The first purge¹
|de Gerard McMurray, 2018, **
Concon vit dans un appartement miteux de Staten Island avec sa sœur, Mary-Sue. Elle se casse le cul pour payer le loyer histoire que Concon ait un avenir, mais celui-ci a une meilleure idée : il va dealer de la dope pour avoir plein d’argent et pas d’avenir. Dans le monde sans pitié de la rue, Concon s’embrouille donc avec Skeletor², un junkie schizo qui veut buter tout le monde, et du coup Concon se promet qu’à la première occasion, il butera Skeletor.
Et justement, l’occasion se présente : dans le cas d’une expérimentation sociologique, le gouvernement décide que pendant une nuit complète, Staten Island sera une zone de non-droit, où tous les crimes seront autorisés. En théorie, si les gens s’entre-tuent cette nuit-là, ils seront plus zens le reste de l’année, et vu que Staten Island est pleine de pauvres, plus ils meurent, moins il y aura de minima sociaux à verser, tout le monde y gagne. Bien sûr, les autochtones cherchent à fuir l’île le temps de l’expérience, mais les autorités ont une idée simple : elles leur filent de la thune pour rester et encore plus de thune pour participer — ainsi que des jolies lentilles de contact qui brillent et qui permettront de diffuser les crimes à la télé pour que le reste du pays puisse vivre leur mort par procuration.
Alors, Mary-Sue va se barricader dans l’église avec les gens du quartier, Concon prend un flingue et ses lentilles et file dans la rue à la recherche de Skeletor, et Skeletor s’arme jusqu’aux dents et file dans la rue à la recherche de n’importe qui.
Ça paraît complètement con ? Et encore, vous n’avez vu que les dix premières minutes.
Il y a cinq ans, le premier volume, The purge, était un huis-clos métaphorique sur les Américains aisés paranoïaques et xénophobes, qui se barricadent dans une sécurité d’autant plus illusoire que leurs démons les accompagnent. Il y a quatre ans, The purge : anarchy jouait la carte du survival urbain, entre pauvres qui en profitent pour prendre ce qu’ils peuvent, pauvres qui veulent tout faire péter et pauvres qui veulent survivre. Il y a deux ans, The purge : election year accroissait la dimension politique en ajoutant les opposants au principe même de la purge et en montrant comment les dirigeants eux aussi utilisaient la purge pour se débarrasser de leurs adversaires.
Pour ce préquelle où la purge, encore expérimentale, est limitée à Staten Island, DeMonaco a voulu renforcer encore son message politique. Pour les précédents, le fait que la purge touchât principalement les pauvres était un constat ; ici, c’est un principe dont ils sont les innocentes victimes. Les pauvres sont gentils ; d’ailleurs, lorsque sonnent les sirènes qui marquent le début de la purge, ils ne commencent pas par s’entre-tuer pour quelques victuailles ou par agresser la fille qui leur a mis un râteau (un des grands mystères de cette série est l’absence quasi-totale d’agressions sexuelles, pourtant fort bien documentées dans l’Histoire de l’humanité). Non, les pauvres, même quand ils ont la haine parce qu’ils vivent dans des cités miteuses abandonnées des autorités, à la seconde où on les autorise à piller et massacrer à volonté, ils… organisent des fêtes des voisins : bière, musique, gens qui dansent gentiment, on croirait un bal de fin d’année au lycée de Bayside.
Les politiciens, eux, sont tous méchants, retors et manipulateurs, ils haïssent les gentils pauvres et veulent les pousser à se massacrer, et c’est tout l’enjeu du film.
Je sais pas vous, mais moi, là, je pleure devant une telle naïveté. Il ne suffit pas d’être pauvre pour être honnête, et les précédents films avaient leur lot de personnages miséreux qui participent à la purge de bon cœur. Ici, Skeletor est le seul pauvre à vraiment vouloir buter des gens, les autres ne saisissent une arme que pour se protéger ou protéger leur famille — à part peut-être Concon, mais vu que c’est Skeletor qu’il veut buter, ça reste parfaitement moral.
Autrement dit, tout aspect politique et toute ambiguïté des trois premiers films sont mis à bas dans celui-ci, remplacés par un message simpliste et omniprésent.
Il faut aussi toucher un mot des gens qui ont pondu le résumé officiel du film. Je vous le mets pour bien comprendre :
Pour faire passer le taux de criminalité en-dessous de 1% le reste de l’année, les « Nouveaux Pères Fondateurs » testent une théorie sociale qui permettrait d’évacuer la violence durant une nuit dans une ville isolée. Mais lorsque l’agressivité des tyrans rencontre la rage de communautés marginalisées, le phénomène va s’étendre au-delà des frontières de la ville test jusqu’à atteindre la nation entière.
Si, comme moi, vous pensiez que les violences de Staten Island allaient franchir l’Arthur Kill ou The Narrows, sachez qu’il n’en est rien. Les politiciens ont choisi Staten Island pour éviter tout débordement, parce qu’il suffit de fermer les ponts pour tout sécuriser : aucun des purgeurs ne sait nager 200 m ni piloter un canot. Je ne sais pas si c’est un problème avec le film (logiquement, ça devrait déborder sur le New Jersey à un moment ou à un autre) ou avec le résumé (qui raconte un truc qui n’a rien à voir avec le film), mais dans tous les cas, c’est un problème.
Ceci mis à part, The first Purge est un thriller entraînant, rythmé, qui se prend juste un peu trop pour Piège de cristal dans sa dernière partie. Il pourrait en fait être un divertissement très honnête s’il n’était plombé par son message, asséné avec la délicatesse d’un électeur LFI expliquant la vie à un macroniste.
¹ Comme le veut la tradition, la distribution française a choisi un titre débile mais pas français, qui n’a aucun rapport avec le film. Le Comité anti-traductions foireuses, appelé à la rescousse, a donc conseillé d’utiliser le titre original en tirant la langue aux gens d’Universal Pictures International France.
² Cette fois je plaisante pas, ce personnage s’appelle vraiment comme ça.