Black sails

de Jonathan Steinberg et Robert Levine, depuis 2014, ****

Tout homme a sa baleine blanche. Pour cer­tains, c’est la quête de l’a­mour de leur vie ; pour d’autres, celle de la richesse éter­nelle ou le rêve de construire une socié­té nou­velle. Pour Flint, capi­taine du bateau pirate Walrus, c’est l’or de l’Urca de Lima, un navire espa­gnol dont il a pu apprendre la route et qu’il espère sai­sir. À cette fin, il n’hé­site pas à mani­pu­ler, intri­guer, mena­cer, tuer et même à men­tir à son équi­page, mal­gré les conflits avec les autres pirates et le besoin d’en­tre­te­nir de bon rap­ports avec Nassau pour y faire relâche.

Voilà. Ça, c’est pour la façade : un « pré­quelle » de L’île au tré­sor, où l’on retrouve Flint et Silver avant qu’ils enterrent le tré­sor. Une his­toire de tré­sor donc, d’am­bi­tion, de pira­te­rie, avec des com­bats au sabre, des menaces de muti­ne­rie, des intrigues dans l’ombre, tout ça.

La nuit, tous les marins sont gris. - photo Starz
La nuit, tous les marins sont gris. — pho­to Starz

Mais les auteurs de Black sails ont été beau­coup plus loin. Ils ont pro­fi­té d’une coïn­ci­dence de dates (Flint serait mort en 1754, l’Urca de Lima a cou­lé en 1716, l’âge d’or de la pira­te­rie dans les Bahamas s’é­tale entre 1710 et 1725) pour lier toutes ces his­toires, la fic­tion (anti-)héroïque de Stevenson et la réa­li­té his­to­rique de Vane, Rackham et Nassau. La docu­men­ta­tion étant assez floue, ils ont joui d’une cer­taine liber­té nar­ra­tive, tout en s’an­crant dans une réa­li­té avec une volon­té de faire un bon bou­lot : la recons­ti­tu­tion des navires est cor­recte, leurs manœuvres aus­si, le mythe du capi­taine san­gui­naire qui ne peut être retour­né que par une muti­ne­rie est bien remis en cause, et la pré­sen­ta­tion du com­merce à Nassau et des ten­ta­tives de faire de New Providence un vrai État légi­time prend au moins autant de place que les aven­tures mari­times de Flint et du futur Long John Silver.

Autre bon point : la deuxième sai­son renou­velle lar­ge­ment la série, la déve­lop­pant en fresque his­to­rique et pré­sen­tant le pas­sé de ses per­son­nages. Elle retrace notam­ment l’ap­pa­ri­tion en Angleterre de l’i­dée révo­lu­tion­naire qui consiste à envi­sa­ger un par­don des pirates — lequel entraî­ne­ra effec­ti­ve­ment le retour­ne­ment du capi­taine Hornigold en 1718. La rela­tion entre Rackham et Bonny est éga­le­ment creu­sée et les auteurs se font de petits plai­sirs en annon­çant plu­sieurs élé­ments his­to­ri­que­ment connus de leur vie à venir, même s’ils ont éga­le­ment tota­le­ment tri­ché sur les dates — ils leur prêtent une quin­zaine d’an­nées d’his­toire com­mune, alors que leurs routes ne se sont croi­sées qu’en 1718 et sépa­rées en 1720.

Le commerce et la prostitution, deux autres manières de gouverner. - photo David Bloomer pour Starz
Le com­merce et la pros­ti­tu­tion, deux autres manières de gou­ver­ner. — pho­to David Bloomer pour Starz

Le scé­na­rio pèche un peu par quelques rebon­dis­se­ments faciles et des « cliff­han­gers » par­fois arti­fi­ciels à la fin de chaque épi­sode, mais dans l’en­semble il fait preuve d’une vraie intel­li­gence et les liber­tés prises avec l’Histoire sont jus­ti­fiées par la volon­té d’é­lar­gir le contexte. La réa­li­sa­tion est sans his­toire, plu­tôt effi­cace, et les images de syn­thèse lar­ge­ment uti­li­sées en mer ne sont pas trop cho­quantes. Les acteurs font un tra­vail un peu inégal mais dans l’en­semble cor­rect, bref, rien de cho­quant ne vien­dra vous empê­cher de goû­ter les qua­li­tés de la série.

Comment ça, on n'est pas gentils ? Ben, on est des pirates, hein. - photo Starz
Comment ça, on n’est pas gen­tils ? Ben, on est des pirates, hein. — pho­to Starz

Bien enten­du, il ne faut pas être cho­qué par un peu de sang, des corps démem­brés (ou dénu­dés, d’ailleurs), des per­son­nages retors et cyniques et par­fois une once de vul­ga­ri­té dans cer­taines répliques. Mais pour les ama­teurs de pira­te­rie qui sou­hai­te­raient quelque chose d’un peu plus consis­tant que Pirates des Caraïbes, les pas­sion­nés d’Histoire qui s’in­té­ressent aux Bahamas ou ceux qui rêvent de voir un jour une adap­ta­tion ciné des Passagers du vent, c’est un bon début.