Suicide squad
|échec parfaitement calibré de David Ayer, 2016
J’aime bien David Ayer. Il sait faire des polars très honnêtes et si son film de guerre souffre d’un scénario très convenu et plein de clichés, il finit sur une vision assez noire de l’humanité et n’hésite pas à y aller franchement quand il le faut (ah, l’effet d’un panzerfaust !).
Je change de sujet : pour faire un bon film d’action, avoir un bon méchant aide bien ; donc, réunir une psy devenue psychopathe, un tueur à gages ténébreux, un mutant pyrotechnique, une Japonaise ultra-violente et un croisement de Hulk et de La Chose, normalement, ça doit fournir la matière à un truc bien trash, glauque et/ou fantasmatique.
Donc, sur le papier, les ingrédients semblent à leur place : des méchants très bien, un casting de choix, un réalisateur pas toujours subtil mais qui sait faire du brutal.
Il y a juste un tout petit soucis : la production a souhaité que le film reste grand public.
Oui, voilà, tout de suite, ça jette un froid.
Le concept même de Suicide squad, c’est de réunir des super-vilains de l’univers DC, parce que quoi de mieux que des super-vilains pour tout bousiller face à un hyper-vilain — et puis s’ils se font buter en route, ils manqueront à personne. Le fondement même du film est donc résolument adulte, et il faut avoir un demi-cerveau au maximum pour se dire qu’on va en faire un truc tout public.
Du coup, on transforme le concept : d’une réunion de méchants contraints et forcés de travailler pour la ville, on passe à un groupe de potes vaguement pas gentils qui finissent par protéger les braves gens presque par honneur. Certes, ils ont toujours la bombinette dans la nuque, mais même quand Slipknot décide de tester (ce qui permet heureusement de nous débarrasser d’Adam Beach, toujours aussi mauvais), y’a pas une goutte de sang et juste un petit bruit de corps qui tombe, et ensuite on n’entendra quasiment plus parler de ce dispositif : ce n’est plus une histoire de méchants manipulés par une loin-d’être-gentille, mais une histoire de rédemption d’ex-méchants qui se rachètent.
Le problème, c’est que le film est vendu comme transgressif. Et tout au long de ses deux heures, il tente de se faire passer pour une œuvre hors normes, qui casse les stéréotypes des films de héros et ose montrer que « c’est jouissif d’être un salopard » (pour reprendre la description officielle). Mais au fond, il est nettement moins tordu que les Batman de Nolan, largement moins perturbant que Kick-Ass, terriblement plus sage que n’importe lequel des précédents films d’Ayer. Il y a des épisodes de Daria plus trash que ce film.
Au fond, ça ne serait pas grave s’il assumait son statut, s’il disait « okay, on est la version grand public des films de vilains, amenez vos gosses et soyez sympas ». Mais il passe son temps à dire « t’as vu comme je suis badass, hein, t’as vu ? Je suis un vrai dur, moi ! », et du coup c’est beaucoup plus énervant. Imaginez que les Hanson viennent à un festival de metal : s’ils viennent avec leurs cols en V jouer MMMBop, les spectateurs vont se payer leur fiole deux minutes, en profiter pour finir leur bière et finalement trouver que c’était cool d’avoir des petits propres sur eux entre Rammstein et Northern Kings.
Mais Suicide squad, c’est les Hanson qui viennent à un festival de metal avec des vestes de cuir et des poignets à clous, qui disent « on va jouer un bon morceau de metal comme vous l’aimez », et qui jouent MMMBop.
Du coup, c’est pas vraiment mauvais au fond, c’est juste populaire, tout public et prévisible, mais on ne peut pas s’empêcher de taper dessus de toutes nos forces, de l’enfoncer le plus profond possible et de beugler que c’est de la merde, plus pour son hypocrisie et ses promesses non tenues que pour ses vrais défauts.
Pour aggraver les choses, il y a un personnage chez DC qu’on n’a pas le droit de rater, parce que ses deux incarnations par Jack Nicholson puis Heath Ledger ont chacune à sa manière profondément marqué l’histoire du cinéma d’action. Et là, Ayer trouve le moyen de nous faire un Joker tout juste gentiment délirant, qui n’ironise jamais (à chacune de ses apparitions, je le regardais en pensant « why so serious ? »). Il n’a plus une once de la folie grandiloquente de ses aînés et se révèle en fait plus proche du Monsieur Mystère de Schumacher que d’un quelconque Joker.
Là, c’est les Hanson qui viennent dans un festival de metal habillés en cuir clouté, qui disent « on va faire la meilleure version de For whom the bell tolls que vous ayez jamais entendue », et qui jouent MMMBop. À ce stade, il est bien naturel que la foule les étripe.