Perdus dans l’espace
|de Zach Estrin et Burk Sharpless, depuis 2018, ***
Imagine : tu t’appelles Robinson, et d’autres préparent odyssée qui pourrait t’amener sur une terre promise. Tu prends un ticket ?
Non, hein. Parce que tu as lu Defoe, Wyss, Verne, Tournier et consorts, et que tu sais qu’avec un nom pareil, si tu montes sur un vaisseau, t’es dans la merde.
Mais les Robinson n’ont pas lu les grands classiques : ils étaient trop occupés à dévorer le manuel du super-soldat, les traités de physique aérospatiale, les cours de médecine (à 18 ans) ou d’ingénierie (à 11 ans), ou encore à apprendre par cœur la page Vannes sarcastiques tout public de Wikipédia — il fallait bien un personnage rigolo dans l’équipe, et au cas où vous vous demanderiez : oui, elle est rousse. Du coup, au lieu de rester le plus loin possible des voyages, les Robinson s’embarquent pour un nouveau monde et sont totalement surpris quand leur vaisseau perd son chemin et les envoie sur une planète qui n’a rien à voir avec leur destination.
Oui, je sais, c’est facile de se moquer. Et on peut, après tout, penser que le nom des personnages est un subtil hommage ou une indication pour que le spectateur ne soit pas trop choqué quand les héros perdent leur route. Admettons.
Mais c’est en fait pas le vrai problème de cette série.
Son soucis majeur, c’est la construction des personnages. Passons sur la famille de génies (parfois étonnamment stupides quand même, faut bien les mettre dans des situations dramatiques pour qu’ils puissent s’en sortir), mais était-il nécessaire d’en faire de telles caricatures ? Papa : caricature de militaire. Maman : caricature de mère-courage inflexible. Fifille 1 : caricature de fonceuse. Fifille 2 : caricature de Sonny Tuckson. Fifils : caricature d’enfant-de-cinéma-américain. Docteur : caricature de méchante-machiavélique-manipulatrice. Mécano : caricature de type-louche-mais-gentil-au-fond. Même le robot n’est crédible que deux secondes, avant de devenir la caricature du truc-dangereux-mais-bon-mais-manipulable-qui-fait-peur-et-rassure-à-la-fois.
Du coup, on passe la moitié des épisodes à assister à des scènes hautement prévisibles et à attendre qu’elles se terminent soit par leur conclusion évidente, soit par un deus ex machina lui-même souvent déjà vu. Pour aggraver les choses, le casting est très inégal et, en particulier, Parker Posey surjoue toutes les répliques de son personnage — dommage, c’est la principale Némésis de l’œuvre.
Ça n’aurait pas été gênant en 1980, à l’époque où les premières séries de Star trek ou de Galactica reposaient sur des personnages aussi subtils et des scènes aussi répétées, où Murdock et Jack Dalton apparaissaient dans un MacGyver sur deux, et où L’Agence tous risques faisait toutes les semaines le même épisode avec les mêmes caricatures. Mais le temps a passé, la reprise de Battlestar Galactica a sérieusement modifié les règles narratives du space opera, The Expanse a dit que si on commence avec des caricatures, ça doit être pour les affiner par la suite, et Stargate : SG‑1 a même montré qu’on peut utiliser des caricatures dans des situations répétitives à condition de bien diriger un casting de choix et de lui faire servir des dialogues étudiés. Et Perdus dans l’espace semble avoir manqué tous ces petits changement environnementaux.
En outre, certains éléments centraux du script sont franchement ratés, comme tous les enjeux sociaux autour du robot : les revirements des personnages, entre « c’est un robot ennemi » et « il peut nous sauver », sont incohérents et beaucoup trop nombreux.
Pourquoi donc m’acharner, ne pas dire « c’est nul, regardez autre chose » et passer au billet suivant ?
Parce que le vrai drame de Perdus dans l’espace, c’est qu’il y a un réel potentiel. La réalisation est soignée, la direction artistique plus encore, la conception de la planète et de l’univers dans lequel les Robinson et leurs collègues évoluent est assez réussie, de même que l’équilibre entre scènes de tension et humour léger. On sent aussi une vraie volonté de dépoussiérer les thèmes de la SF traditionnelle et, en particulier, de la série éponyme de 1965. Sous un premier abord « papa, maman, les enfants », la série cache d’ailleurs une conception relativement moderne de la famille : ce sont clairement les femmes qui mènent la danse et la séparation est toujours possible si les mâles déconnent.
Par ailleurs, si l’effet tombe souvent un peu à plat, les scénaristes essaient aussi de temps en temps d’approfondir un peu les personnages et leurs relations. Cela nous vaut une poignée de séquences très réussies, notamment celle où la grande sœur tente de remonter le moral à son cadet. Il y a aussi ce choix de faire foirer une opération de secours, avec la mort d’un personnage dont la survie avait quasiment été acquise (en tout cas selon les règles des séries tout public traditionnelles), qui montre que les auteurs n’ont au départ pas envie de faire un simple Le Club des 5 en voyage interstellaire, mais une vraie série moderne avec quelques ressorts tragiques.
Le résultat est une série fréquentable, que l’on aimerait aimer plus. En fait, si le spectateur reste régulièrement sur sa faim, le potentiel est indéniable et l’on espère surtout que les auteurs sauront se remonter les manches pour offrir une seconde saison plus solide, en ajoutant un peu de cohérence et de subtilité aux personnages. Après tout, la série de 1965 avait beaucoup amélioré le Dr Smith après les premiers épisodes…