Cloud atlas

Ofni de Tom Tykwer, Andy Wachowski et Lana Wachowski, 2012

Avec les Wachowski, c’est sou­vent quitte ou double. Matrix était un excellent thril­ler de SF geek, dont les suites ont vague­ment tour­né en rond au fil de sce­na­rii imbi­tables. Speed racer était une bouse abso­lue et un tape-à-l’œil arti­fi­ciel. V pour Vendetta (réa­li­sé par McTeigue mais où l’in­fluence des fran­gins, scé­na­ristes et pro­duc­teurs, est pal­pable) reste une de mes dys­to­pies pré­fé­rées et la meilleure adap­ta­tion d’Alan Moore à ce jour.

Et Cloud atlas ? Et bien… J’arrive pas trop à déci­der si c’est une coquille vide pré­ten­tieuse ou un chef-d’œuvre de pur génie.

C’est bien fil­mé, évi­dem­ment. Bien joué aus­si. Très bien mon­té, et Dieu sait que sur un pro­jet pareil le mon­tage est un défi de taille et un tra­vail essen­tiel. Le scé­na­rio est fouillé, sym­bo­lique, construit autour d’une cohé­rence thé­ma­tique plu­tôt que chro­no­lo­gique, et à la fois com­plexe et éton­nam­ment limpide.

Pendant le film, j’ai été scié de la façon dont il était racon­té. C’est nou­veau, éton­nant, désta­bi­li­sant ; et c’est fou­tre­ment bon d’être ain­si pris à revers, dérou­té, de se faire racon­ter une his­toire d’une façon vrai­ment inha­bi­tuelle, d’é­cho en écho, au fil des touches de trois peintres impressionnistes.

Tout aus­si sur­pre­nants, les rôles mul­tiples endos­sés par les acteurs au fil des époques — le film se déroule entre le XIXè siècle et un futur post-apo­ca­lyp­tique sans date pré­cise. En un seul film, ils jouent cha­cun tous les rôles, au fil des évo­lu­tions de leurs per­son­nages, cha­cun étant le héros de cer­tains pas­sages et le vilain d’autres mor­ceaux. Enfin, sauf Hugo Weaving, abon­né aux rôles de méchants et qui est aus­si bon en méchante très méchante qu’en méchant très méchant. Les maquillages sur­pre­nants de qua­li­té par­ti­cipent à l’in­di­vi­dua­li­sa­tion de chaque per­son­nage, tout en conser­vant l’air de famille d’une incar­na­tion à l’autre.

Dans l’en­semble, Cloud atlas est donc une réus­site écla­tante, tour à tour bou­le­ver­sant, triste, hila­rant ou atten­dris­sant ; c’est un peu comme un film de nou­velle vague mais réus­si, un bor­del anar­chique mais qui fonctionne.

Pourquoi hési­té-je, alors ? Pour une rai­son simple : je n’ar­rive pas à savoir si Cloud atlas raconte quelque chose, dis­crè­te­ment et per­son­nel­le­ment, ou si c’est de la poudre aux yeux. Je n’ar­rive pas à savoir si ce que j’ai res­sen­ti en le voyant était de la vraie émo­tion humaine ou du réflexe publi­ci­taire. Trois jours après, je n’ar­rive tou­jours pas à savoir si l’ab­sence de vraie his­toire cache une sym­bo­lique qui me parle inti­me­ment ou s’il s’a­git juste d’un tour­billon sty­lis­tique. En somme, je n’ar­rive pas à déci­der si c’est de la magie ou de la pres­ti­di­gi­ta­tion. Un peu comme quand je vois Le par­le­ment de Londres ou La vue géné­rale de Rouen de Monet, et que j’ai un mal fou à tran­cher entre le chef-d’œuvre qui reflète une émo­tion à moi et le brouillon des­ti­né à ébau­bir le badaud.

En tout cas, voyez-le.