaussure toon. Mais Zemeckis a aussi fait des films dramatiques dépourvus de tout aspect comique : Flight et Apparences par exemple.
Bienvenue à Marwen restera sans doute très difficile à classer : à première vue, il ressemble aux premiers, mais en fait, il appartient profondément aux seconds.
Évidemment, il y a des aspects amusants. Les séquences animées tirent sur la parodie tarantinesque, avec des héroïnes légèrement vêtues qui débarquent au moment opportun pour tuer des nazis, et les relations de Mark avec son entourage ont souvent un tour comique.
Mais c’est sans doute le film le plus profondément glauque de Zemeckis. L’anti-héros l’explique à la fin : « cette agression a détruit ma vie ». Et c’est, réellement et sans détour, ce que montre le film : un homme pathétique — pas au sens « minable », au sens « qui inspire la pitié et l’émotion ».
Amnésique, emprisonné dans ses manies, fantôme vivant de fantasmes, confondant largement sa fiction auto-thérapeutique et la réalité, il ne lui reste que quelques planches d’avant pour lui rappeler qu’il était un illustrateur apprécié. Ce n’est pas tant une renaissance qu’un chemin de croix que filme Zemeckis et si son personnage finit par obtenir une certaine reconnaissance, rien ne fait oublier à quel point il reste définitivement diminué.
La prestation de Steve Carrell est évidemment au cœur du film. Pour une fois, il ne met pas son physique de citoyen lambda au profit d’un personnage ridiculement comique, mais d’un homme ordinaire largement démoli — physiquement, neurologiquement et moralement. Il confirme que les bons comiques sont de grands tragédiens en tenant imperturbablement son rôle, drogué et maniaque, même lorsque la réalité lui éclate à la gueule et que ce qu’il pensait être une reconstruction se révèle un pur fantasme.
À côté, le reste du casting fait son taf sans éclat spécifique, dans des rôles un poil trop stéréotypés sans doute, et les techniciens s’offrent juste une paire de plans soignés dans une œuvre filmée très classiquement — c’est d’autant plus étonnant que le héros est photographe…
Bienvenue à Marwen n’est donc pas le grand film qu’il aurait pu être avec des seconds rôles plus travaillés, une direction d’acteurs plus cadrée, une photo plus étudiée et une réalisation plus inspirée. Mais il reste fascinant, un vrai type vivant une vraie tragédie de la vraie vie, avec toute l’absurdité dont celle-ci a le secret. On n’en sort clairement pas avec un moral au top, mais au moins, ça frappe — et c’est bien la première qualité d’un film.