Bambi

de David Hand, 1942, **

En voyant que mon ciné local pas­sait Bambi, j’ai réa­li­sé un truc : je ne l’a­vais pro­ba­ble­ment jamais vu en entier, en tout cas je n’a­vais sou­ve­nir que de quelques séquences éparses. Du coup, c’é­tait une bonne occa­sion de répa­rer cet oubli historique.

Bon, en sor­tant de la salle, j’ai réa­li­sé que les « séquences éparses » fai­saient peu ou prou l’in­té­gra­li­té du film, que j’a­vais donc bien dû voir, mais ça devait remon­ter à très loin vu le flou dans lequel c’é­tait. Bref.

Le pre­mier truc remar­quable, dès la pre­mière séquence syl­vestre, c’est le soin gra­phique extra­or­di­naire pour l’é­poque. Vous me direz peut-être que Fantasia était déjà d’un gra­phisme par­ti­cu­liè­re­ment tra­vaillé, mais il avait la liber­té de mon­trer ce qu’il vou­lait, dans un uni­vers où tous les délires étaient per­mis. La forêt de Bambi, à l’in­verse, c’est une foule de des­sins très pré­cis, réa­listes, aux détails fins et aux cou­leurs sub­tiles, empi­lés pour don­ner une impres­sion de pro­fon­deur qui je n’at­ten­dais pas d’un film d’a­ni­ma­tion des années 40. En fait, cette séquence uti­lise même un flou­tage pour concen­trer l’at­ten­tion sur un plan pré­cis en recons­ti­tuant une « pro­fon­deur de champ » pho­to­gra­phique, truc aujourd’­hui encore trop rare en animation !

Le soin apporté aux arrière-plans est étonnant pour l'époque (et la pouffe de Panpan est étonnante aujourd'hui). - photo Disney
Le soin appor­té aux arrière-plans est éton­nant pour l’é­poque (et la pouffe de Panpan est éton­nante aujourd’­hui). — pho­to Disney

Le soin gra­phique et, peut-être, l’hé­ri­tage de Fantasia (lan­cé après, mais sor­ti avant) se retrouvent dans les choix de réa­li­sa­tion de cer­taines séquences. Ça ne m’a­vait pas mar­qué dans ma jeu­nesse, mais lorsque Bambi vit son pre­mier brame et se fout sur la gueule avec un autre ado­les­cent, le gra­phisme bas­cule bru­ta­le­ment vers un assem­blage de sil­houettes sur fond flam­boyant qui ren­force la vio­lence du moment, et qu’on retrouve dans cer­tains pas­sages de… The wall d’Alan Parker ! Ah oui, vu comme ça, Bambi peut avoir des aspects flippants.

Dernier point où le tra­vail réa­li­sé force l’ad­mi­ra­tion même 74 ans plus tard : la qua­li­té de l’a­ni­ma­tion. Fluidité des mou­ve­ments, main­tien des pro­por­tions et de l’ar­chi­tec­ture des per­son­nages, on est très loin de l’a­ni­ma­tion ron­douillarde et par­fois sac­ca­dée de Blanche-Neige et les sept nains. De ce point de vue, Bambi a éton­nam­ment bien sup­por­té les ans et sou­tient la com­pa­rai­son avec bien des films d’a­ni­ma­tion modernes. Les atti­tudes du faon avec ses grandes gui­bolles trem­blo­tantes sont tou­jours aus­si bien ren­dues, et le galop des cerfs adultes est d’une flui­di­té irré­pro­chables (et les atti­tudes moyen­ne­ment réa­listes, sur les sauts par exemple, ont fait école dans bien des films depuis…).

Si vous avez l'impression d'avoir revu ce plan un peu partout, c'est normal. - photo Disney
Si vous avez l’im­pres­sion d’a­voir revu ce plan un peu par­tout, c’est nor­mal. — pho­to Disney

Cette volon­té de réa­lisme est notable et louable, mais elle se heurte hélas à un autre aspect du film : l’an­thro­po­mor­phisme outran­cier. Certes, il était néces­saire d’hu­ma­ni­ser un peu les têtes des ani­maux pour pou­voir leur don­ner des mimiques, mais l’en­semble du fond reste très « papa-maman-les enfants », chose qui exis­tait peut-être chez l’es­pèce humaine dans les années 40 mais qui n’a jamais été le fort des cerfs et des lièvres. On note­ra éga­le­ment un équi­libre des nais­sances un peu étrange chez les cerfs : il doit y avoir, à vue de nez, une ving­taine de mâles par femelle, ce qui explique sans doute pour­quoi l’im­mense majo­ri­té de ceux-ci passent leur vie à cou­rir en trou­peau sans ser­vir à rien.

Les mamans emmènent les bébés au parc pour les sociabiliser. Euh… Oo' - photo Disney
Les mamans emmènent les bébés au parc pour les socia­bi­li­ser. Euh… Oo” — pho­to Disney

Et que dire du hibou qui dis­cute gen­ti­ment (ou râle gen­ti­ment) avec les cam­pa­gnols ? S’il est tout le temps fati­gué, c’est peut-être parce qu’il ne mange pas assez, je dis ça comme ça… Cet arte­fact a bien sûr l’in­té­rêt de faire de l’homme le seul enne­mi, le seul ani­mal déna­tu­ré, le seul truc vrai­ment dan­ge­reux, et en cela Bambi est peut-être la pre­mière grande fable éco­lo du ciné­ma, mais faire de tous les ani­maux (sauf les cerfs pen­dant le brame) des gen­tils amis ne peut que cho­quer. Le scé­na­rio est sans doute le domaine où le film a le plus mal vieilli, vu que dès les années 60 Disney lui-même avait com­men­cé à intro­duire des per­son­nages un peu plus ambi­gus dans des uni­vers un peu moins mani­chéens — la rou­blar­dise était même un trait récur­rent de cer­tains de ses « héros », à par­tir du clo­chard de Belle.

Vous pou­vez d’ailleurs reprendre tel quel un reproche que j’a­vais adres­sé à cet autre clas­sique Disney : la musique. La. putain. de. musique.

De tout Bambi, il n’y a qu’un mor­ceau écou­table, La chan­son de la pluie : le reste, c’est Mireille Mathieu qui s’est coin­cé un orteil dans une porte. Quand on pense que, vingt-cinq ans plus tard, les mêmes stu­dios pon­draient la BO du Livre de la jungle et des Aristochats, c’est à pleurer.

L’ensemble, éton­nam­ment avant-gar­diste et tou­jours d’ac­tua­li­té sur le plan tech­nique, souffre donc avant tout d’un scé­na­rio qui a mal vieilli (mal­gré la pré­sen­ta­tion de l’homme comme super-nui­sible qui tranche un peu pour l’é­poque) et d’une bande ori­gi­nale épouvantable.