X‑15
|de Richard Donner, 1961, **
Les films d’aviation sont souvent pris dans un dilemme délicat. D’un côté, ce domaine n’intéresse qu’une frange de la population et, pour avoir une chance de s’en sortir, il faut élargir le propos à des sujets plus porteurs ; on ne fait donc généralement pas des films d’aviation à proprement parler, mais des films dont l’aviation est la toile de fond et dont les ressorts principaux sont ceux du film de guerre, de la comédie, du polar, du thriller, du biopic mélodramatique, du survival, du teen-movie, de la quête initiatique, évidemment du film-catastrophe, ou un peu tout ça mélangé.
D’un autre côté, les gens intéressés par l’aviation ont tendance à être de dangereux maniaques qui ne pardonnent pas la plus légère approximation, la plus discrète incohérence ou la moindre romancisation. Et curieusement, ils ne veulent pas non plus regarder tranquillement leurs documentaires sur Discovery Channel et éviter les salles obscures lorsque sort un film normal avec des avions. Certains producteurs peuvent donc parfois être tentés de faire un film rien que pour eux, solide, presque documentaire, où les éléments sentimentaux, géopolitiques, comiques, policiers, mélodramatiques ou catastrophiques seraient relégués au second plan. Le film a alors évidemment un certain potentiel de gros flop en salles, mais il peut espérer vaguement devenir culte chez les quelques tarés câblés de manière à l’apprécier.
De toute évidence, X‑15 espérait faire partie de la seconde catégorie. C’est un film d’aviation, un vrai. Les enjeux principaux sont de mettre au point le capricieux moteur XLR99, de rester concentré pendant l’interminable attente avant un vol, de tenir un angle de rentrée au degré près, mais aussi pour les pilotes d’accompagnement d’anticiper la trajectoire du X‑15 pour être au bon endroit et le guider jusqu’à son atterrissage, de poser correctement un B‑52 chargé et déséquilibré, ou encore de gérer un F‑100 pour accomplir sa tâche malgré une panne. Et, bien sûr, de convaincre la presse que non, tel accident ne remet pas en cause l’ensemble du programme, que oui, les records c’est sympa mais ça fait pas tout, et que oui, le X‑15 conserve tout son intérêt malgré l’avancement du programme Mercury.
Des à‑côtés ? Oui, quand même quelques-uns. Les pilotes ont des familles, elles s’inquiètent, elles craquent, elles se reprennent, leurs femmes les embrassent et leurs enfants sont fiers. Et puis, leurs veuves et leurs orphelins craquent, puis se reprennent et sont fiers. Mais ces considérations passent bien après les aspects techniques et ce paraphe ne doit pas être loin d’être aussi long que tous les dialogues des personnages hors Nasa réunis.
Voici donc un vrai film d’aviation, plus aride que le désert de Mojave, qui parle d’aviation avec une précision maniaque confinant au documentaire, destiné exclusivement aux passionnés.
Vous me connaissez : normalement, ça devrait donc prendre au moins quatre étoiles.
Mais X‑15 a un problème, un vrai.
Premier long-métrage de Richard Donner, il fut produit avec un budget relativement limité qui imposa des effets spéciaux en carton et un recours massif aux images d’archives de la Nasa. D’une part, malgré le travail d’intégration remarquable de Stanley Rabjohn, ça se voit de temps en temps, avec des numéros de série qui ne collent pas, des raccords maladroits et des plans trop répétitifs. D’autre part et beaucoup plus grave, les images de la Nasa au format 1.37 ont été étendues pour remplir l’écran au format 2.35. Il faut être clair : c’est beaucoup trop. Les avions sont étirés, la moindre rotation donne l’impression qu’ils sont faits de jelly, bref, c’est ignoble. Ça passe pour quelques images recadrées et l’explosion du X‑15–3 reste d’une efficacité irréprochable, mais les scènes de vols et de largages foutent la gerbe à coup sûr.
Cette anamorphose était déjà stupide en 35 mm, mais pour aggraver les choses le DVD a conservé ce problème — or, si on est habitué à une image un peu déformée au cinéma, selon le siège dans lequel on est, c’est beaucoup plus gênant chez soi, vu qu’on s’y réserve généralement le bon emplacement !
Il suffirait que MGM décide d’éditer un Blu-Ray propre, remettant les images « étroites » à leur format d’origine, pour donner quelque chose de beaucoup plus regardable. Mais en l’état, ce seul point suffit à éliminer des « fréquentables » un film qui, en dehors de cela, est un documentaire romancé tout à fait correct.