Outlanders
|de Ronald D. Moore, depuis 2014, ****
En 1743, le Royaume-Uni se bat contre lui-même. Les échecs des rébellions de 1715 et 1719 n’empêchent pas les Écossais de gronder contre les Anglais, qui tentent d’imposer leurs propres mœurs, religieuses, administratives et financières. L’alliance franco-écossaise visant à la restauration de la dynastie des Stuart vient de s’enclencher ; elle mènera à la dernière guerre de succession, conclue dans un bain de sang à Culloden.
En 1945, le Royaume-Uni se bat comme un seul homme. Anglais, Écossais, Gallois et Irlandais hébergent des troupes venues du Canada ou d’Australie et, pendant que les hommes vont se faire étriper, les femmes sont pleinement mises à contribution, parfois très près du front.
Parmi celles-ci, une infirmière anglaise qui n’a que de vagues notions d’Histoire passe littéralement à travers une pierre levée près d’Inverness. Elle se relève en pleine bataille entre des bonshommes en jupe de tartan et des bonshommes en chemise rouge, retrouve son mari dans une des chemises rouges, s’aperçoit que ce n’est pas son mari mais un gros connard violent et sadique, puis se fait secourir par une des jupes de tartan.
La suite est prévisible : elle craque pour le nouveau venu, se pose la question « est-ce que coucher avec un fier Highlander 160 ans avant la naissance de son mari, c’est tromper ? », cherche un moyen de rentrer à son époque vu que c’est quand même ballot de quitter la Seconde Guerre mondiale enfin finissante pour arriver à la veille de Culloden, hésite à faire buter ce connard qui est tout de même l’ancêtre de son premier mari, cherche à faire capoter le soulèvement pour éviter Culloden et sauver son second mari, fuit en France pour échapper aux tuniques rouges, cherche à faire réussir le soulèvement pour mettre James Francis Stuart sur le trône d’Angleterre, voit que l’Histoire n’aime pas être changée, se pose la question « est-ce que coucher avec son premier mari 200 ans après la mort de son second mari c’est tromper ? », tout ça.
L’histoire d’un type envoyé dans le passé avec ses connaissances des événements à venir est un grand classique, que j’ai découvert à dix ans en voyant Nimitz, retour vers l’enfer et en lisant La spirale du temps, entre autres. Et Outlanders en reprend tous les enjeux habituels : exploration des mœurs de l’époque, adaptation, tentatives d’améliorer les choses ou de rentrer chez soi…
L’originalité, ici, c’est d’abord qu’il ne s’agit pas d’un personnage contemporain. Ce sont deux reconstitutions historiques pour le prix d’une, et même trois lorsque les origines d’une autre voyageuse, partie de 1968, sont révélées. Pour les amateurs d’Histoire, c’est précieux : il y a bien sûr un lot de simplifications, d’approximations et même d’anachronismes patents, mais l’ensemble est plutôt soigné et donne des évocations intéressantes des différentes époques concernées.
Ensuite, il y a plein de détails bien conçus, une palette de personnages variés, souvent ambigus, à l’honneur et à la morale variables en fonction des circonstances. Ronald D. Moore, qui a développé la série à partir de romans de Diana Gabaldon, y a mis le même soin que dans Battlestar Galactica : l’univers est riche, complexe et varié, et le mélo sert plus de fil rouge que de sujet central. L’œuvre tient finalement plus du roman épique de guerre, d’aventures et d’espionnage, tout en étant une introduction historique assez bien fichue, qui explique les faits importants sans verser dans le cours magistral.
Et bien entendu, on trouve des petites touches d’humour bienvenues, basées à la fois sur les incompréhensions entre Anglais et Écossais, sur le choc culturel entre une femme des années 1940 et un Highlander deux siècles plus ancien, sur les situations des uns et des autres, et sur des petits détails comiques — pour faire disparaître un cadavre, autant le glisser dans un tonneau de crème de menthe, personne ne boit jamais de ce truc-là.
On appréciera aussi le discret féminisme de la série, qui ne se limite pas au personnage principal : les autres femmes ont également leurs rôles, leurs caractères et leurs buts, plus ou moins indépendants de ceux des mâles. Bien entendu, la société anglaise des années 40 comme la société écossaise du 18è siècle sont de beaux exemples de patriarcats et la liberté des femmes reste toujours relative, mais les auteurs n’en ont pas profité pour les reléguer à l’arrière-plan : plutôt qu’un vrai féminisme revendicatif ou idéaliste, c’est un coup d’œil honnête sur le sexisme ordinaire de différentes époques qui est diffusé au fil des épisodes. Ah, et c’est un des rares cas d’œuvre audiovisuelle où, dans le couple principal, la femme est ouvertement plus âgée et plus expérimentée que l’homme — c’est un détail, mais ça fait plaisir, pas vrai Josh ?
Et puis, comme c’est produit pour Starz, qui a également diffusé Black sails1, American gods ou encore Spartacus, ça partage une même qualité : ça n’hésite pas. Quand c’est censé être habillé, c’est habillé, quand c’est censé être à poil, c’est à poil, quand c’est censé saigner avec un bout d’os qui dépasse et des tripes qui dégoulinent, ça saigne avec un bout d’os qui dépasse et des tripes qui dégoulinent.
Au bout du compte, sous sa base bien réelle de mélo sentimental, Outlander cache plusieurs évocations historiques plutôt soignées, de la stratégie militaire et de la baston de rue, des personnages variés, une mise en lumière posée des stéréotypes de genre, des aventures épiques et une vraie volonté d’y aller franchement quand un sadique s’amuse à torturer quelqu’un.
Alors bien sûr, il y a des moments où le fond de gros mélo se fait un peu trop sentir, où les bons sentiments envahissent tout et où la pâte à la guimauve devient vaguement languissante. Bien sûr, il y a des directeurs d’acteurs qu’on a envie de baffer tellement les performances des uns et des autres sont variables. Bien sûr, il y a ce fait étonnant que, dans une série où l’effort linguistique est notable, tout le monde parle français couramment, même le petit nobliau des Highlands qui maîtrise déjà son gaélique maternel et l’anglais de l’envahisseur.
Mais franchement, il y a bien plus de qualités et de profondeur que ce à quoi je m’attendais au départ.
- Petit regret personnel en passant : la troisième saison, qui se déroule vers 1765, a partiellement pour cadre les Bahamas. Vu que Black Sails était ouvertement une préquelle de L’île au trésor, qui se situe vers le milieu des années 1750, il aurait été tout à fait légitime de placer une petite trace de Long John Silver quelque part, et ça m’aurait fait plaisir.