Piège de cristal

de John McTiernan, 1988, ****

C’est l’his­toire d’un flic new-yor­kais qui arrive à Los Angeles pour retrou­ver sa femme. Hélas, le gratte-ciel où tra­vaille celle-ci est pris par un groupe armé, qui réunit tous les employés pour ser­vir d’o­tages. Le flic, en train de se rafraî­chir à ce moment-là, se retrouve seul à côté de douze tei­gneux et, comme il a une bonne men­ta­li­té de cow-boy, il décide d’intervenir.

Voilà, vous savez tout. Objectivement, Piège de cris­tal est un « vigi­lante movie » en huis-clos au scé­na­rio ultra-simple, qui méri­te­rait d’être oublié aus­si rapi­de­ment que la moi­tié de l’œuvre de Steven Seagal.

Un vrai film d’ac­tion avec un jus­ti­cier soli­taire… — pho­to Twentieth Century Fox

Oui, mais.

Mais Piège de cris­tal ne repose pas sur son scé­na­rio. Son scé­na­rio, en fait, il s’en fout.

Pour entraî­ner le spec­ta­teur, John McTiernan s’in­té­resse avant tout au rythme et à l’é­chelle. Le Nakatomi Plaza est presque un per­son­nage de l’his­toire, avec ses luxueux bureaux, ses inter­mi­nables cages d’as­cen­seur et ses étroits conduits d’aé­ra­tion. Des grands espaces des open space aux petits recoins des locaux tech­niques, il offre une dyna­mique par­ti­cu­lière, jouant sur les dis­tances et les volumes pour pas­ser de scènes de haut vol à d’é­touf­fants espaces clos. Le mon­tage garde un tem­po alle­gro d’un bout à l’autre, enchaî­nant les séquences avec flui­di­té en ne s’at­tar­dant qu’une seconde çà et là pour lais­ser les per­son­nages s’exprimer.

L’espace (et son manque), une vraie force du film. — pho­to Twentieth Century Fox

Car c’est l’autre grand inté­rêt du film : Steven de Souza et Jeb Stuart, s’ils ont gar­dé fidè­le­ment la trame du roman ini­tial, ont sévè­re­ment retou­ché les per­son­nages et en par­ti­cu­lier le héros. Ils contournent ain­si un pro­blème récur­rent du vigi­lante movie : le soli­taire fort et inflexible à la Charles Bronson, qui maî­trise tout et est imbat­table, auquel per­sonne ne s’i­den­ti­fie. John McClane est un type pieds nus en mar­cel qui prend douze para­mi­li­taires armés jus­qu’aux dents : rien à voir avec le spec­ta­teur ordi­naire. Mais John McClane est avant tout un tren­te­naire qui a peur en avion et souffre d’une cal­vi­tie nais­sante, sa femme mène une car­rière net­te­ment plus brillante que lui et l’a plus ou moins pla­qué parce qu’il était trop pris par son bou­lot pour se sou­cier d’elle, et il a ten­dance à faire des vannes faciles qui ne marchent qu’une fois sur deux.

Il faut bien sûr saluer Bruce Willis : si vous aviez besoin d’un mec cos­taud et agile capable de jouer un simple qui­dam mal­adroit, c’é­tait le type à embau­cher en 87. Mais ce sont sur­tout les scé­na­ristes qui ont ain­si allé­gé les per­son­nages pour don­ner une tona­li­té comique à l’ensemble.

Juste une touche de drô­le­rie et de vannes faciles pour qu’on s’i­den­ti­fie aux per­son­nages. — pho­to Twentieth Century Fox

Le résul­tat est un peu hybride : d’un côté, c’est évi­dem­ment un vrai film d’ac­tion, solide, cor­rec­te­ment fichu mal­gré quelques invrai­sem­blances (la ren­contre entre Gruber et McClane en par­ti­cu­lier), qui n’hé­site à être violent et sai­gnant au besoin. De l’autre, c’est une comé­die légère, pleine de gags visuels et de répliques du tac au tac. Pourtant, quelque part, c’est exac­te­ment le contraire des paro­dies de films d’ac­tion : il refuse abso­lu­ment d’être cen­tré sur le comique au détri­ment de l’ac­tion et ne cherche pas à se faire tout public.

Mais du coup, l’en­semble est extrê­me­ment effi­cace : moins dis­tant, moins pré­ten­tieux que les films d’ac­tion purs, il en garde pour­tant les avan­tages en matière de spec­tacle et de dis­trac­tion, navi­gant ain­si avec pré­ci­sion entre les écueils du vigi­lante movie, ceux du film d’ac­tion et ceux de la parodie.