Sense8
|des Wachowski et Joseph Straczynski, depuis 2015, ****
Imaginez une seconde que, du jour au lendemain, vous vous mettiez à vous connecter aléatoirement à des inconnus. Une seconde, vous méditez sur l’honneur familial dans le froid de votre cellule ; la suivante, vous êtes dans le corps de quelqu’un d’autre, sous une chaleur étouffante, en train de vous faire tataner par des grands blacks. Une seconde, vous êtes en train de percer un coffre à Berlin ; la suivante, vous voilà en train d’essayer des robes de mariée à Bombay. Une seconde, vous êtes dans votre peau de flic de Chicago en pleine enquête ; la suivante, vous voilà en train de vous envoyer en l’air avec un barbu mexicain.
C’est l’idée de base de Sense8 : huit inconnus se retrouvent brutalement connectés. D’abord aléatoirement, puis de manière de plus en plus contrôlée, ils sont capables de communiquer instantanément, de partager des sensations, des connaissances, d’échanger leurs corps. Et au début, il y a un suicide, qu’ils ont tous vécu comme s’ils étaient là : est-ce réel, qui était-elle, pourquoi ?
Sur le papier, l’enjeu essentiel est de comprendre leur connexion, de retrouver son origine et de démêler les relations entre eux et les vilains qui leur courent après. Et bien entendu, chacun a sa propre histoire en cours, sa propre vie qui ne va pas s’arrêter : le chauffeur kenyan doit continuer à gérer son bus et ses dettes, l’héritière coréenne ne peut pas laisser tomber sa famille, l’activiste LGBT californienne ne va pas abandonner ses proches et l’acteur mexicain continuera à se faire voir régulièrement avec son alibi.
Mais la grande réussite de la série, c’est qu’elle ne se contente pas de ce qu’elle raconte. N’y allons pas par quatre chemins : si vous avez aimé Cloud Atlas, vous allez adorer Sense8. On y retrouve la même construction symbolique, la même expérience sensorielle, la même idée de destins connectés — à travers le temps dans le film, à travers l’espace ici. On y retrouve les faux-semblants et les travestissements, les courages et les lâchetés, les fous rires et les larmes. On ne se contente d’ailleurs pas d’alterner héroïque, dramatique, pathétique et comique ; on les mélange intimement, parfois au sein de la même scène. Comme dans toute l’œuvre des Wachowski ou presque, les questions d’identité et de sexualité sont omniprésentes, elles aussi traitées à la fois par le tragique (certaines personnes sont définies par un drame personnel), par le comique (la fille qui trouve son mec au lit avec un autre, classique mais efficace) et par le sensuel (quand huit personnes connectées s’envoient en l’air en même temps aux huit coins de la planète, ça demande une mise en scène soignée mais ça permet de faire un tour du monde de l’érotisme en trente secondes).
Inévitablement, on retrouve un style de mise en scène expérimenté dans Cloud Atlas : allers-retours entre scènes distantes, parallèle entre événements distincts, et bien sûr quelques mouvements de caméra à la Matrix. Mais les Wachowski savent aussi s’orienter vers le drame intimiste au besoin, et peuvent raconter avec une certaine sobriété l’histoire de ce couple islandais qui va à la maternité en plein hiver, ou l’échange lors duquel celle qui respire le printemps californien apporte un peu de chaleur à celle qui est emprisonnée à Séoul.
Finalement, sous une brutalité et des effets stylistiques très wachowskiens, Sense8 sait faire preuve d’une délicatesse extrême, bien portée par des acteurs très différents mais généralement corrects ainsi que des variations de rythme et de tonalité particulièrement efficaces. L’ensemble est un peu bordélique, vraiment touche-à-tout, mais aussi émouvant, hilarant, entraînant, un poil grandiloquent parfois, mais toujours touchant.