X‑15

de Richard Donner, 1961, **

Les films d’a­via­tion sont sou­vent pris dans un dilemme déli­cat. D’un côté, ce domaine n’in­té­resse qu’une frange de la popu­la­tion et, pour avoir une chance de s’en sor­tir, il faut élar­gir le pro­pos à des sujets plus por­teurs ; on ne fait donc géné­ra­le­ment pas des films d’a­via­tion à pro­pre­ment par­ler, mais des films dont l’a­via­tion est la toile de fond et dont les res­sorts prin­ci­paux sont ceux du film de guerre, de la comé­die, du polar, du thril­ler, du bio­pic mélo­dra­ma­tique, du sur­vi­val, du teen-movie, de la quête ini­tia­tique, évi­dem­ment du film-catas­trophe, ou un peu tout ça mélangé.

D’un autre côté, les gens inté­res­sés par l’a­via­tion ont ten­dance à être de dan­ge­reux maniaques qui ne par­donnent pas la plus légère approxi­ma­tion, la plus dis­crète inco­hé­rence ou la moindre roman­ci­sa­tion. Et curieu­se­ment, ils ne veulent pas non plus regar­der tran­quille­ment leurs docu­men­taires sur Discovery Channel et évi­ter les salles obs­cures lorsque sort un film nor­mal avec des avions. Certains pro­duc­teurs peuvent donc par­fois être ten­tés de faire un film rien que pour eux, solide, presque docu­men­taire, où les élé­ments sen­ti­men­taux, géo­po­li­tiques, comiques, poli­ciers, mélo­dra­ma­tiques ou catas­tro­phiques seraient relé­gués au second plan. Le film a alors évi­dem­ment un cer­tain poten­tiel de gros flop en salles, mais il peut espé­rer vague­ment deve­nir culte chez les quelques tarés câblés de manière à l’apprécier.

Reconstitution minu­tieuse, bien inté­grée aux images de la Nasa, de l’explo­sion du 8 juin 1960 lors d’un essai moteur au sol. — cap­ture du film

De toute évi­dence, X‑15 espé­rait faire par­tie de la seconde caté­go­rie. C’est un film d’a­via­tion, un vrai. Les enjeux prin­ci­paux sont de mettre au point le capri­cieux moteur XLR99, de res­ter concen­tré pen­dant l’in­ter­mi­nable attente avant un vol, de tenir un angle de ren­trée au degré près, mais aus­si pour les pilotes d’ac­com­pa­gne­ment d’an­ti­ci­per la tra­jec­toire du X‑15 pour être au bon endroit et le gui­der jus­qu’à son atter­ris­sage, de poser cor­rec­te­ment un B‑52 char­gé et dés­équi­li­bré, ou encore de gérer un F‑100 pour accom­plir sa tâche mal­gré une panne. Et, bien sûr, de convaincre la presse que non, tel acci­dent ne remet pas en cause l’en­semble du pro­gramme, que oui, les records c’est sym­pa mais ça fait pas tout, et que oui, le X‑15 conserve tout son inté­rêt mal­gré l’a­van­ce­ment du pro­gramme Mercury.

Des à‑côtés ? Oui, quand même quelques-uns. Les pilotes ont des familles, elles s’in­quiètent, elles craquent, elles se reprennent, leurs femmes les embrassent et leurs enfants sont fiers. Et puis, leurs veuves et leurs orphe­lins craquent, puis se reprennent et sont fiers. Mais ces consi­dé­ra­tions passent bien après les aspects tech­niques et ce paraphe ne doit pas être loin d’être aus­si long que tous les dia­logues des per­son­nages hors Nasa réunis.

Voici donc un vrai film d’a­via­tion, plus aride que le désert de Mojave, qui parle d’a­via­tion avec une pré­ci­sion maniaque confi­nant au docu­men­taire, des­ti­né exclu­si­ve­ment aux passionnés.

Effets spé­ciaux de série B, mil­lé­sime 61 : ça se voit un peu quand même. — cap­ture du film

Vous me connais­sez : nor­ma­le­ment, ça devrait donc prendre au moins quatre étoiles.

Mais X‑15 a un pro­blème, un vrai.

Premier long-métrage de Richard Donner, il fut pro­duit avec un bud­get rela­ti­ve­ment limi­té qui impo­sa des effets spé­ciaux en car­ton et un recours mas­sif aux images d’ar­chives de la Nasa. D’une part, mal­gré le tra­vail d’in­té­gra­tion remar­quable de Stanley Rabjohn, ça se voit de temps en temps, avec des numé­ros de série qui ne collent pas, des rac­cords mal­adroits et des plans trop répé­ti­tifs. D’autre part et beau­coup plus grave, les images de la Nasa au for­mat 1.37 ont été éten­dues pour rem­plir l’é­cran au for­mat 2.35. Il faut être clair : c’est beau­coup trop. Les avions sont éti­rés, la moindre rota­tion donne l’im­pres­sion qu’ils sont faits de jel­ly, bref, c’est ignoble. Ça passe pour quelques images reca­drées et l’ex­plo­sion du X‑15–3 reste d’une effi­ca­ci­té irré­pro­chable, mais les scènes de vols et de lar­gages foutent la gerbe à coup sûr.

Si vous trou­vez ce NB-52 et ce X‑15 un peu défor­més, c’est nor­mal… — cap­ture du film

Cette ana­mor­phose était déjà stu­pide en 35 mm, mais pour aggra­ver les choses le DVD a conser­vé ce pro­blème — or, si on est habi­tué à une image un peu défor­mée au ciné­ma, selon le siège dans lequel on est, c’est beau­coup plus gênant chez soi, vu qu’on s’y réserve géné­ra­le­ment le bon emplacement !

Il suf­fi­rait que MGM décide d’é­di­ter un Blu-Ray propre, remet­tant les images « étroites » à leur for­mat d’o­ri­gine, pour don­ner quelque chose de beau­coup plus regar­dable. Mais en l’é­tat, ce seul point suf­fit à éli­mi­ner des « fré­quen­tables » un film qui, en dehors de cela, est un docu­men­taire roman­cé tout à fait correct.